UNIFORMES ET JUPON COURT (The Major and the Minor) réalisé par Billy Wilder, disponible en DVD et Blu-ray 4 novembre 2020 chez Rimini Editions.
Acteurs : Ginger Rogers, Ray Milland, Rita Johnson, Robert Benchley, Diana Lynn, Edward Fielding, Frankie Thomas, Raymond Roe…
Scénario : Charles Brackett & Billy Wilder d’après la pièce de Edward Childs Carpenter et l’histoire de Fannie Kilbourne
Photographie : Leo Tover
Musique : Robert Emmett Dolan
Durée : 1h36
Date de sortie initiale : 1942
LE FILM
Après avoir tenté sa chance à New York, Susan Applegate souhaite rentrer chez elle dans l’Iowa. Afin de bénéficier d’un billet de train à prix réduit, elle se fait passer pour une adolescente. Traquée par les contrôleurs, elle trouve refuge auprès du major Philip Kirby, qui, persuadé qu’elle est mineure, décide de lui venir en aide.
Contrairement à ce que l’on a souvent pensé, Uniformes et jupon court – The Major and the Minor (1942) n’est pas le premier long-métrage mis en scène par Billy Wilder (1906-2002). En effet, son premier coup d’essai derrière la caméra demeure Mauvaise graine, interprété par la jeune Danielle Darrieux, qu’il co-réalise à Paris avec Pierre Mingand en 1934, juste après avoir fui l’Allemagne nazie et dans lequel on retrouvait déjà moult motifs qui caractériseront son œuvre à venir, notamment une mise en scène constamment inventive et un rythme trépidant. Mauvaise graine n’était qu’une étape, une escale, puisque Billy Wilder parvient à s’envoler pour les Etats-Unis sous les conseils et avec l’aide du cinéaste Joe May (La Maison aux sept pignons, pionnier du cinéma allemand). Sur le sol de l’Oncle Sam, Billy Wilder, bien qu’ayant encore du mal avec la langue anglaise, devient scénariste. Outre Musique dans l’air – Music in the Air de Joe May qui lui a permis de laisser l’Europe derrière lui, il s’associe avec Charles Brackett et signent tous les deux l’histoire de La Huitième Femme de Barbe-Bleue – Bluebeard’s Eighth Wife d’Ernst Lubitsch en 1938. C’est une révélation et les deux hommes ne se quitteront plus jusqu’à Boulevard du crépuscule – Sunset Boulevard (1950). Après Cet âge ingrat – That Certain Age (1938) d’Edward Ludwig, La Baronne de minuit – Midnight (1939) de Mitchell Leisen, Ninotchka (1939) d’Ernst Lubitsch, What a Life (1939) de Theodore Reed, Éveille-toi mon amour – Arise, my love (1940) de Mitchell Leisen, Boule de feu – Ball of Fire (1941) de Howard Hawks et Par la porte d’or – Hold Back the Dawn (1941) de Mitchell Leisen, Billy Wilder obtient le feu vert pour mettre en scène son premier long-métrage américain, Uniformes et jupon court, pour lequel il demande une fois de plus à son complice Charles Brackett d’écrire le scénario avec lui, en s’inspirant d’une pièce d’Edward Childs Carpenter. C’est un petit coup de maître, un film matriciel, celui d’où l’une des plus grandes filmographies de l’histoire cinéma américain est partie. Si rétrospectivement The Major and the Minor apparaît subsidiaire, cette comédie n’en reste pas moins corrosive et culottée, puisque pour reprendre les mots de Billy Wilder lui-même « il s’agit du premier film américain qui traite clairement de pédophilie », où suite à un quiproquo, un homme de 35 ans se trouve sexuellement attiré par ce qu’il pense être une jeune fille de 12 ans…Contre toute attente, Billy Wilder est passé à travers les mailles du filet de la censure du tristement célèbre Code Hays qui faisait de ravages, en misant avant tout sur le caractère divertissant d’un vrai postulat de vaudeville, tout en faisant confiance à l’intelligence des spectateurs qui n’y verront avant tout qu’une confusion de la part de protagonistes idiots qui entourent le personnage principal. Toujours est-il qu’Uniformes et jupon court est une comédie truculente, dans laquelle brille Ginger Rogers, le véritable premier astre de la carrière cinématographique de Billy Wilder, définitivement lancé dans l’arène des cinéastes hollywoodiens.
