NOUS NOUS SOMMES TANT AIMÉS (C’eravamo tanto amati), réalisé par Ettore Scola, disponible en combo Blu-ray/DVD le 6 décembre 2023 chez Studiocanal.
Acteurs : Nino Manfredi, Vittorio Gassman, Stefania Sandrelli, Stefano Satta Flores, Giovanna Ralli, Aldo Fabrizi, Mike Bongiorno, Federico Fellini, Marcello Mastroianni…
Scénario : Agenore Incrocci, Furio Scarpelli & Ettore Scola
Photographie : Claudio Cirillo
Musique : Armando Trovajoli
Durée : 1h59
Date de sortie initiale : 1974
LE FILM
Trois camarades, frères d’armes pendant la résistance, attachés au même idéal de justice et de progrès social, célèbrent la fin de la guerre et la chute du fascisme en Italie. Gianni termine ses études de droit à Rome. Nicola enseigne dans un lycée de province. Antonio se retrouve modeste brancardier-infirmier. C’est une période d’espoir et d’euphorie…
« On se reverra dans 25 ans, donc plus jamais. ».
C’est un film culte, un vrai, un mythe, un monument, sans qui le cinéma italien ne serait pas tout à fait le même et qui a d’ailleurs servi de modèle pour ceux qui ont suivi. Nous nous sommes tant aimés – C’eravamo tanto amati est ce que l’on peut qualifier de miracle de cinéma, celui qui happe le spectateur, le prend par la main pour lui faire traverser l’écran, derrière lequel on se place en tant que témoin des multiples événements qui surviennent au fil des trente années qui nous sont contées. Avec ce dixième long-métrage, qui devait alors rencontrer un succès international, Ettore Scola (1931-2016) devait entrer définitivement dans la légende du septième art transalpin. Merveilleusement interprété par le quatuor Nino Manfredi, Vittorio Gassman, Stefania Sandrelli et Stefano Satta Flores (mais pas que), Nous nous sommes tant aimés est un chef d’oeuvre auquel on revient sans cesse, on fait référence, auprès duquel on se réfugie en cas de coup de mou, qui revigore. Rollercoaster émotionnel dont on ressort le coeur gros et l’esprit apaisé, C’eravamo tanto amati paraît inépuisable, le spectateur découvrant alors de nouvelles choses au fur et à mesure qu’il prend de l’âge lui-même et se rend compte du temps qui passe ou plutôt qui a passé. La poésie de la mélancolie. Capolavoro.
Trente ans déjà… Les derniers épisodes de la guerre, de la Résistance italienne contre le nazisme… Gianni, Nicola et Antonio sont trois amis… Mais, la guerre finie, la paix sépare le trio. L’un, Nicola, est marié et professeur dans une petite ville de province. L’autre, Antonio, brancardier dans un hôpital de Rome. Le troisième, Gianni, avocat-stagiaire chez un grand du barreau. Mais dans l’Italie de l’immédiate après-guerre, il est difficile de réussir avec des idées de gauche : communistes et socialistes sont écartés du gouvernement par les démocrates-chrétiens. Chacun des trois amis va donc suivre sa propre voie selon son caractère et le hasard des rencontres. Les années passent. Nicola, Antonio et Luciana se retrouvent par à coups et par hasard : au détour d’une rue, d’une émission de télévision, d’une liaison éphémère… Le temps des bilans est arrivé. « Le futur est passé et on ne s’en est même pas aperçus ! ».
« Nous voulions changer le monde, mais le monde nous a changés ! ».
