Test Blu-ray / Madre, réalisé par Rodrigo Sorogoyen

LE PACTE réalisé par Rodrigo Sorogoyen, disponible en DVD et Blu-ray le 2 décembre 2020 chez Le Pacte.

Acteurs : Marta Nieto, Jules Porier, Alex Brendemühl, Anne Consigny, Frédéric Pierrot, Guillaume Arnault, Raúl Prieto, Blanca Apilánez…

Scénario : Isabel Peña & Rodrigo Sorogoyen

Photographie : Alejandro de Pablo

Musique : Olivier Arson

Durée : 2h09

Date de sortie initiale : 2020

LE FILM

Dix ans se sont écoulés depuis que le fils d’Elena, alors âgé de 6 ans, a disparu. Dix ans depuis ce coup de téléphone où seul et perdu sur une plage des Landes, il lui disait qu’il ne trouvait plus son père. Aujourd’hui, Elena y vit et y travaille dans un restaurant de bord de mer. Dévastée depuis ce tragique épisode, sa vie suit son cours tant bien que mal. Jusqu’à ce jour où elle rencontre un adolescent qui lui rappelle furieusement son fils disparu…

Tandis que nous rédigions notre chronique consacrée à El Reino, le cinéaste Rodrigo Sorogoyen mettait déjà une touche finale à son nouveau film, Madre. Révélation de l’année 2016, le réalisateur né à Madrid en 1981, avait conquis la critique et les spectateurs avec son premier long métrage réalisé en solo, Que Dios nos perdone. Après 8 citas (2008) et Stockholm (2013), qu’il avait respectivement cosigné avec Peris Romano et Borja Soler, Rodrigo Sorogoyen avait bien fait de voler de ses propres ailes puisqu’El Reino était un nouveau coup de maître, coécrit une fois de plus avec Isabel Peña, complice du réalisateur depuis plus de dix ans et qui avaient déjà collaboré sur les séries Impares (2008) et La pecera de Eva (2010). Après avoir dominé la cérémonie des Goya en remportant sept Prix, y compris ceux du meilleur réalisateur, scénario original et acteur pour El Reino, Madre confirme non seulement la singularité du cinéaste, mais aussi et surtout qu’il est assurément l’un des plus grands metteurs en scène européens en activité. Loin de la folle énergie d’El Reino et de sa plongée viscérale dans un bocal de piranhas, autrement dit dans le monde des politiciens véreux et corrompus, Madre est un drame psychologique puissant, dont la douceur de la réalisation contraste avec la tempête qui sévit dans la tête de son personnage principal.

A l’origine de Madre, il y a un court-métrage du même nom, réalisé par Rodrigo Sorogoyen en 2017, avec déjà Marta Nieto dans le rôle principal, qui correspond au premier quart d’heure de Madre version long-métrage, autrement dit la séquence du coup de téléphone donné à Elena par son petit garçon, abandonné par son père sur une plage française des Landes. Ce film avait été sélectionné et récompensé à de multiples reprises dans de nombreux festivals et nommé aux Oscars. Rodrigo Sorogoyen a très vite voulu revenir à ce personnage d’Elena, non pas pour raconter l’enquête qui a dû découler de cette disparition, mais comme qui dirait pour prendre de ses nouvelles, dix ans après le drame. Si effectivement la scène d’exposition est sans doute la plus difficile que vous pourrez voir cette année, la suite s’avère un fabuleux portrait intimiste d’une femme qui arrive à un carrefour de sa vie. Comment vivre définitivement avec cette perte tragique ? Comment s’en relever ? Une rencontre va soudainement décider du destin d’Elena, celle avec un adolescent de 16 ans, Jean, qui lui rappelle étrangement son fils disparu…

Tout d’abord bouleversée, puis intriguée, elle le suit jusqu’à son domicile où il rejoint ses parents (les excellents Anne Consigny et Frédéric Pierrot) et son frère, des parisiens en vacances. Si Elena ne peut s’empêcher de penser à son fils, Jean semble attiré par cette femme de bientôt quarante ans. Alors qu’Elena, qui a posé ses bagages en France il y a quelques années près du lieu de la disparition probable de son enfant, est sur le point de refaire sa vie avec son fiancé Joseba et de s’installer avec lui, elle se rapproche aussi de ce jeune homme que personne, en particulier sa propre famille, ne semble en mesure de comprendre l’hyper-sensibilité, à l’exception de celle que certains surnomment « la folle de la plage » quand ils la croisent errant sur le littoral, comme si elle attendait soudainement que son fils réapparaisse.

Madre, c’est un visage, celui désormais inoubliable de la magnifique et époustouflante Marta Nieto, récompensée par le Prix de la meilleure actrice de la section Orizzonti à la Mostra de Venise en 2019. Complètement inconnue en France, la comédienne a essentiellement écumé les séries télévisées ibériques (Generación DF, Los hombres de Paco, Hermanos & detectives, Cuéntame…) pendant près de 15 ans et ses apparitions au cinéma demeuraient alors confidentielles. Madre va sûrement changer sa carrière définitivement. Quasiment de tous les plans, Marta Nieto crève l’écran. De la scène d’ouverture (en plan-séquence) en passant par celle (toujours en plan-séquence) où le spectateur découvre Elena dix ans plus tard, perdue sur la plage, ou plus tard quand Elena observe Jean en train de dormir, ou se perdant avec quelques jeunes en boite de nuit, avant de décliner une after (une réaction qui tourne mal), jusqu’à la dernière rencontre entre Elena et Jean, nous n’avons d’yeux que pour Marta Nieto, qui signe assurément l’une si ce n’est la plus grande prestation de l’année 2020 au cinéma.

