SÉDUITE ET ABANDONNÉE (Sedotta e abbandonata) réalisé par Pietro Germi, disponible en Combo Blu-ray+DVD le 26septembre 2023 chez Tamasa Diffusion.
Acteurs : Stefania Sandrelli, Saro Urzì, Aldo Puglisi, Lando Buzzanca, Lola Braccini, Leopoldo Trieste, Umberto Spadaro, Paola Biggio…
Scénario : Agenore Incrocci, Furio Scarpelli, Pietro Germi & Luciano Vincenzoni
Photographie : Aiace Parolin
Musique : Carlo Rustichelli
Durée : 1h58 (version intégrale)
Date de sortie initiale : 1964
LE FILM
Peppino habite une petite ville de Sicile. Fiancé à Mathilde Ascalone, il abuse de Agnese, la soeur de Mathilde. Lorsque le père, Vincenzo Ascalone, apprend le déshonneur de sa fille qui maintenant attend un enfant de Peppino, il enferme la fautive et espère convaincre le coupable de réparer son erreur.
Pietro Germi (1914-1974), comédien, réalisateur, producteur et scénariste plusieurs fois récompensé pour ses oeuvres dans les festivals du monde entier (dont l’Oscar du meilleur scénario pour Divorce à l’italienne) est aujourd’hui bien trop souvent oublié quand on évoque l’âge d’or du cinéma italien. Malgré une timidité maladive, Pietro Germi a toujours défendu un cinéma engagé et usait de son art comme d’un vecteur pour contester certaines moeurs de la société, tout en désirant avant tout divertir les spectateurs dans le drame ou dans la comédie. Après Divorce à l’italienne, que l’on peut voir comme le premier volet d’un diptyque consacré à la famille et au mariage en Sicile, c’est encore une fois la Sicile que Germi a choisi pour cible en décrivant les comportements archaïques dont il critique les moeurs – morales bien sûr, mais aussi sexuelles – de plus en plus sévèrement. Sur un scénario corrosif signé Luciano Vincenzoni et de l’éternel tandem Age & Scarpelli, à l’aide un montage dynamique, de répliques cinglantes, d’un humour grinçant et de merveilleux comédiens, Séduite et abandonnée perce les tares d’une population hypocrite, en mettant en avant une aberration de la société sicilienne : le mariage réparateur.
Un village de Sicile à l’heure de la sieste. Alors que tout le monde dort, Peppino, un jeune étudiant, se met en tête d’aller conter fleurette à Agnese, la soeur de sa fiançée, Mathilde. Il n’a aucun mal à la séduire mais, pris de panique, il s’enfuit peu après. La jeune fille tombe enceinte, provoquant le scandale dans la famille et s’attirant les foudres de son père, Vincenzo. Celui-ci, blessé dans son honneur, décide de se venger. Il parvient à lui extorquer le nom du lâche séducteur. Il fonce chez Peppino mais, face à son refus de rompre avec Mathilde pour épouser Agnese, Vincenzo en vient à une solution plus radicale. Il veut se débarrasser de Peppino…
« Nous n’avons qu’une richesse : un nom respectable. »
Tous les moyens sont bons pour y parvenir : tromperies, détournements, rapts, bagarres, séquestrations, chantages et même des tentatives de meurtre exécutés par une galerie de personnages tous aussi hystériques les uns que les autres, notamment Saro Urzì (déjà présent dans Au nom de la loi, Le Disque rouge, Meurtre à l’italienne et Le Chemin de l’espérance), phénoménal dans le rôle du père de famille (dont le discours n’est pas sans rappeler celui d’un vrai mafieux, plaçant l’honneur et le respect avant le bonheur de sa fille) et récompensé au Festival de Cannes par le Prix d’interprétation masculine en 1964. S’ensuit alors une série de quiproquos, de rebondissements, de gags visuels déchaînés qui demeurent aussi frais qu’au premier jour, le tout joyeusement mis en musique par l’incontournable Carlo Rustichelli.
Avec son sens de l’observation aussi ironique que chaleureux et surtout en évitant de tomber dans la morale toute faite, Pietro Germi signe un véritable bijou du cinéma italien, élevant la comédie transalpine sur un indéboulonnable piédestal, illuminé par la beauté de Stefania Sandrelli, déjà l’objet de tous les tourments de Marcello Mastroianni dans Divorzio all’italiana. Si Agnese reste le noyau central de Séduite et abandonnée, le film se focalise réellement sur l’électron Don Vincenzo Ascalone qui gravite autour de sa fille, la dissimule aux yeux de tous, la frappe, l’humilie, tout en gardant un œil derrière lui histoire de voir si la population n’en vient pas à jaser sur cette histoire qui pourrait entacher sa réputation.
