QU’AS-TU FAIT À LA GUERRE, PAPA ? (What Did You Do in the War, Daddy?) réalisé par Blake Edwards, disponible en Combo Blu-ray + 2 DVD le 21 mai 2024 chez Rimini Editions.
Acteurs : James Coburn, Dick Shawn, Sergio Fantoni, Giovanna Ralli, Aldo Ray, Harry Morgan, Carroll O’Connor, Leon Askin…
Scénario : William Peter Blatty, d’après une histoire originale de Blake Edwards & Maurice Richlin
Photographie : Philip H. Lathrop
Musique : Henry Mancini
Durée : 1h51
Année de sortie : 1966
LE FILM
Été 1943, le capitaine américain Cash reçoit l’ordre de ses supérieurs d’envahir le village de Valerno en Sicile. Les habitants acceptent de se rendre à condition de pouvoir célébrer le soir même la fête annuelle du vin…Les Américains et les Italiens vont alors s’unir pour une journée et nuit sous le signe des femmes et de l’alcool. Les choses se gâtent quand les avions allemands et américains prennent pour des émeutes ce qui s’avère être des combats de rues mis en scène par les capitaines Cash et Oppo, pour la tranquillité des habitants.
Quand il tourne Qu’as-tu fait à la guerre, papa ? – What Did You Do in the War, Daddy?, le réalisateur Blake Edwards a déjà derrière lui Diamants sur canapé – Breakfast at Tiffany’s et vient de connaître un triomphe aussi inattendu qu’international avec La Panthère rose – The Pink Panther. Bien qu’il pense déjà à sa comédie militaire, on lui impose de surfer sur le succès de son félin fuchsia et Quand l’inspecteur s’emmêle – A Shot in the Dark sort dès l’année suivante, puis il enchaîne directement avec La Grande Course autour du monde – The Great Race, qui le confortent au box-office. Mais ce ne sera pas le cas de Qu’as-tu fait à la guerre, papa ? (échec critique et surtout commercial), qui demeure et restera probablement méconnu dans la filmographie de son auteur, et ce même si le film a commencé à être réhabilité depuis une quinzaine d’années. Cet opus rappelle non seulement que Blake Edwards n’est pas « que » le metteur en scène de La Party ou de La Panthère rose et de ses suites, mais qu’il est également le père de la comédie moderne, maintes fois imité mais jamais égalé. Encore plus irrévérencieux et fou que M*A*S*H, le film empile les gags et les quiproquos dévastateurs sur un scénario extraordinaire, une reconstitution soignée, jusque dans ses scènes de bataille. Burlesque, engagé, furieusement pacifiste et antimilitariste, le film de Blake Edwards use du slapstick avec virtuosité et prône la fleur au bout du fusil, le vin coulant à flots et les confettis remplaçant les munitions. Si vous croyiez que La Party était LA référence en matière de comédie décalée, dans le sens noble du terme, attendez de voir Qu’as-tu fait à la guerre, papa ?, à replacer de toute urgence dans le top de la filmographie de Blake Edwards.
La Sicile, en 1943. Le général Boit envoie la Compagnie C, commandée par le capitaine Cash, occuper le village de Valerno. Les Américains l’investissent sans rencontrer âme qui vive : la population et la garnison disputent un match de football. Tous, représentés par le capitaine Oppo, acceptent de se rendre, à condition de pouvoir célébrer le soir même la fête annuelle du vin. Cash, frais émoulu de l’Académie militaire, s’y refuse, mais le hâbleur lieutenant Christian le persuade d’accepter, en le jetant dans les bras de Gina Romano, la fille du maire. Malgré l’ordre de ne pas pactiser avec l’ennemi, les G.I’s se mêlent à la fête. Au petit matin, chacun émerge tant bien que mal des vapeurs d’alcool. Ayant découvert Cash dans le lit de Gina, sa fiancée, Oppo déclenche une rixe qui dégénère en bagarre générale. A la vue d’un cliché pris à cet instant par un avion de reconnaissance, le général Bolt pense que ses « petits gars » en sont au corps à corps. Afin de ne pas le détromper et de continuer à tranquillement pactiser, Oppo et Christian mettent en scène des combats de rue. Tout irait donc pour le mieux si, après l’armistice, des troupes allemandes ne venaient remettre « de l’ordre ».
Ça a l’air « simple » raconté comme cela, mais en fait il est quasiment impossible de résumer l’histoire ou tout ce qui se déroule dans Qu’as-tu fait à la guerre, papa ?. Blake Edwards passe la vitesse supérieure et livre une comédie que l’on pourrait qualifier d’expérimentale, à l’image de Playtime de Jacques Tati, tourné quasiment en même temps. Comme dans ce dernier, le cadre est si rempli sur tous les plans, que le spectateur « conditionné » ne saurait voir tout ce qui y est disséminé, étant de ce fait obligé de piocher ici et là des éléments avec lesquels il constituera son propre film, que l’on pourra alors revoir chaque fois en y glanant de nouvelles informations. On y retrouve évidemment certains motifs chers à Blake Edwards, comme les évadés, travestis, qui assomment un à un des soldats allemands aussitôt emportés au stade pour y prendre la place des prisonniers qui, vêtus de leurs uniformes, s’évadent à leur tour. Le cinéaste s’amuse à faire porter aux italiens et aux américains des uniformes allemands, qui deviennent à leur tour les geôliers des allemands avec lesquels ils ont échangé leur tenue.
