SAMPO, LE JOUR OÙ LA TERRE GELA (Sampo) réalisé par Alexandre Ptouchko, disponible en Mediabook Blu-ray + 2 DVD + Livret le 6 février 2024 chez Artus Films.
Acteurs : Urho Somersalmi, Anna Orochko, Ivan Voronov, Andris Osins, Ada Voytsik, Eve Kivi, Georgiy Millyar, Mikhail Troyanovskiy…
Scénario :Viktor Vitkovich & Grigori Yagdfeld, d’après l’oeuvre d’Elias Lönnrot
Photographie : Gennadi Tsekavyj & Viktor Yakushev
Musique : Igor Morozov
Durée : 1h26
Date de sortie initiale : 1959
LE FILM
Dans un beau pays du Nord, le bûcheron Lemminkainen rencontre la belle Anniki, sœur du forgeron Ilmarinen qui connaît le secret de fabrication du Sampo, une roche magique produisant l’abondance. Non loin de là, sur l’île de Pohjola, peuplée de gnomes et de trolls, la sorcière Louhi désire augmenter sa puissance grâce au Sampo. Elle fait alors enlever Anniki afin d’attirer Ilmarinen sur ses terres.
Sampo, le jour où la Terre gela ou tout simplement Sampo est l’adaptation d’un roman d’Elias Lönnrot (1802-1884), à la fois médecin, explorateur, lexicographe, linguiste, écrivain, enseignant du folklore, pionnier de la botanique, journaliste, éditeur, scientifique, professeur de finnois et de littérature finlandaise. Une carte de visite conséquente, célèbre dans le monde entier pour ses ouvrages intitulés Kalevala et Kanteletar, recueils des anciens chants du peuple finnois. Sampo est inspiré du Kalevala, épopée basée sur des poésies de la mythologie finnoise transmises par l’oral et considérée comme faisant partie des œuvres les plus significatives en finnois. C’est celui que l’on surnommait le Walt Disney soviétique, Alexandre Loukitch Ptouchko (Le Conte du tsar Saltan, Le Géant de la steppe) qui prend en main ce blockbuster à l’ancienne, en s’emparant du récit publié en 1835, enrichi quinze ans plus tard, constitué de plus de 20.000 vers divisés en une cinquantaine de chants. Il fallait un magicien pour mettre en images cet ensemble de poèmes populaires, qui ressuscitent la vie dans les campagnes finlandaises, plus particulièrement en Carélie. Considéré comme le fondement de l’identité nationale de la Finlande, le Kalevala prend forme, naît devant nos yeux ébahis par tant de beauté grâce à la virtuosité de son metteur en scène. Si évidemment nous ne pourrons faire une comparaison entre le film et l’oeuvre d’Elias Lönnrot (ce que Matthieu Rehde fait magistralement dans le livret joint à la sublime édition Blu-ray de Sampo, disponible chez Artus Films), nous, simples spectateurs, ne pouvons que nous laisser porter par l’imagination débordante d’Alexandre Ptouchko, qui nous embarque une fois de plus dans un pays « imaginaire » où le surnaturel est omniprésent. C’est somptueux et annonciateur de l’heroic fantasy, puisque Sampo aura entre autres une grande influence sur Le Seigneur des anneaux de Tolkien. Rien que ça. Si ça ne vous donne pas envie on ne peut rien pour vous.
Les habitants du Kalevala sont un peuple pacifique et travailleur. Ils possèdent tout ce dont ils ont besoin et ce qu’ils veulent, à l’exception du mystique Sampo, un moulin magique capable de produire du grain, du sel et de l’or, qui apportera la prospérité à celui qui l’aurait. La seule personne au Kalevala capable de fabriquer un Sampo est le forgeron Ilmarinen, mais il ne peut le faire tant que sa sœur Annikki n’est pas tombée amoureuse. Annikki finit par tomber amoureuse du jeune Lemminkäinen qui travaille dur. Tout n’est cependant pas parfait. Il existe un pays sombre et lugubre appelé Pohjola, dirigé par une méchante sorcière appelée Louhi, qui souhaite un Sampo, mais ses sorciers sont incapables d’en forger un. Louhi apprend que seul Ilmarinen est capable de forger un Sampo. Elle envoie sa cape enchantée pour amener Annikki à Pohjola. Lemminkäinen court vers Ilmarinen pour l’informer que sa sœur a été enlevée et jure de la ramener. Il accepte de l’accompagner et partent sur un bateau construit à partir d’un chêne centenaire. À leur arrivée, Louhi leur demande d’accomplir chacun une tâche simple. Lemminkäinen est invité à labourer un champ jonché de serpents, ce qu’il fait à l’aide d’un cheval d’acier fabriqué par Ilmarinen. Puis, après que les sorciers de Louhi aient détruit leur bateau, en attribuant la responsabilité à une créature aquatique, Ilmarinen forge une autre embarcation en fer. La tâche finale est confiée à Ilmarinen ; il doit forger un Sampo. Il se met au travail et avec l’aide des trolls de Pohjola, ainsi que du feu du ciel lui-même, il forge un magnifique Sampo, qui commence immédiatement à fabriquer de l’or, des céréales et du sel…
Qu’est-ce que le Sampo ? Dans la mythologie finnoise, cet objet garantit la fortune à celui qui le possède. Lorsque cette invention fut volée à son constructeur, Ilmarinen, le pays de celui-ci fut confronté à des problèmes et une expédition fut donc mise en place pour le retrouver. Si l’on ne sait pas exactement à quoi ressemble le Sampo, qui a connu moult interprétations, le réalisateur respecte celle avancée par Elias Lönnrot dans le Kalevala, à savoir un moulin qui peut produire de la farine, du sel et de l’or. Là-dessus, le cinéaste laisse libre cours à sa créativité et soigne chaque scène, chaque plan, en y apportant cette touche inimitable qui a fait sa renommée sur la scène internationale. Son septième long-métrage (situé entre Le Géant de la Steppe et Les Voiles écarlates) est une nouvelle invitation dans son imaginaire, Ptouchko apportant sa griffe à la légende toujours très présente dans la culture finlandaise.
