HER SMELL réalisé par Alex Ross Perry, disponible en DVD le 19 novembre 2019 chez Potemkine Films
Acteurs : Elisabeth Moss, Angel Christian Roman, Cara Delevingne, Dan Stevens, Agyness Deyn, Gayle Rankin, Ashley Benson, Dylan Gelula…
Scénario : Alex Ross Perry
Photographie : Sean Price Williams
Musique : Keegan DeWitt
Durée : 2h10
Date de sortie initiale : 2019
LE FILM
Becky Something est une superstar du rock des années 90 qui a rempli des stades avec son girls band : « Something She ». Quand ses excès font dérailler la tournée nationale du groupe, Becky est obligée de compter avec son passé tout en recherchant l’inspiration qui les a conduites au succès.
Après un premier coup d’essai (Impolex) en 2009, le cinéaste Alex Ross Perry (né en 1984) est remarqué avec son second film The Color Wheel, une oeuvre étrange et singulière formellement intéressante, marquée par un grain cinéma fourmillant et un N&B tranché capturé en 16mm. Représentant du mouvement cinématographique appelé Mumblecore aux côtés d’Andrew Bujalski (Funny Ha Ha, Mutual Appreciation, Beeswax), les frères Safdie (The Pleasure of being robbed, Lenny and the kids), Lynn Shelton (Humpday), les frères Duplass (Baghead) et Joe Swanberg (Hannah takes the stairs), tous largement recommandables, Alex Ross Perry aura ensuite entamé une collaboration avec la comédienne Elisabeth Moss. Listen Up Philip (2014) et Queen of Earth (2015) marqueront leurs deux premières associations, puis le cinéaste lui fera une petite infidélité avec Golden Exits (2017), film inédit en France. Projet mûri pendant plusieurs années, Her Smell a été écrit pour Elisabeth Moss. Véritablement investie corps et âme dans ce film, la comédienne, révélée par les séries A la Maison-Blanche et l’extraordinaire Mad Men, est exceptionnelle dans ce faux film musical, mais vrai drame psychologique, très immersif, dans lequel Alex Ross Perry expérimente une fois de plus la forme de son cinéma.
De son propre aveu, le réalisateur a voulu que Her Smell soit un film « démesuré et tapageur », là où Golden Exits était « modeste et calme ». Il s’en dégage effectivement une vraie rage, et par ses partis pris l’ensemble peut soit repousser, soit accrocher le spectateur. Pas de juste milieu. Construit en cinq actes, selon un modèle théâtral et même shakespearien, où les différentes parties s’enchaînent à peu près toutes les 25 minutes (le film dure près de 2h15), Her Smell est une œuvre brute, abrasive, agressive, représentative du chaos qui règne dans la tête de Becky (Elisabeth Moss donc, qui s’inspire visiblement de Courtney Love), prisonnière de ses addictions et surtout du « monstre » qu’elle a créé dans les années 90. Car Becky est en fait Rebecca, mère d’une petite fille, qui après avoir quitté la scène et les coulisses où la dope et l’alcool sont omniprésents, décide de se reprendre en main. Mais va-t-elle y arriver ? Alex Ross Perry suit son personnage au plus près, son actrice principale étant d’ailleurs quasiment de tous les plans. Sa grammaire cinématographique est sans doute parfois trop visible, entre les plans heurtés capturés caméra à l’épaule, les plans séquences tournés en steadycam qui reflètent la psyché chimiquement perturbée de Becky, les zooms progressifs qui renvoient à la prise de conscience du personnage, la caméra fixe lors de l’immobilisation et la désintoxication de Becky, mais le cinéaste demeure très adroit et inspiré par son sujet, ainsi que par son actrice principale, également coproductrice.