Susan Applegate (Ginger Rogers), dégoûtée par sa vie new-yorkaise de coiffeuse pour homme à domicile, décide de retourner dans l’Iowa. Ses économies ne lui permettant pas de payer la totalité du voyage en train, elle se déguise en fillette pour bénéficier d’un billet demi-tarif. Traquée par les contrôleurs, Susan se réfugie dans le compartiment–lit d’un bel officier instructeur, le major Philip Kirby (Ray Milland). Croyant avoir affaire à une gamine de douze ans, il s’institue son protecteur. Mais, voilà ! Le bel officier a une fiancée qui vient le chercher à l’arrivée et découvre, par un malencontreux hasard, la passagère fraudeuse sans son déguisement de gamine. Énorme scandale à l’école militaire ! Entre-temps la fausse adolescente remet son déguisement et fait illusion devant tout l’aréopage militaire accusateur qui s’en trouve rassuré. C’est même chez la fiancée jalouse que Susan (alias Sou-Sou) est logée en compagnie de la sœur cadette de cette dernière. Le gentil officier instructeur, toujours dupe, joue le bon oncle protecteur de son invitée temporaire qui devient la coqueluche des élèves officiers.
En 1626, les hollandais achetèrent New York aux indiens. En 1941, il ne se trouvait pas un indien pour le regretter…
On comprend aisément ce qui a pu faire grincer les dents de certains ! En effet, comment ne pas voir dans Uniformes et jupon court, qu’un homme dans la fleur de l’âge, bien sous tous rapports et symbole de la discipline, se trouve irrésistiblement attiré par une fillette de 12 ans ! Cependant, et c’est là le génie déjà éclatant de Billy Wilder, le spectateur voit bien que Ginger Rogers, toute excellente comédienne qu’elle soit et aidée par des costumes (de la légendaire Edith Head) et un maquillage ajusté, n’a rien d’une gamine malgré sa jupe relevée, ses grandes chaussettes et son chapeau gigantesque qui semble l’écraser. Cette distance immédiate fait qu’on ne croit pas une seconde à ce déguisement, on peut même parler de travestissement, thème qui sera alors récurrent chez Billy Wilder. Par conséquent, on se moque des personnages qui entourent Susan, en se disant que rien n’est réaliste, mais que l’on se trouve dans une dimension uniquement comique, à l’instar d’une pièce de boulevard. C’est gros, c’est énorme, c’est complètement absurde, mais c’est aussi et avant tout du cinéma et donc tout est fait pour que l’audience puisse prendre un maximum de plaisir devant une comédie qui n’a aucune vocation à être naturaliste.
