INNOCENCE SANS PROTECTION (Nevinost bez zastite) réalisé par Dušan Makavejev, disponible en DVD le 8 novembre 2023 chez Malavida Films.
Acteurs : Dragoljub Aleksić, Ana Milosavljevic, Vera Jovanovic…
Scénario : Dusan Makavejev & Branko Vucicevic
Photographie : Stevan Miskovic & Branko Perak
Musique : Vojislav Kostic
Durée : 1h17
Date de sortie initiale: 1968
LE FILM
En 1968, après avoir fait circuler une annonce dans les journaux à la recherche de personnes aux qualités morales et physiques extraordinaires, Dusan Makavejev fait la rencontre de l’acrobate Dragoljub Aleksic et découvre du même coup son film, le premier Innocence sans protection. Il trouve dans cette figure nationale aussi excentrique qu’extraordinaire l’incarnation d’une partie de l’Histoire et de la culture yougoslave et lui rend hommage dans un portrait aussi drôle qu’émouvant.
À propos d’Innocence sans protection – Nevinost bez zastite, son troisième long-métrage, le réalisateur Dušan Makavejev déclarait à feu Michel Ciment en 1968 « Le cinéma moderne doit échapper à toute définition. Qu’est-ce qu’Innocence sans protection ? Un essai filmé, un documentaire, une nouvelle sorte de spectacle ou la reconstitution d’un vieux film ? C’est tout cela à la fois. Le cinéma moderne doit être un savon dans une main humide. Si vous essayez de le saisir, il vous échappe ». En effet, on retrouve l’aspect collage qui plaisait tant au cinéaste depuis ses premières œuvres, L’Homme n’est pas un oiseau ou Une affaire de coeur : La Tragédie d’une employée des P.T.T., mais aussi dans ses courts-métrages, Conte pédagogique – – Pedagoska bajka (1961), savoureuse relecture du conte des frères Grimm, Parade (1962), témoignage d’une Journée internationale des Travailleurs, et le formidable Am, Stram, Gram (1961), merveille visuelle, drôle et burlesque sur le mirage de l’argent. Avec Innocence sans protection, Dušan Makavejev arrive au bout d’un concept et présente donc « une réédition d’un bon vieux film, arrangé, embelli et commenté » par ses soins, comme l’indique un carton en introduction. Une nouvelle expérience cinématographique signée Dušan Makavejev !
Dragoljub Aleksic (1910-1985), serrurier devenu équilibriste et acrobate, a tourné clandestinement en 1942 dans Belgrade alors occupé, un film de fiction dont il était le héros, le scénariste et le réalisateur. À nouveau réunis vingt-cinq ans plus tard devant une caméra, les principaux acteurs et collaborateurs de ce film évoquent les souvenirs du tournage. Ce mélodrame, succès de l’époque, dont Makavejev a sélectionné quelques passages, raconte comment une pure jeune fille promise par sa mère à un vieux satyre fortuné, sera sauvée de ce destin par son amoureux, le jeune acrobate au grand cœur. Pendant ce temps, les soldats nazis défilent dans les rues, les avions bombardent et les officiels inaugurent ou président : ce sont des actualités de l’époque.
Pourquoi un tel hommage de la part du cinéaste? Car Innocence sans protection, le film autobiographique de Dragoljub Aleksic, ne figure pas dans les archives cinématographiques du pays, du fait d’avoir été réalisé sous l’Occupation, le cinéaste ayant été accusé d’atteinte à l’honneur national. Les membres de l’équipe encore en vie 25 ans après témoignent des conditions de tournage, évoquant l’échange de négatifs provenant d’Allemagne, contre des jambons, des saucissons et autres vivres, tandis que le reste du métrage était financé par la fabrication et la vente d’espadrilles. Toujours bon pied bon œil en 1968, en dépit d’un accident qui lui brisera les deux jambes, le dos et l’obligera à porter un corset métallique (qu’il a fabriqué lui-même), Dragoljub Aleksic revient avec un plaisir non dissimulé sur son film – dédié à sa propre gloire, il est vrai – dans lequel il démontrait toutes ses capacités physiques. « Une force herculéenne, un moral d’acier, un corps d’athlète, une volonté de fer » nous dit-on de cet homme, qui s’est entre autres suspendu par les dents sous un avion survolant Belgrade.
Dušan Makavejev joue sur la frontière entre la fiction et la réalité, participe à la légende de celui qu’il a souhaité mettre en valeur, avec humour et beaucoup d’émotions, après l’avoir découvert suite à une petite annonce passée dans un hebdomadaire car ne trouvant pas d’idées pour son prochain film. Une leçon de vie et un personnage que nous ne sommes pas prêts d’oublier, qui malgré le contexte, Belgrade sous l’occupation nazie, parviendra à réaliser secrètement son film naïf, un vaudeville quasi-anachronique compte tenu de la situation « à l’extérieur », en utilisant même certains effets spéciaux en animation pour certains exploits infaisables dans la réalité.
À sa sortie, Innocence sans protection, aujourd’hui considéré comme une œuvre majeure du cinéma de l’est, remporte l’Ours d’argent au Festival de Berlin, prix que le réalisateur partage avec Werner Herzog, pour son sensationnel Signes de vie, lui aussi sur le fil ténu entre la fiction et le documentaire, et Enzo Muzzi pour Come l’amore.
LE DVD
Nous arrivons au terme de ce cycle consacré au cinéma de Dušan Makavejev. Après avoir passé en revue les éditions DVD de L’Homme n’est pas un oiseau et Une affaire de coeur : La Tragédie d’une employée des P.T.T, nous terminons cette vague Malavida par Innocence sans protection. L’objet prend la forme d’un boîtier Slim, glissé dans un surétui cartonné sobre et élégant, à l’intérieur duquel nous trouvons un livret, comprenant une interview de Dušan Makavejev par Michel Ciment, publiée dans Positif (n°99, novembre 1968, pages 13 à 27), dans lequel le réalisateur revenait sur son troisième long-métrage et sur sa conception du cinéma. Le menu principal est fixe et musical. Édition limitée à 1000 exemplaires.
Sur ce DVD, nous trouvons un dernier court-métrage de Dušan Makavejev, intitulé Nouvel Animal Domestique –Nova domaca zivotinja (1964, 9’). Les habitants d’une communauté rurale yougoslave passent des chevaux aux véhicules à moteur, tout cela sur un ton amusé et parfois cruel.
L’interactivité se clôt sur la bande-annonce.
L’Image et le son
Mélange de N&B issu d’archives d’actualités et du film Innocence sans protection de Dragoljub Aleksic, et de la couleur provenant des images tournées par Dušan Makavejev, la copie trouve son équilibre très rapidement et la restauration fait des miracles. Bien sûr, certaines parties sont forcément plus abîmées (les images montrant Belgrade durant l’Occupation notamment), mais l’ensemble est propre, stable et rutilant.
Rien à redire sur le confort acoustique. L’écoute est propre et dynamique, les dialogues bien posés et l’environnement musical appréciable. Pas de souffle parasite, ni de craquements. À noter que les sous-titres sont incrustés et donc inamovibles.