COMPARTIMENT N°6 (Hytti nro 6) réalisé par Juho Kuosmanen, disponible en DVD le 3 mai 2022 chez Blaq Out.
Acteurs : Yuriy Borisov, Seidi Haarla, Yuliya Aug, Dinara Drukarova, Polina Aug, Tomi Alatalo…
Scénario : Juho Kuosmanen, Andris Feldmanis & Livia Ulman, d’après le roman de Rosa Liksom
Photographie : Jani-Petteri Passi
Durée : 1h43
Année de sortie : 2021
LE FILM
Une jeune finlandaise prend un train à Moscou pour se rendre sur un site archéologique en mer arctique. Elle est contrainte de partager son compartiment avec un inconnu. Cette cohabitation et d’improbables rencontres vont peu à peu rapprocher ces deux êtres que tout oppose.
Tiens, une production germano-estono-russo-finlandaise ! Ce n’est pas tous les jours que nous croisons ce genre de conglomérat cinématographique, raison de plus pour se pencher un peu plus sur Compartiment n°6 – Hytti Nro 6. Il s’agit du second long-métrage du réalisateur finlandais Juho Kuosmanen (né en 1979), remarqué en 2016 avec Olli Mäki, biopic tourné en N&B sur le premier finlandais à boxer dans un championnat du monde, auréolé du prix Un Certain Regard à Cannes. Adaptation très libre du roman éponyme de Rosa Liksom (paru en 2011), Compartiment n°6 est une invitation au voyage au bout de la nuit, au bout du monde, au bout de tout, loin de tout le monde. Un spleen fulgurant agrippe l’audience dès les premières scènes, dès l’apparition du fantastique visage de celle que la caméra ne perdra jamais de vue, Laura, magnifiquement interprétée par Seidi Haarla, très justement récompensée par le Dragon Award de la meilleure actrice, cérémonie qui couronne le meilleur du cinéma nordique (Finlande-Suède-Islande-Norvège-Danemark). C’est son charisme, sa présence, son hypersensibilité, son sourire, son regard triste qui s’éclaire au fil de son voyage qui demeurent tout d’abord en mémoire après la projection. Rien que pour elle, pour le désir du cinéphile de découvrir une future comédienne prometteuse, Compartiment n°6 mérite l’attention du spectateur globe-trotter.
Laura prend un train à Moscou pour se rendre sur un site archéologique en mer arctique, où elle doit étudier de mystérieux pétroglyphes. La jeune Finlandaise devait faire ce voyage avec Irina, sa petite amie, qui est aussi sa logeuse, mais le torchon brûle entre elles. Irina a voulu mettre un terme à leur histoire. C’est finalement seule que Laura entreprend le périple. Elle est contrainte de partager son compartiment avec un inconnu, un jeune Russe un peu trop porté sur l’alcool. Au fil des heures, elle commence à se confier à cet homme plus fragile et mystérieux qu’il n’y paraît…
Un portrait de femme, mais pas seulement. Compartiment n°6 s’attarde bien sûr sur le personnage de Laura, arrivée à un carrefour de son existence, dont le voyage en train sera propice à une introspection inattendue, mais c’était sans compter aussi sur l’apparition de celui avec lequel la finlandaise allait devoir partager son compartiment étriqué, un dénommé Ljoha. Russe, buvant comme un trou, emplissant la cabine de la fumée de ses cigarettes qu’il enchaîne sans discontinuer, cet inconnu semble être le dernier compagnon avec lequel on souhaiterait bavasser durant ce long, cet interminable trajet jusqu’à Mourmansk, la plus grande ville au monde au nord du cercle Arctique. Si les premiers contacts sont frileux, violents, maladroits, sauvages et rudes, ces deux êtres solitaires vont évidemment s’apprivoiser, mais sans forcer les événements, laissant le temps passé sur ces rails faire son office.
Si le spectateur apprendra lui-même à connaître Laura au fur et à mesure de ces moments de promiscuité, Ljoha, excellemment incarné par l’acteur russe Yuriy Borisov (vu dans T-34, machine de guerre d’Aleksey Sidorov et dans le rôle-titre du biopic Kalashnikov) restera assez secret jusqu’à la fin. Cela n’empêchera pas sa carapace de se fendre en se rapprochant de Laura, l’alcool aidant aussi sans doute un petit peu (la vodka coule beaucoup durant ces 105 minutes), les frictions laissant progressivement place au dialogue, à la confidence, au lâcher prise, à la confiance, à l’intimité, au partage.
Prenez votre billet et laissez-vous porter par le lent et apaisant bercement de ce train vraisemblablement peuplé de marginaux au coeur lourd, qui pourront profiter de ces espaces clos pour déverser ce qui les étouffe et les empêche d’avancer, afin de pouvoir enfin aller de l’avant. Le voyage est très beau, hypnotique même, son aboutissement marquera durablement les esprits et l’on repensera certainement à Laura et Ljoha en se demandant ce qu’ils sont devenus, surtout en réécoutant Voyage, voyage de Desireless qui berce le film à plusieurs reprises. Grand Prix du Festival de Cannes en 2021, ex æquo avec Un héros de Asghar Farhadi.
LE DVD
Étrangement, Compartiment n°6 n’est disponible (du moins pour le moment) en Blu-ray que dans les magasins Fnac. Nous avons entre les mains l’édition Standard, très belle, pour laquelle la jaquette reprend le superbe visuel de l’affiche d’exploitation, glissée dans un boîtier Amaray classique transparent, lui-même disposé dans un sur-étui cartonné élégant. Le menu principal est fixe et musical.
En guise de supplément, l’éditeur fournit un court-métrage de Juho Kuosmanen, réalisé en 2007 (18’30), Kestomerkitsijät – Roadmarkers. Trois ouvriers sur une route gelée. Un automne où le monde semble toucher à sa fin. Helvi voudrait s’échapper si elle savait où ? Rekonen est tombé lamentablement amoureux d’elle. Comment pourrait-il lui avouer ? Le rugissement continu des engins, les équipiers qui se moquent sans cesse, et toujours ce foutu froid. Un monde où phrases inachevées et violence ne sont qu’un moyen d’exprimer les émotions.
L’Image et le son
Blaq Out nous propose un très beau master de Compartiment n°6. Respectant les volontés artistiques du réalisateur et de son directeur de la photographie Jani-Petteri Passi, déjà à l’oeuvre sur Olli Mäki, la copie affiche une colorimétrie froide soignée (en extérieur), plus ambrée dans le train, des contrastes de belle tenue, un grain cinéma palpable (tournage en 35mm et cela se voit) et un piqué plutôt ferme, mais qui reste sensiblement émoussé sur les séquences sombres. L’image est propre, sans fioritures, les gros plans impressionnent par leur précision et la clarté est de mise. Les scènes en extérieur sont très belles et leurs teintes soignées.
Deux choix possibles, en version française ou en VO, une écoute frontale riche et dynamique, une spatialisation solide et un grand confort acoustique en Dolby Digital 5.1. Dans les deux cas, l’écoute demeure ardente, fait une large place aux dialogues tout en mettant à l’avant la musique du film. Les effets latéraux et ambiances naturelles pointent habilement le bout de leur nez. Sous-titres dans la langue de Molière bien sûr, y compris ceux destinés aux spectateurs sourds et malentendants.