Outre la beauté incommensurable des décors naturels, celle de la photographie et des costumes, nous retiendrons cette fois encore l’immense réussite des effets spéciaux, qui 65 ans après la sortie du film conservent encore leur charme, leur magie, leur poésie. Si le temps des marionnettes est désormais loin pour Alexandre Ptouchko, celui-ci dispose de nouveaux moyens et des techniques modernes, afin de retranscrire visuellement ce qu’il a en tête pour transporter le public de l’autre côté de l’écran. On se laisse facilement convaincre par cette plongée dans les temps légendaires, dans le boisé et fluvial pays de Kalevala, le preux Lemminkäinen (la seule apparition au cinéma d’Andris Osins) aime la belle Annikki (la belle Eve Kivi, née en 1938, toujours en activité). Annikki a pour frère le forgeron Ilmarinen (l’imposant Ivan Voronov), le plus habile artisan du monde et le seul à connaître la recette de fabrication du Sampo, et à avoir la dextérité nécessaire pour le fabriquer. Hélas, pour pouvoir le faire, il lui manque le feu magique du pays de Pohjola, le feu céleste.
Sampo, première coproduction entre l’Union soviétique et la Finlande, c’est 85 minutes montre en main d’hypnose, durant lesquelles on oublie les soucis du quotidien, on croit à ce que le cinéaste nous montre, décrit, raconte. Le merveilleux n’a sans doute jamais été autant à portée de main qu’avec le cinéma d’Alexandre Ptouchko, qu’il est désormais temps de réhabiliter en France et dont les films méritent d’être montrés à la plus large audience possible.
L’ÉDITION BLU-RAY + 2 DVD + LIVRET
Artus Films s’impose une fois de plus parmi les meilleurs éditeurs basés sur le sol français. Non seulement l’Ours nous régale chaque mois avec ses westerns européens, les opus de Jess Franco, ses pépites SF Vintage ou autres, mais il le fait également en nous donnant la possibilité de (re)découvrir l’oeuvre d’ Alexandre Ptouchko dans des conditions aussi optimales qu’inespérées. Ainsi, après Le Conte du tsar Saltan, Le Géant de la steppe et, même s’il ne l’a pas officiellement mis en scène, Vij ou le diable, Artus Films présente une sublime édition Blu-ray + 2 DVD + Livret de Sampo, le jour où la Terre gela. Un Mediabook mirifique, où les trois disques sont solidement harnachés et qui contient un extraordinaire livre de 96 pages écrit par Matthieu Rehde (L’Écran fantastique) et intitulé Du Kalevala à Sampo : récit d’une production épique. Un ouvrage qui mérite toute l’attention de celui qui l’aura entre les mains, qui propose un retour on ne peut plus complet sur la genèse, les conditions de production et de tournage de Sampo, le jour où la Terre gela. Il serait bien prétentieux de résumer tout ce qui est écrit, analysé, disséqué dans ce livre divisé en 26 chapitres. Évidemment, beaucoup de propos tenus ici seront repris au fil des bonus disponibles sur cette édition, mais il faut saluer l’ampleur de ce livre, l’intelligence et la finesse des arguments avancés, la passion contagieuse avec laquelle l’auteur érudit a vraisemblablement entrepris ce travail. Le tout est magnifiquement illustré. Les menus principaux des trois disques sont fixes et musicaux.