En Italie, tout le monde connaît Luciana, Gianni, Nicola et Antonio, comme s’il s’agissait d’amis de longue date ou de parents éloignés, dont on se demande parfois ce qu’ils ont pu devenir. Après une légendaire introduction durant laquelle Nicola (Stefano Satta Flores, découvert dans Les Basilischi– I basilischi de Lina Wertmüller, vu dans Ces messieurs dames de Pietro Germi et Quatre Mouches de velours gris – 4 mosche di velluto grigio de Dario Argento) brise le quatrième mur, arrête le temps (y compris le plongeon de Gianni dans sa piscine), retour trente ans en arrière, là où tout a commencé. Ettore Scola narre l’histoire des petites gens dans l’Histoire de son pays, en démarrant en 1944, quand Gianni, Nicola et Antonio se lient d’amitié alors qu’ils ont pris le maquis pour combattre les Allemands. Lorsque sonne l’heure de la libération, un monde nouveau s’offre à eux. Militants fervents, pleins de rêves et d’illusions, les voici prêts à faire la révolution. Alors que tous trois, à des périodes différentes, vont avoir une aventure avec Luciana, aspirante actrice, la vie les sépare après la chute du régime fasciste et l’avènement de la République. Gianni, avocat en quête de clients, épouse Elide, la fille d’un parvenu aux allures grossières. Nicola, qui se destinait à être critique de cinéma, devient enseignant en province où il abandonne sa famille pour Rome. Antonio reste brancardier dans un hôpital romain. Mais tous n’ont jamais pu oublier Luciana, qu’ils recroiseront à certaines étapes de leur existence, même si la communication est devenue bien difficile entre eux.
« Les temps étaient durs, nous étions pauvres, mais heureux ».
Luciana, c’est la splendide Stefania Sandrelli, la même année que le magnifique Un vrai crime d’amour – Delitto d’amore de Luigi Comencini, qui collaborait pour la première fois avec Ettore Scola, qu’elle retrouvera plus tard pour La Terrasse – La Terrazza (1980), La Famille – La Famiglia (1987), Le Dîner – La Cena (1998) et Gente di Roma (2003). Resplendissante de jeunesse (elle avait alors 27 ans), la comédienne crève l’écran une fois de plus. À ses côtés, outre Stefano Satta Flores, deux des monstres de la comédie italienne, Nino Manfredi, qui avec Ettore Scola devait trouver ses plus grands rôles (ici entre Nos héros réussiront-ils à retrouver leur ami mystérieusement disparu en Afrique ? – Riusciranno i nostri eroi a ritrovare l’amico misteriosamente scomparso in Africa? et Affreux, sales et méchants – Brutti, sporchi e cattivi), et bien sûr Vittorio Gassman, qui s’apprêtait à remporter le Prix d’interprétation masculine au 28e Festival de Cannes pour Parfum de femme, ici dans un nouveau rôle de salopard qu’on ne peut s’empêcher d’aimer. Si l’on s’est souvent focalisé sur les quatre têtes d’affiche, il est important de saluer l’excellence des acteurs satellites, gravitant autour du noyau central, notamment Giovanna Ralli, que les cinéphiles auront pu admirer dans El Mercenario de Sergio Corbucci, Le Goût de la violence de Robert Hossein, Les Évadés de la nuit de Roberto Rossellini et Un héros de notre temps de Mario Monicelli, drôle et bouleversante dans le rôle d’Elide Catenacci, sur laquelle Gianni va jeter son dévolu pour s’élever en société.
Ettore Scola et ses coscénaristes, les fameux Age-Scarpelli, en profitent aussi pour rendre hommage au cinéma de leur pays (mais pas seulement) avec quelques références au Cuirassé Potemkine, Le Voleur de bicyclette, L’Année dernière à Marienbad, L’Éclipse, et les apparitions de Federico Fellini et de Marcello Mastroianni, à l’occasion de la reconstitution du tournage de la scène centrale de La Dolce Vita, celle se déroulant à la fontaine de Trevi. Nous nous sommes tant aimés est aussi dédié à Vittorio De Sica, qui lui aussi apparaît brièvement via des images d’archives, et qui s’est éteint avant la sortie du film. Difficile d’ajouter autre chose sur Nous nous sommes tant aimés, qui se ressent, qui tourneboule, qui s’incruste à jamais dans la mémoire et qui la creuse ad vitam aeternam.
« Je te laisse à tes remords ! ».
« Je n’ai aucun remord ! ».
« Si, si. ».
