MILAGRO (The Milagro Beanfield War) réalisé par Robert Redford, disponible en DVD et Blu-ray le 18 mai 2021 chez Rimini Editions.
Acteurs : Rubén Blades, Richard Bradford, Sonia Braga, Julie Carmen, James Gammon, Christopher Walken, Melanie Griffith, Daniel Stern, John Heard…
Scénario : David S. Ward, d’après le roman de John Nichols
Photographie : Robbie Greenberg
Musique : Dave Grusin
Durée : 1h57
Année de sortie : 1988
LE FILM
Joe Mondragon, pauvre ouvrier agricole d’un village du Nouveau-Mexique, décide un jour d’irriguer son champ en détournant l’eau d’un chantier immobilier. Son acte va provoquer une véritable révolution à la fois âpre et burlesque, qui ira au-delà de ce village perdu.
La même année que Le Cavalier électrique – The Electric Horseman de Sydney Pollack et Brubaker de Stuart Rosenberg, Robert Redford décide de passer derrière la caméra pour réaliser son premier long métrage, Des gens comme les autres – Ordinary People, adaptation du roman éponyme de Judith Guest publié en 1976. Un immense succès public et critique, récompensé par de nombreux Oscars et Golden Globes, dont ceux du Meilleur réalisateur et du Meilleur film. Un début on ne peut plus encourageant pour le comédien. Néanmoins, Robert Redford attendra huit ans pour réitérer l’expérience, tout en mettant un frein à sa carrière d’acteur. Durant toutes ces années, il n’aura de cesse de travailler sur la transposition du roman de John Nichols, The Milagro Beanfield War, premier volume d’une trilogie consacrée au Nouveau-Mexique avec The Magic Journey et The Nirvana Blues. Au début des années 1980, Robert Redford commencera un long parcours du combattant pour tirer un scénario de ce livre conséquent et riche, qui entremêle l’ethnicité, les traditions séculaires, les droits fonciers et même aquatiques dans la ville fictive de Chamisaville, au Nouveau-Mexique. Pour beaucoup de cinéphiles, Milagro demeure le chef d’oeuvre de Robert Redford en tant que metteur en scène. Véritable western atypique, furieusement moderne, bourré d’humour, de poésie et de tendresse, The Milagro Beanfield War reste pourtant méconnu, même si à sa sortie près de 600.000 français seront venus l’applaudir dans les salles et ce malgré l’absence (ou presque) de stars à l’affiche. Véritable bijou insoupçonné et trésor caché de la filmographie de Robert Redford, Milagro, est comme la signification du titre en espagnol, un vrai petit miracle de cinéma.
Près de 500 habitants de la communauté agricole de Milagro dans les montagnes du nord du Nouveau-Mexique sont confrontés à une crise lorsque des politiciens et des hommes d’affaires concluent un accord pour s’accaparer l’eau de la ville afin d’ouvrir la voie à un rachat de terres. En raison des nouvelles lois, Joe Mondragon est incapable de vivre de l’agriculture, car il n’est pas autorisé à détourner l’eau d’un fossé d’irrigation qui passe devant sa propriété. Frustré et incapable de trouver du travail, Joe visite le champ de son père. Il tombe sur une étiquette indiquant « interdit » couvrant une vanne sur le fossé d’irrigation et de colère donne un coup de pied dedans, ce qui malencontreusement la brise et permet à l’eau d’inonder ses champs. Il décide de ne pas réparer la vanne, mais en profite pour planter des haricots dans le champ. Cela conduit à une confrontation avec un mercenaire étranger à la ville. Une réaction en chaîne d’événements s’ensuit, conduisant à une opposition entre les forces de l’ordre et les citoyens de Milagro.
Joe Mondragon a laissé l’eau couler dans le champ de haricots de son père !
Robert Redford n’était pas encore prêt pour apparaître dans un film qu’il réalisait, préférant se concentrer alors sur la mise en scène. Néanmoins, on retrouve dans Milagro son élégance et sa solide direction d’acteurs. Tous les comédiens du film sont exceptionnels, de Rubén Blades à Richard Bradford (La Poursuite impitoyable, Missouri Breaks), en passant par Sonia Braga (Aquarius, Le Baiser de la femme araignée, La Relève), Julie Carmen (L’Antre de la folie, Gloria), Carlos Riquelme, Chick Vennera, James Gammon, Jerry Hardin, M. Emmet Walsh, et parmi les plus connus, Melanie Griffith, John Heard, Daniel Stern et Christopher Walken, bref un vrai film choral où chaque acteur s’apparente à une note indispensable dans la bonne harmonie d’un récit vivant et vibrant. Milagro est une œuvre qui transpire d’amour et de chaleur humaine. Certes, il y a un vrai message politique qui parcourt le film, mais ce qui intéresse avant tout Robert Redford, ce sont ces portraits de personnages qui se confrontent et s’entremêlent, bien décidés à défendre leur culture vieille de 400 ans, sur le point d’être éradiquée, rayée de la carte par les tractopelles qui ont déjà commencé à retourner la terre rouge environnante afin d’y implanter un parc de loisirs.
