L’ANNÉE TCHÈQUE (Spalicek – Špalíček) réalisé par Jirí Trnka, disponible en DVD le 6 avril 2021 chez Artus Films
Scénario : Jirí Trnka
Photographie : Emanuel Franek & Vladimír Novotný
Musique : Václav Trojan
Durée : 1h17
Année de sortie : 1947
LE FILM
Au sein d’un petit village tchèque, nous découvrons les coutumes et les légendes populaires du pays à travers six séquences de marionnettes animées : Le carnaval, Printemps, La légende de Saint Procope, Le pèlerinage, La kermesse, et La crèche de Noël.
L’âme et le coeur de L’Année tchèque (1947) sont ceux de Jiří Trnka (1912-1969), pionnier de l’animation (tchèque, c’était évident), cinéaste d’exception, également sculpteur, peintre et illustrateur, mais aussi créateur de décors et de costumes, qui a fait sa renommée à travers ses films d’animation en volume, à l’instar de son mythique Les Vieilles légendes tchèques – Staré povesti ceské (1953). D’origine modeste, Jiří Trnka se nourrit très jeune du monde des artisans, sa mère étant couturière et son père ferblantier, ainsi que de celui des paysans. Le bois est omniprésent dans le quotidien des Trnka et le jeune Jiří s’amuse à sculpter des marionnettes, qu’il utilise ensuite pour créer des spectacles destinés à ses amis d’école. Cette passion ne le quittera plus et il parviendra à en faire son métier, après avoir fréquenté une école d’arts appliqués au début des années 1930. Également graveur, il démarre dans la vie professionnelle en réalisant les illustrations d’ouvrages tchèques et étrangers, pour son propre compte ou pour quelques maisons d’édition. Il signera celles des contes des frères Grimm et de Charles Perrault, Les Mille et une nuits, des pièces de Shakespeare ou des fables de La Fontaine. Ses créations accompagnent les enfants lors de leurs découvertes de ces grands classiques. Alors qu’il est appelé par le théâtre pour y élaborer des décors et des costumes, Jiří Trnka est de plus en plus attiré par le cinéma. A la fin de la Seconde Guerre mondiale, il fonde un studio d’animation, Bratři v triku, avec ses confrères et amis Eduard Hofman et Jiří Brdečka. Leurs premiers courts-métrages sont réalisés sur cellulose. Puis Jirí Trnka fonde sa propre société d’animation de marionnettes, Jirí Trnka Studio et décide de passer la vitesse supérieure avec L’Année tchèque, long-métrage composé à partir d’une série de courts-métrages à l’origine indépendants. Ainsi, à travers six séquences différentes, tournées au fil des années et réunies en un programme, Jiří Trnka et ses 26 collaborateurs, se penchent sur les légendes, les coutumes et les traditions qui rythment la vie d’un petit village tchèque au fil des jours qui passent et des saisons.
Au programme ? Un carnaval où des petits paysans et des animaux de la forêt chantent et dansent au rythme de balades entraînantes, l’arrivée du printemps, la légende de Saint Procope, le Pèlerinage, la Kermesse et Bethléem. Entièrement tourné avec plus d’une centaine de marionnettes, L’Année tchèque est un bijou de l’animation, immensément poétique, d’une beauté absolue, qui ne cesse d’impressionner encore par sa fluidité et son montage frénétique. Avec ce premier long-métrage couleurs de marionnettes animées de toute l’histoire du cinéma, Jiří Trnka devient alors le maître, le chef de file de l’animation tchèque, dont le talent est loué par les artistes d’hier et d’aujourd’hui, Jean Cocteau, le poète chilien Pablo Neruda, son compatriote et confrère Karel Zeman et surtout Tim Burton qui n’a jamais caché s’être inspiré de ses travaux pour L’Étrange Noël de monsieur Jack – The Nightmare Before Christmas (1994) de Henry Selick.
Avec sa mise en scène brillante et étourdissante (l’utilisation du zoom est fantastique), son humour, son univers foisonnant, ses chorégraphies et ses chansons endiablées, sans oublier son énergie contagieuse, L’Année tchèque convie les spectateurs de tout âge dans un monde magique, unique et mature, où la réflexion et le divertissement s’imbriquent de façon mélodieuse, tout en flattant les sens. A sa sortie, L’Année tchèque connaît un succès international. Le film est ensuite récompensé par le Premier Prix du film d’animation à Paris, avant d’être présenté en compétition à la Mostra de Venise.