Comédie féroce ou drame teinté d’humour noir écrit à l’acide sulfurique, Sedotta e abbandonata est une redoutable radiographie de l’Italie des années 1960, composée d’une impressionnante galerie de monstres comme le cinéma transalpin aimait dépeindre. Alors entre deux genres, le chef d’oeuvre de Pietro Germi n’est pas loin de basculer dans l’horreur dans une dernière partie (voir la séquence du cauchemar) encore plus acerbe, repoussant plus loin les limites de la lâcheté et la veulerie de ses protagonistes, impression renforcée par l’utilisation de gros plans peu reluisants sur les trognes des habitants, d’un montage plus frénétique, d’un cadre déséquilibré. Pour le réalisateur, en abordant ce sujet épineux, mieux vaut en rire que pleurer des larmes de sang.
LE BLU-RAY
Séduite et abandonnée avait déjà connu les honneurs d’une sortie en DVD chez Tamasa Diffusion en 2012, sous la forme d’un superbe slim digipack cartonné qui comprenait également un petit livret de 12 pages signé Jean A. Gili. Dix ans plus tard, et même plus, l’éditeur propose enfin le chef d’oeuvre de Pietro Germi en Blu-ray, en Combo plus exactement, où les deux disques reposent aussi dans un Digipack à deux volets. Le livret qui accompagne cette édition est quasiment le même, Tamasa ayant ajouté un entretien avec le comédien Lando Buzzanca, aka Antonio Ascalone dans Séduite et abandonnée. Le menu principal est fixe et musical.
Exit la galerie de photos et d’affiches, ainsi que la filmographie sélective de Pietro Germi et de Stefania Sandrelli, Tamasa propose en revanche un formidable entretien avec Jean-Baptiste Thoret, visiblement enthousiaste de revenir sur Séduite et abandonnée (39’). Comme toujours, il serait difficile, voire impossible, de résumer tous les sujets abordés par le critique et historien du cinéma, mais sachez que l’invité de l’éditeur croise à la fois le fond et la forme du film de Pietro Germi, dresse un portrait complet du cinéaste et rappelle un bon nombre de ses longs-métrages, tout en évoquant ses thèmes de prédilection, l’évolution de son cinéma. Il y évoque aussi la genèse de Séduite et abandonnée, ainsi que les partis pris du metteur en scène, ses influences (le film noir, le western), ses intentions et le casting.
L’interactivité se clôt sur la bande-annonce.
L’Image et le son
C’est ce qu’on appelle un lifting de premier ordre, qui rend caduque le master Standard édité par Tamasa en 2012. La copie N&B est cette fois bien tranchée et immaculée, restaurée 4K par L’Immagine Ritrovata à partir d’un contretype négatif de seconde génération (et d’une bande magnétique pour le son). C’est une résurrection, qui corrige les anciens décrochages des contrastes, nettement plus harmonieux. Le piqué est assez dingue, les scènes d’extérieur sont très lumineuses, les noirs compacts et les gris profonds, tandis que le grain s’avère respecté. Plus aucune trace des anciens fourmillements anciennement visibles sur les arrière-fonds, ainsi que des scories, les raccords de montage et autres rayures verticales. Le confort de visionnage est cette fois total.
Comme c’est souvent le cas dans le cinéma italien, les comédiens passent pas mal de temps à crier, pas parce qu’ils se disputent mais plutôt parce qu’il s’agit de leur façon de s’exprimer. Séduite et abandonnée ne déroge pas à la règle et contient son lot de cris en tous genres. De ce fait, quelques saturations (très légères) sont inévitables mais le mixage italien demeure consistant et le souffle est limité. La musique est également bien mise en valeur. Comme de coutume, la bande-son a été entièrement retravaillée en post-production et, en dépit de quelques ambiances bien senties, l’ensemble s’avère un peu trop artificiel. ATTENTION, contrairement à l’ancienne édition DVD, aucune trace de la version française, dirigée par Pietro Germi himself. Aucune indication n’a été donnée, mais il est fort possible que le montage intégral présenté ici aurait comporté quelques passages jamais doublés, procédé que Tamasa a sans doute décliné.