LE COMBO BLU-RAY + DVD
Nous nous sommes tant aimés est le soixante-sixième volume de la collection Make My Day ! créée en septembre 2018 par le critique et journaliste Jean-Baptiste Thoret chez Studiocanal, dont nous vous avons offert une grande partie des chroniques, que vous retrouverez facilement sur notre site. Rien ne change, les deux disques sont contenus dans un Digipack à deux volets, glissé dans un fourreau cartonné au visuel clinquant. Le menu principal est très légèrement animé et muet.
L’historien du cinéma et critique présente tout naturellement le film qui nous intéresse au cours d’une préface en avant-programme (10’). Comme il en a l’habitude, Jean-Baptiste Thoret replace de manière passionnante Nous nous sommes tant aimés (« un film fédérateur, une madeleine de Proust ») dans son contexte. L’occasion d’en savoir plus sur la genèse, les thèmes (les désillusions, l’échec politique, les années de plomb, la nostalgie ou la mélancolie du temps qui passe), le casting et la sortie du film. Jean-Baptiste Thoret aborde évidemment tous ces sujets, et bien plus, dont les accointances avec Une vie difficile de Dino Risi (disponible dans la même collection), la réflexion et le rôle du cinéma, ou le travail sur la temporalité. Pas de spoilers ici, le critique pense également à celles et ceux qui ne l’auraient pas encore vu.
Si l’éditeur n’a pas repris le documentaire présent sur l’ancienne édition DVD (dans lequel Ettore Scola revenait entre autres sur sa carrière et sur Nous nous sommes tant aimés), nous trouvons ici une excellente intervention de l’éminent Jean A. Gili (51’). Après avoir évoqué la carrière d’Ettore Scola avant le film qui nous intéresse aujourd’hui, l’historien du cinéma et critique aborde C’eravamo tanto amati, en indiquant l’importance de l’oeuvre du cinéaste dans l’histoire du cinéma italien, en croisant à la fois le fond et la forme, en parlant de l’évolution du scénario, qui à la base ne tournait qu’autour de la figure de Vittorio De Sica. Le casting, les personnages, la direction d’acteurs, le contexte politico-socio-économique de l’époque, et bien d’autres éléments (le triomphe du cinéma italien à cette époque, qui attirait 800 millions de spectateurs en une année) sont inscrits au programme de cette magistrale leçon de cinéma.
L’Image et le son
Nous nous sommes tant aimés a été restauré en 2016 par L’Immagine Ritrovata, à partir du négatif original conservé au Centro Sperimentale di Cinematografia, la supervision de la correction des couleurs ayant été réalisée par Luciano Tovoli, directeur de la photographie qui avait collaboré à trois reprises avec Ettore Scola (Splendor, Quelle heure est-il et Le Voyage du Capitaine Fracasse). Ce nouveau et éclatant master restauré proposé en HD ainsi que dans son format respecté 1.85 est une vraie merveille et en met plein les yeux. La colorimétrie est volontairement et sensiblement désaturée (parfois même sépia), l’image immaculée, la profondeur de champ probante, les détails abondent, les noirs sont denses et le piqué acéré. Nous nous sommes tant aimés mêle le présent avec le passé des personnages, caractérisé par l’utilisation d’un N&B riche, dense et magnifiquement contrasté. Comme d’habitude avec Studiocanal, la compression AVC est solide comme un roc, l’ensemble est fluide et remarquable, et les volontés artistiques du chef opérateur Claudio Cirillo (La Carrière d’une femme de chambre, Un murmure dans l’obscurité) magnifiquement restituées. La texture argentique est heureusement préservée, parfois abondante, mais demeure bien gérée.
En italien comme en français, les deux pistes DTS-HD Master Audio Mono 2.0 ont subi un dépoussiérage minutieux et offrent de belles conditions acoustiques. Les dialogues sont clairs et distincts, la splendide musique signée par le fidèle collaborateur d’Ettore Scola, Armando Trovaioli, est joliment délivrée et aucune saturation n’est à déplorer. Les deux mixages sont dynamiques. Si de grands noms ont prêté leur voix pour la VF (Michel Roux, Jean-Claude Michel, Dominique Paturel, Béatrice Delfe), évitez cette version doublée car vous y perdrez évidemment la musicalité de la langue italienne, mais aussi en naturel et spontanéité.
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