Une fois ce postulat installé, Billy Wilder et Charles Brackett peuvent changer de vitesse et accélérer la cadence en y allant à fond dans les sous-entendus, dans les méprises et les malentendus, puisque Susan va non seulement se retrouver prise à son propre piège, mais tomber dans une vraie souricière, une académie militaire remplie de jeunes qui n’ont pas loin de « son âge », au point qu’elle en devient l’objet de toutes les attentions. Ginger Rogers est au top de sa carrière quand elle tourne Uniformes et jupon court et vient d’ailleurs de remporter l’Oscar de la meilleure actrice pour sa prestation dans Kitty Foyle de Sam Wood. Avec son charisme qui rappelle à la fois les jeunes Melanie Griffith et Patricia Arquette, elle illumine The Major and the Minor. La comédienne vole la vedette à tous ses partenaires et porte le film sur ses belles épaules du début à la fin, y compris de son partenaire Ray Milland, qui obtiendra l’Oscar du meilleur acteur et le prix d’interprétation masculine au Festival de Cannes pour Le Poison du même Billy Wilder. Si ce dernier souhaitait à l’origine associer Cary Grant à Ginger Rogers, Billy Wilder parvient sans mal à profiter de la rigidité et du visage figé de Ray Milland, dont on devine constamment le bouillonnement intérieur dès sa rencontre avec Susan. Une confrontation inattendue qui le mettra face à lui-même, puisqu’il doit se marier et se contenter d’une vie qui semble déjà tracée et ce jusqu’à la fin de ses jours. Se voilant la face sur sa propre existence, on peut alors penser que cet aveuglement l’empêche de voir l’évidence, que Susan n’a rien d’une petite fille…
Sans aucune vulgarité, mais avec un génie constant dans les dialogues, dans la direction d’acteurs (fabuleux) et dans le rythme fulgurant qui porte le récit, Uniformes et jupon court condense tout ce qui fera l’identité du cinéma de Billy Wilder. La virtuosité du réalisateur-scénariste apparaît en filigrane, est palpable, n’explose pas encore au grand jour, mais se ressent constamment. L’ironie mordante est là, encore en sourdine et ne demande qu’à exploser. Ce que ne tardera pas à faire le cinéaste, au point d’accéder au firmament de l’industrie hollywoodienne.
LE BLU-RAY
Et de 11 !!! Rimini Editions ajoute un onzième long-métrage de Billy Wilder à sa collection, qui regroupe désormais Spéciale première, Avanti !, La Grande combine, Embrasse-moi, idiot, Irma la Douce, Un, deux, trois, La Garçonnière, Témoin à charge, La Valse de l’empereur, Le Poison et Uniformes et jupon court. La jaquette est typique de la collection, glissée dans un boîtier classique de couleur noire, lui-même glissé dans un surétui cartonné. Comme pour les autres titres, cette édition contient un livret de 28 pages rédigé par Marc Toullec, très bien illustré et qui revient sur la genèse, le tournage et la sortie d’Uniformes et jupon court. Le menu principal est animé et musical.
Et pour la onzième fois, nous retrouvons Mathieu Macheret (Le Monde) et Frédéric Mercier (Transfuge), qui partagent et échangent sur Uniformes et jupon court (31’30’). Comme d’habitude, les deux complices se renvoient habilement la balle et réalisent une excellente présentation du film de Billy Wilder, qu’ils situent dans sa carrière, tout en abordant les thèmes (ou comment adopter une autre apparence pour renaître et survivre, comment (re)devenir l’acteur de sa vie pour pouvoir la vivre), la genèse du film, les partis-pris, ainsi que les intentions du réalisateur, le casting et la psychologie des personnages. Quelques séquences sont aussi passées eu peigne fin, à l’instar de la scène d’exposition et celle du train.
L’Image et le son
Rimini Editions semble avoir repris le master restauré en 2K sur Arriscan par NBC Universal, à partir du négatif original 35mm. L’étalonnage a été révisé et la restauration dépasse de loin la copie éditée en DVD par Carlotta il y a près de quinze ans dans le coffret Billy Wilder – Uniformes et jupons courts + Les cinq secrets du désert. Le format 1.37 est évidemment respecté, le transfert est très agréable, la texture argentique bien gérée et le niveau des contrastes solide avec des blancs lumineux et une belle palette de gris. Quelques poussières, points noirs et blancs, ainsi que des griffures demeurent. Les détails sont très appréciables, le piqué correct et en dehors de sensibles pertes de la définition, ce master HD s’avère de très bonne qualité.
Cette édition comporte uniquement la version anglaise. Cette version jouit d’un écrin DTS-HD Master Audio de haute tenue. Une piste unique dynamique, riche, où la musique est joliment restituée et les saturations évitées. Les sous-titres français ne sont pas imposés.