C’est sur scénario touffu, bordélique et pourtant d’une extrême rigueur (To be or not to be d’Ernst Lubitsch et Certains l’aiment chaud de Billy Wilder ne sont pas loin), coécrit par Blake Edwards, son complice Maurice Richlin et (chose plus étonnante) William Peter Blatty (oui oui, l’auteur du roman L’Exorciste et futur réalisateur du troisième volet au cinéma, qui avait déjà œuvré sur Quand l’Inspecteur s’emmêle), que le metteur en scène « manipule » une distribution magistrale, menée par James Coburn (la même année que Notre homme Flint – Our Man Flint de Daniel Mann), Dick Shawn (Un monde fou, fou, fou, fou – It’s a Mad Mad Mad Mad World de Stanley Kramer, Les Producteurs – The Producers de Mel Brooks) et la belle Giovanna Ralli (Nous nous sommes tant aimés, El Mercenario).
Au-delà de son humour dévastateur, au sens propre comme au figuré, Qu’as-tu fait à la guerre, papa ? demeure aussi élégamment photographié par Philip H. Lathrop (Tremblement de terre, Le Maître des îles, Le Bagarreur, Seuls sont les indomptés) et Henry Mancini trouve cette fois encore ce petit truc de génie qui le distinguera toujours de ses confrères.
LE BLU-RAY
En 2010, Qu’as-tu fait à la guerre, papa ? sortait en DVD chez Wild Side Video dans la collection Les Introuvables de l’éditeur. Après une ressortie deux ans plus tard car en rupture de stock, nous n’avions plus entendu parler du film de Blake Edwards. C’est Rimini Éditions qui exhume ce titre en le proposant pour la première fois en Haute-Définition, dans un coffret 2 DVD (un pour le film, l’autre pour les bonus) + 1 Blu-ray. Les trois disques sont placés dans un boîtier classique de couleur bleue, glissé dans un fourreau cartonné. Belle jaquette au visuel rétro. Le menu principal est animé et musical.
Tous les suppléments ont été réalisés pour cette nouvelle édition.
Nous trouvons tout d’abord une conversation menée à cent à l’heure entre Thierry Jousse, critique et cinéaste (on préférera oublier Les Invisibles…), et Frédéric Mercier, journaliste et critique à la revue Positif (29’). Alors que l’on pouvait s’attendre à retrouver Mathieu Macheret, avec lequel Frédéric Mercier a beaucoup oeuvré pour le compte de Rimini Éditions, notamment sur les éditions HD de Billy Wilder, c’est Thierry Jousse qui prend aujourd’hui sa place. Un beau jeu de ping-pong s’installe entre les deux intervenants, qui livrent moult informations sur la genèse, le tournage et la sortie de Qu’as-tu fait à la guerre, papa ?. Le tandem décortique ce film de Blake Edwards, puis ils évoquent son contexte et le replacent dans la carrière du réalisateur, abordent le côté burlesque de cette production, qui sera comme qui dirait comme « un galop d’essai de que sera La Party ». Les scènes centrales sont ensuite disséquées, comme celle de la beuverie et surtout celle du réveil qui fait penser « à un lendemain de bataille ». Les thèmes comme la substitution et le travestissement sont aussi passés en revue.
Jean-Baptiste Thoret is back ! Une fois de plus interviewé par l’équipe de Bubbelcom, le critique, réalisateur et historien du cinéma propose dans un premier temps un portrait de Blake Edwards, à la fois l’homme et le cinéaste qu’il qualifie de « majeur » et même « important dans l’histoire du cinéma américain » (14’). JBT déclare que « tout le monde connaît ses films, mais comme Richard Fleischer, Blake Edwards n’est pas complètement identifié, car il est souvent passé par plusieurs genres ». Les motifs récurrents (le burlesque), ce va-et-vient entre deux tons opposés et les plus grands films du réalisateur sont ainsi passés au crible.
Nous retrouvons JBT dans un second module, cette fois consacré pleinement à Qu’as-tu fait à la guerre, papa ? (38’). Sont ici analysés : l’origine du titre et donc du film, l’écriture et l’évolution du scénario, la situation du film de guerre dans les années 1960, la place de Blake Edwards dans le cinéma hollywoodien, les intentions du réalisateur et ses partis-pris, « le dérèglement du réalisme », les thèmes (« la guerre c’est le chaos, donc c’est le burlesque », « la guerre en réalité ne veut rien dire du tout »), l’échec du film à sa sortie, le casting, la mise en scène, la musique d’Henry Mancini (« une variation un peu goguenarde du thème du Pont de la rivière Kwaï »).
L’Image et le son
Les réalisateurs de comédie sachant utiliser le cadre large sont plutôt rares et Blake Edwards compose chaque plan en y insérant souvent des gags de tous côtés. Le master aujourd’hui présenté est quasi-exempt de défauts majeurs et participe grandement à la redécouverte de ce joyau. La restauration s’avère assez luxueuse et malgré une ou deux scories, la copie est spectaculaire de bout en bout. Si les noirs denses côtoient les teintes kaki et marron des uniformes, les séquences diurnes mettent en valeur la clarté du soleil « sicilien ». Les clairs-obscurs sont également fréquents, aidés par une compression fine et ne perdant aucun détail. L’énorme fiesta du début du film permet à la palette colorimétrique de briller avec des nuances bigarrées. Blu-ray au format 1080p.
Deux pistes DTS HD Master Audio 2.0. Privilégiez évidemment la version originale, plus équilibrée et riche que la langue de Molière qui mise avant tout sur le report des voix, parfois au détriment des effets annexes, même si les quelques séquences de pétarades sont bien senties, notamment au début du film. Dans les deux cas, la propreté est de mise et la sublime composition de Henry Mancini est savamment délivrée. Parions que vous l’aurez dans la tête bien après le visionnage ! Signalons tout de même le ridicule du doublage français des personnages italiens renvoyant aux pires imitations de Roberto Benigni. Les sous-titres français ne sont pas imposés.