Le segment le plus étonnant demeure tout de même le tout premier, difficile d’accès sans doute, mais prenant, irritant, qui plonge littéralement l’audience dans le « monde » de Becky, de ses partenaires et amis. Si l’interprétation d’Elisabeth Moss laisse pantois, entre Bette Midler de The Rose et Gena Rowlands d’Une femme sous influence, la mannequin et chanteuse britannique Agyness Deyn tire également son épingle du jeu. Son personnage de Marielle, également sous l’emprise de la drogue, sera la première à vouloir se sortir de cette spirale infernale, où la dope a pris le dessus sur la musique. Sans doute rattrapées par l’âge, surtout quand elles voient des jeunes nanas mises sur le devant de la scène (l’insupportable Cara Delevingne), les protagonistes arrivent à un carrefour de leur existence. Comme les étapes d’une vie reliées entre elles par quelques anciennes vidéos tournées au caméscope dans les années 90, Her Smell développe ses personnages, certes à travers quelques clichés inhérents à la vie des superstars du rock, mais Becky/Rebecca, ô combien agaçante au début du film, se dévoile à travers ses abus, par strates, par ellipses aussi, et l’empathie, même si difficile, se réalise bel et bien.
Alex Ross Perry, cinéphile et amateur de cinéma européen, s’inspire visiblement de Gaspar Noé quand sa caméra flotte dans les coulisses vaporeuses, les entrailles de la salle de concert. C’est dire si le réalisateur fait fi d’un budget somme toute modeste (même si on y croise Virginia Madsen, Eric Stoltz et Amber Heard) et donne vie à sa mise en scène, ainsi qu’à ses personnages que l’on peut trouver antipathiques, mais dont les failles et les blessures ne tardent pas à jaillir à l’écran et à titiller la curiosité des spectateurs. De l’hystérie et du quasi-rejet du départ, naît un portrait à fleur de peau d’une artiste délabrée et monstrueuse, qui va prendre conscience de son état dans le dernier rayon de lucidité qui lui est accordé et auquel elle va se raccrocher pour remonter jusqu’à la lumière.
LE DVD
A l’instar de The Color Wheel, Listen Up Phillip et Queen of Earth, Her Smell bénéficie d’une sortie en DVD chez Potemkine. Le visuel reprend celui de l’affiche originale. Le menu principal est quant à lui animé et musical.
Contrairement à ce qui était annoncé, aucune trace de l’entretien avec Virginie Despentes et l’interview de Manon Labry, autrice de Riot Grrrls, Chronique d’une révolution punk féministe.
Outre deux clips vidéos réalisés pour le film, « Can’t wait » de The Ackergirls et « Breathe » des Something She, ainsi que la bande-annonce du film, l’éditeur joint un entretien avec Alex Ross Perry (30’30). A travers cette dense et passionnante interview, le réalisateur revient et aborde tous les aspects de Her Smell. La genèse du film, les partis pris, ses intentions, l’évolution du scénario, la structure du récit, la musique et les chansons présentes dans Her Smell, la préparation des comédiens, les conditions de tournage, les répétitions, la mise en scène, le travail avec le chef opérateur Sean Price Williams, les décors, le titre et bien d’autres éléments encore sont évoqués.
L’Image et le son
Pour la première fois, Alex Ross Perry délaisse le format 16mm au profit du 35mm. Sans surprise, le grain y est présent, les flous multiples, les pertes de la définition nombreuses et la gestion des contrastes complètement aléatoire. Ajoutez à cela des conditions de prises de vue souvent très chaotiques, tout est réuni pour donner du fil à retordre à Potemkine, qui assure néanmoins un service après-vente plus que convenable. Les partis-pris sont conformes aux volontés artistiques originales, mais les adeptes d’une image immaculée risquent de rechigner. Toutefois, l’éditeur parvient à s’en sortir, avec notamment une colorimétrie équilibrée.
Le mixage Dolby Digital 5.1 anglais se révèle ample et dynamique. La spatialisation musicale est omniprésente, les dialogues percutants sur la centrale, la balance frontale est riche et les effets annexes ne manquent pas. Le mixage ne tombe jamais dans la surenchère et participe à l’ambiance étouffante du film. Le caisson de basses n’est évidemment pas laissé de côté et appuie certaines séquences.