Robert Redford évite tout pathos et échappe – parfois de peu certes – au manichéisme simpliste, en livrant finalement une fable écologique et humaniste parfois inclassable, teintée de magie voire de mysticisme, à l’instar du générique du film et son épilogue. Le scénario de David S. Ward, l’auteur de L’Arnaque de George Roy Hill, n’oublie aucun protagoniste et tous sont logés à la même enseigne, du côté de la ville de Milagro, comme du côté de leurs adversaires, les promoteurs qui pensaient qu’ils pouvaient tout se permettre. Non seulement Milagro est un film passionnant, drôle et émouvant, mais il est également beau à regarder. La photographie de Robbie Greenberg (Sauvez Willy, Coup de foudre et conséquences) est à se damner et ce dès l’ouverture, où la passion pour la peinture de Robert Redford se ressent à chaque plan, comme ce sera souvent le cas dans ses œuvres suivantes où la nature y prend une place primordiale, Et au milieu coule une rivière (1992) et L’Homme qui murmurait à l’oreille des chevaux (1998) en premier lieu. N’oublions pas aussi la superbe partition de Dave Grusin (Virages, Le Flic se rebiffe, Les Goonies), très justement récompensée par un Oscar.
Distribué par Universal, mais entièrement produit par Robert Redford avec un budget confortable de 22 millions, Milagro n’a sans doute pas explosé les compteurs du box-office, mais n’a eu de cesse d’être salué à travers le monde et surtout d’être réévalué. Une récompense bien méritée pour ce film magnifique qui fait du bien à l’âme, réchauffe le coeur et échauffe les esprits.
LE BLU-RAY
Une nouvelle sortie ambitieuse pour Rimini Editions qui sort Milagro, complètement méconnu ou oublié en France, en DVD et en Blu-ray. Le visuel de la jaquette reprend celui de l’affiche originale et se trouve glissée dans un boîtier classique de couleur noire, lui-même disponible dans un sur-étui cartonné élégant. Le menu principal est animé et musical.
Le seul supplément, mais de taille, de cette interactivité, est la conférence de presse réalisée au Festival de Cannes le 15 mai 1988, à l’occasion de la présentation (hors-compétition) de Milagro (47’). Robert Redford, accompagné de Melanie Griffith, Sonia Braga et Daniel Stern, répondent aux questions souvent très redondantes (« Vous vous intéressez à la politique ? »), stupides (« Aimeriez-vous diriger un pays ? ») ou hors-sujet (surtout quand la vie privée de Robert Redford est abordée) des journalistes. Le réalisateur semble parfois gêné par tout le spectacle cannois. De nature réservée, le comédien et réalisateur joue néanmoins le jeu et met ses camarades en valeur, notamment Daniel Stern, quelque peu oublié par les journalistes, qui intervient enfin dans les cinq dernières minutes. Robert Redford et ses comédiens (qui prennent le café ou qui clopent) reviennent sur le livre de John Nichols, sur la longue gestation du projet, les difficultés de l’adaptation, les thèmes du film, le casting. Robert Redford évoque son attachement pour les petites gens, pour les personnes âgées, pour l’Amérique latine, pour la nature et sa protection, tout en indiquant ne pas être encore prêt pour apparaître dans un long-métrage dont il serait également le metteur en scène.
L’Image et le son
Que dire si ce n’est que nous nous trouvons devant une remarquable restauration du film de Robert Redford. On oublie rapidement les deux ou plans plus flous ou grumeleux, car dès la première séquence, le master HD de Milagro en met plein la vue et permet d’apprécier la sensationnelle photographie du chef opérateur Robbie Greenberg ainsi que les extraordinaires paysages naturels. Le piqué est constamment ciselé, la texture du grain toujours palpable, la luminosité chronique et les détails omniprésents aux quatre coins du cadre. Les contrastes affichent également une solidité à toutes épreuves sur les scènes nocturnes et diurnes, le relief est indéniable, la colorimétrie est chatoyante et la profondeur de champ impressionnante. Un lifting de très grande classe.
Les versions originale et française bénéficient d’un mixage DTS-HD Master Audio 2.0. Le confort acoustique est largement assuré dans les deux cas. L’espace phonique se révèle probant et les dialogues sont clairs, nets, tout comme la musique très bien délivrée. Que vous ayez opté pour la langue de Shakespeare (conseillée) ou celle de Molière, aucun souffle ne vient parasiter votre projection et l’ensemble reste propre. La piste française, moins naturelle que son homologue, place peut-être les voix trop en avant par rapport aux ambiances annexes, mais cela demeure anecdotique. Les sous-titres français ne sont pas imposés.