Alors que Madre version court-métrage était un film sur la peur, Madre version long-métrage est une œuvre sur l’apaisement et l’acceptation. Si la relation qui s’instaure entre Elena et Jean (Jules Porier, vu dans Marvin ou la belle éducation d’Anne Fontaine et dernièrement dans Play d’Anthony Marciano) est on ne peut plus ambiguë, on pense parfois au Souffle au coeur (1971) de Louis Malle, Rodrigo Sorogoyen se concentre avant tout sur la rencontre entre deux solitaires, où chacun va comprendre l’autre de façon quasiment instantanée et l’aider à grandir ou à avancer. La mise en scène est exceptionnelle, la photographie belle à se damner, et même si Madre n’est pas un thriller paranoïaque comme El Reino, le film reste un véritable uppercut cinématographique, complexe et fascinant. Le rythme d’El Reino semblait brancher sur le coeur palpitant de son personnage principal et allait à cent à l’heure. Celui de Madre est tout autant relié à l’organe vital d’Elena, mais le tempo s’apparente ici à une succession de douces respirations, à la fois languissantes et sensuelles, parfois heurtées, mais qui se détendent finalement très rapidement, jusqu’à l’harmonie de la dernière séquence où on laisse Elena disparaître dans un fondu au blanc éclatant. Magistral.

A Laurent Garcia.

LE BLU-RAY

A l’instar de Que Dios nos perdone et El Reino, c’est sous les couleurs du Pacte que Madre sort dans les bacs, en DVD et en Blu-ray. Cette édition HD reprend le visuel de l’affiche du film. Le menu principal est animé et musical.

Après votre projection, prolongez le plaisir procuré par le film avec l’interview réalisateur Rodrigo Sorogoyen (15’). Le cinéaste s’adresse tout d’abord aux spectateurs français (dans la langue de Molière) pour les remercier d’avoir acheter le DVD et le Blu-ray de son film. Puis, Rodrigo Sorogoyen explore la genèse de Madre (le court-métrage donc), ses intentions (revenir au personnage d’Elena, faire un film moins ambitieux et plus intime, plus libre et ouvert), les personnages, les partis pris (l’utilisation du plan-séquence) et le travail avec les comédiens. Très sympathique et passionné, le réalisateur explore également le travail d’écriture avec sa coscénariste Isabel Peña, ce qui les a inspirés, sans oublier la psychologie de son personnage principal et sa collaboration avec le directeur de la photographie Alejandro de Pablo, leur cinquième, ainsi qu’avec son compositeur attitré, le français Olivier Arson.

Le making of (8’) donne un petit aperçu du tournage à travers des images des repérages des lieux de tournage à Vieux-Boucau ou de tournage, où le cinéaste est visiblement très proche de ses comédiens. Les propos de l’équipe (le monteur Alberto del Campo, le musicien Olivier Arson, le réalisateur Rodrigo Sorogoyen et la coscénariste Isabel Peña) s’expriment une fois de plus sur la genèse, les intentions, les parti-pris et les thèmes explorés dans Madre, avec quelques légères redondances avec ce qui a déjà été entendu précédemment.

Quelques petites scènes coupées (7’), très belles à regarder, prolongent un petit peu la relation entre Elena et son fiancé, ou le quotidien de Jean avec sa famille.

En plus de la bande-annonce, vous trouverez également un lot de modules consacrés aux essais et aux répétitions des comédiens, dont le screen-test de Jules Porier, à qui le réalisateur s’adresse en français et lui demande son ressenti après avoir lu le scénario. Au total, ce sont sept petits segments (pour une durée totale de 22’30), qui montrent que les répétitions étaient déjà très proches du résultat final souhaité par Rodrigo Sorogoyen.

L’Image et le son

Il s’agit probablement d’un des plus beaux masters HD proposés en cette fin d’année 2020. Rodrigo Sorogoyen et son directeur de la photographie Alejandro de Pablo ont privilégié des prises de vue en grand angle et des couleurs fraîches. Le résultat est particulièrement bluffant en Blu-ray avec une profondeur de champ inouïe et toutes les scènes de plage sont d’une beauté à couper le souffle. Le piqué est chirurgical, les contrastes d’une densité jamais démentie, les détails foisonnent aux quatre coins du cadre large et la luminosité est digne de celle qui berce le golfe de Gascogne en été. Superbe.

La piste franco-espagnole DTS-HD Master Audio 5.1 offre un très agréable confort acoustique, proposant une large ouverture frontale, divers effets latéraux (gros travail sur le son, encore une fois sur les scènes de plage) et une belle spatialisation de la musique envoûtante et mélancolique d’Olivier Arson. À noter la présence de sous-titres français pour sourds et malentendants, ainsi qu’une piste Audiodescription.

Crédits images : © Le Pacte / Manolo Pavón / Captures du Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

Une réflexion sur « Test Blu-ray / Madre, réalisé par Rodrigo Sorogoyen »

  1. Bonjour,
    J’aurai souhaiter en apprendre un peu plus long sur le choix de ce grand angulaire qui déforme l’image d’une façon telle que cela m’a dérangé pendant un bonne partie du film.
    Est ce un choix esthétique ? Peut être une mise à distance qu’à voulu le réalistaeur par rapport à la structure de son récit car étrangement les choses s’arrangent un peu vers la fin ou alors on s’y habitue…J’ai adoré le film , l’actrice qui occupe la scène avec une remarquable présence mais voilà la fête n’était pas complète !
    Merci pour le sérieux de votre travail…

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