LE DVD
Deux ans après l’édition Collector Blu-ray + DVD + Livret des Vieilles légendes tchèques (1953), Artus Films revient au cinéma de Jirí Trnka et propose cette fois L’Année tchèque en DVD, qui se présente sous la forme d’un Slim Digipack. L’éditeur y joint un livret très pointu de 24 pages rédigé par Pascal Vimenet, chercheur associé à l’Université de Toulouse Jean-Jaurès et membre du comité scientifique de NEF Animation. Enseignant d’esthétique et d’histoire à l’école des métiers du cinéma d’animation (EMCA) à Angoulême, il a créé la revue spécialisée Animatographe (1985-1987) et fondé le volet cinéma d’animation du dispositif École et cinéma (1994-1998). Réalisateur de documentaires (Fantômes du cinéma forain, 2011), il est de plusieurs ouvrages et monographies, notamment sur Eva et Jan Svankmajer, Émile Cohl, Walerian Borowczyk, Jean-François Laguionie. Il publie, depuis 2015, chez L’Harmattan, Un abécédaire de la fantasmagorie, dont le cinquième volume paraîtra prochainement. Il collabore, depuis sa création en janvier 2020, à la nouvelle revue du film d’animation, Blink Blank, dont il a proposé le titre. C’est à travers ce livret que vous saurez tout sur Jirí Trnka, sur sa vie, sur son œuvre, sur ses successeurs, mais aussi et surtout sur la genèse, la mise en œuvre et la sortie de L’Année tchèque. Ce document se clôt sur une analyse de La Main, court-métrage que l’on retrouve dans les suppléments. Le menu principal est fixe et musical.
Le DVD est disponible à la vente sur le site d’Artus Films https://www.artusfilms.com/jiri-trnka/l-annee-tcheque-333 ainsi que sur celui de la boutique Métaluna Store https://metalunastore.fr/products/lannee-tcheque?_pos=1&_sid=541f32326&_ss=r .
Nous en parlions plus haut, Artus Films joint en bonus le dernier court-métrage réalisé par Jirí Trnka, La Main (1965, 18’). Merveille absolue où une main « humaine » entre en interaction avec le personnage principal, une marionnette, La Main – Ruka, montre un artisan céramiste tranquillement installé chez lui, en train de soigner sa plante verte. Il est tourmenté par une main gantée tyrannique qui, tel un petit soldat, exige une statue à son effigie. Le potier doit alors s’exécuter, car la Main se fait de plus en plus menaçante. Film testamentaire, La Main, auréolé à sa sortie par le Prix spécial du jury au Festival d’Annecy et par le Premier prix dans la catégorie Animation au Festival de Bergame, est empreint de réflexion et de critiques politiques sur le pouvoir communiste en place qui souhaite s’accaparer et contrôler le talent des artistes, afin d’être glorifié. Longtemps interdit en Tchécoslovaquie, les copies avaient d’ailleurs été confisquées pendant plus de vingt ans, La Main est un chef d’oeuvre rare.
L’interactivité se clôt sur un Diaporama et la bande-annonce (non sous-titrée).
L’Image et le son
Un carton en introduction indique qu’en 1947, Jirí Trnka a composé L’Année tchèque à partir d’une série de courts-métrages à l’origine indépendants. En 2015, lors de la restauration numérique en 2K, certains effets ont été laissés sous leur forme originelle, en tant que « témoins » des technologies et des approches artistiques de l’époque. Le traitement numérique a été réalisé à partir des négatifs originaux conservés aux Archives Nationales du cinéma de Prague. Pour certains épisodes, les restaurateurs du Filmlab de Budapest ont dû utiliser les positifs respectifs. On retrouve alors ces teintes spécifiques de l’Agfacolor, un grain cinéma élégant et bien géré, ainsi qu’une bonne tenue des contrastes. La propreté est satisfaisante (quelques poussières subsistent, mais rien d’important), les détails sont éloquents et le piqué appréciable.
Pas de dialogues, mais des chansons qui s’enchaînent durant près d’1h20 ! Aucune saturation dans les chants, même quand les aigus s’affolent, ni même de souffle parasite. C’est clair et dynamique du début à la fin. La bande-sonore a été restaurée à partir d’un double des négatifs sonores.