On commence les festivités par une présentation du film par Christian Lucas et Stéphane Derdérian, complices d’Artus Films, qui sont cette fois réunis pour retracer l’histoire de Sampo, le jour où la Terre gela. Pendant près d’une heure, 51 minutes exactement, les deux complices replacent le film qui nous intéresse aujourd’hui dans l’oeuvre d’Alexandre Ptouchko. Non seulement cela, les sujets abordés sont aussi divers que variés, on y parle de l’origine de Sampo, du Kalevala d’Elias Lönnrot, de la musique, de la première coproduction entre la Finlande et l’URSS, des intentions du réalisateur, des partis-pris esthétiques et l’on apprend entre autres que Sampo a en réalité été tourné en quatre versions différentes, deux pour le marché finlandais en version classique (soit 1.37) et Sovscope (cadre large), et deux pour le marché soviétique en version classique et également en Sovscope, puisque rares étaient les salles équipées pour exploiter les longs-métrages réalisés en format 2.35, ce qui impliquait donc l’utilisation de deux caméras (parfois plantées l’une à côté de l’autre, mais pas toujours), tandis que les comédiens devaient passer d’une langue à l’autre. Christian Lucas et Stéphane Derdérian évoquent les connections avec le cinéma de Peter Jackson et James Cameron, la présence forte de la nature, le fait que Sampo n’ait pas connu de sortie dans les salles françaises, ainsi que la version raccourcie de près d’un tiers par Roger Corman pour sa sortie dans les salles américaines et rebaptisée The Day the Earth Froze.
Nous trouvons ensuite un making of d’époque (8’30), restauré 4K en 2018 à partir de la pellicule positive en 35mm. Tout est mis en œuvre pour nous présenter la gigantesque entreprise que cette adaptation du Kalevala par le grand Alexandre Ptouchko, qui a souhaité que son film soit le plus authentique possible, d’où une collaboration étroite avec des ethnographes. L’aspect coproduction entre la Finlande et l’URSS est aussi mis en valeur, ainsi que la beauté des décors naturels et des costumes.
Place à l’historienne du cinéma Mia Öhman, dont l’intervention divisée en trois segments, La percée du cinéma soviétique en Finlande (18’), Des relations houleuses (10’40) et Les autres coproductions (6’40), s’avère la plus politique de cette interactivité. Comment la puissante Mosfilm et le studio finlandais Suomi-Filmi ont fini par s’associer pour adapter l’inadaptable, autrement dit le Kalevala d’Elias Lönnrot ? Comment les pions ont été distribués ? Les plus adeptes d’histoire seront comblés, tandis que les autres auront une nouvelle approche de Sampo, le jour où la Terre gela, qui devait au passage servir à « transmettre la culture soviétique au monde entier, d’amener les gens à l’apprécier, à comprendre et à supporter les idées communistes ». À travers cette présentation, Mia Öhman parle aussi des conditions de tournage en Finlande durant l’été 1957, de l’opposition entre les finlandais et les russes, les premiers prétextant souvent que les seconds prenaient trop de libertés avec le récit original et se l’appropriaient pour véhiculer leurs idées alors diamétralement opposées.
On passe enfin à l’intervention de Nikolaï Mayorov, lui aussi historien du cinéma, qui explique pourquoi Sampo, le jour où la Terre gela a été tourné quatre fois, comme nous l’indiquons un peu plus haut. Des prises de vues multipliées par 4 (8’35) et Les effets spéciaux (36’) sont les deux segments de ce bonus qui abordent principalement l’aspect technique et d’exploitation du film d’Alexandre Ptouchko, où toutes les scènes truquées sont disséquées une par une et où l’on apprend également que Sampo est le premier film russe à bénéficier du son Stéréophonique à quatre canaux.
L’interactivité se clôt sur un Diaporama de photos et d’affiches d’exploitation.
L’Image et le son
Le master 4K (et non pas 2K comme l’indique le Mediabook) restauré en 2014 de Sampo, le jour où la Terre gela surpasse celui du Conte du tsar Saltan, édité par Artus Films en 2020. Cette nouvelle copie HD comblera tous les espoirs des admirateurs d’Alexandre Ptouchko. Le grain est là, la texture argentique se ressent à quasiment chaque plan. La propreté est irréprochable, c’est superbe sur les séquences diurnes avec une clarté insoupçonnée et un relief des textures et des matières. On en prend plein les yeux avec les paysages naturels. La définition sur les tous les plans à effets spéciaux est évidemment un peu plus chancelante. Mais c’est un choix, afin de préserver la nature originale de l’image composite, en respectant les partis pris et donc les défauts que cela comporte avec de très légers fourmillements, une palette chromatique plus délavée, un piqué moins pointu, une perte des détails et des contours parfois approximatifs. Retoucher à ces séquences aurait entraîné la furie des puristes. Signalons que la version proposée est la finlandaise Sovcope.
La piste finnoise 2.0 est assez percutante, sans souffle parasite, et l’ensemble reste constamment dynamique. Du point de vue technique, l’écoute est aérée, fluide, la musique étant excellemment délivrée. Ceux qui disposeraient d’un casque se rendront sans doute mieux compte de la répartition des voix et des effets sonores, l’éditeur essayant ainsi de retranscrire l’exploitation originale à quatre canaux.