LITTLE ODESSA réalisé par James Gray, disponible en DVD et Blu-ray le 3 janvier 2023 chez Metropolitan Vidéo.
Acteurs : Tim Roth, Edward Furlong, Moira Kelly, Vanessa Redgrave, Maximilian Schell, Paul Guilfoyle, Natalya Andreychenko, David Vadim…
Scénario : James Gray
Photographie : Tom Richmond
Musique : Dana Sano
Durée : 1h38
Date de sortie initiale : 1994
LE FILM
Joshua Shapira est un tueur à gages. Il exécute son boulot sans états d’âme. Jusqu’au jour où son commanditaire exige un contrat à Brighton Beach, quartier des juifs russes appelé Little Odessa, où Joshua a passé son enfance. C’est dangereux pour Joshua, car et il risque d’être reconnu. De plus, la mafia ukrainienne veut l’abattre. Au moins pourra-t-il revoir son frère Reuben, sa mère mourante et ce père qui l’a jadis banni.
James Gray Begins. Avant de devenir le cinéaste habitué du Festival de Cannes, où quasiment tous ses films seront présentés par la suite, portés par une critique dithyrambique en France (La Nuit nous appartient et Two Lovers obtiendront le César du Meilleur film étranger), le réalisateur né à New York en 1969 signait un premier coup d’essai et coup de maître avec Little Odessa, qui sera récompensé en 1994 par le Critics Award Festival du cinéma américain de Deauville, ainsi que le Lion d’argent à la Mostra de Venise. Presque 200.000 spectateurs iront découvrir ce nouveau metteur en scène, porté aux nues par la presse spécialisée et même par Claude Chabrol, disant de lui qu’il s’agissait d’un « auteur comme l’Amérique n’en fait plus ». Merveilleux drame psychologique et familial, Little Odessa est un uppercut dans la production US contemporaine et foudroie encore près de trente ans après sa sortie, au point où de nombreux cinéphiles le considèrent comme le meilleur film de James Gray. Quand on connaît la qualité et la réputation de ses œuvres suivantes, c’est dire si le niveau est stratosphérique. Chef d’oeuvre percutant et puissamment mélancolique.
Joshua Shapira est un tueur à gages d’une trentaine d’années. Un jour, son commanditaire lui ordonne de se rendre à Brighton Beach, quartier juif ukrainien de Brooklyn de son enfance, où il a tué quelques années auparavant le fils du parrain de la mafia du quartier Boris Volkoff, pour exécuter un bijoutier iranien véreux. Humainement, Joshua est un homme déprimé et d’une incroyable froideur et brutalité. Il se rend à contrecoeur à sa destination. Son jeune frère Reuben d’une dizaine d’années son cadet apprend qu’il est revenu et souhaite à tout prix reprendre contact avec lui. Joshua se montre d’abord réticent, pour éviter de le mettre en danger, avant d’accepter finalement après avoir appris que leur mère est mourante. Reuben vit encore chez ses parents : d’un côté Irina, une mère douce et attentionnée, de l’autre Arkady, un vendeur de journaux, soucieux de l’éducation de ses enfants, très despotique, un fort caractère qui a laissé des séquelles psychiques à ses 2 enfants, particulièrement à Joshua qu’il a chassé à la suite de ses activités criminelles. Lorsque ce dernier se rend à l’appartement pour revoir sa mère, Arkady gifle Reuben pour avoir ramené Joshua à la maison, Joshua réagit et assène un violent coup de poing à son père qui le chasse ensuite. Parallèlement, Volkoff commence à se douter de la présence de l’assassin de son fils à Brighton.
La même année que Pulp Fiction, Tim Roth incarne Joshua Shapira, mystérieux tueur à gages froid et violent. Difficile de ressentir une empathie pour ce personnage d’entrée de jeu impitoyable, qui assassine sa cible dans la rue, devant les passants, sans rien laisser transparaître. Le comédien britannique, dont nous ne cesserons jamais d’évoquer le talent et le génie, obtiendra l’Independent Spirit Awards du meilleur acteur principal pour ce rôle extrêmement ambigu et complexe. Car Joshua est un homme brisé par une enfance marquée par un ogre de père, auquel Maximilian Schell (The Deadly Affair, Jugement à Nuremberg) prête son imposante carrure, comme un monstre tapi dans le placard. Joshua a un jeune frère, Reuben, qui était encore un gosse quand il s’est enfui du domicile parental. Ce dernier est incarné par Edward Furlong, exceptionnel, trois ans après sa révélation dans Terminator 2 : Le Jugement dernier – Terminator 2: Judgment Day de James Cameron, épaulé également par la grande Vanessa Redgrave, dont l’interprétation viscérale sera auréolée de la Coupe Volpi du meilleur second rôle féminin. S’il demeure particulièrement dur envers lui-même en déclarant qu’il ne connaissait rien à la direction d’acteurs au moment où il a entrepris Little Odessa, James Gray s’impose pourtant d’emblée avec cette première œuvre, dont la noirceur anthracite contraste constamment avec la blancheur éclatante de la neige (superbe photographie de Tom Richmond) qui recouvre les rues du quartier de Brighton Beach, même si un tournage hivernal n’était pas prévu à la base.
En s’inspirant largement de sa propre famille (qui a immigré aux États-Unis dans les années 1920), d’origine juive russe, élément qui reviendra souvent à travers sa filmographie, James Gray revient dans le quartier de Little Odessa, où les siens avaient emménagé, même s’il grandira principalement dans le Queens, loin des lumières de Manhattan. Mais il connaît tout de même Little Odessa, pour y avoir passé une grande partie de son adolescence. C’est dire s’il connaît comment fonctionnent ceux qui y sont plantés, les oubliés du rêve américain. Véritable tragédie grecque et drame shakespearien, Little Odessa avec lequel les spectateurs plongent avec les personnages dans les abîmes du désenchantement, d’où il est impossible de s’extraire.
LE BLU-RAY
Little Odessa revient dans les bacs français après plusieurs vies en DVD. Tout d’abord présenté en édition Standard en 2002 chez Opening, puis réédité quatre ans plus tard, toujours par la même crèmerie, le premier chef d’oeuvre de James Gray renaît de ses cendres chez Metropolitan, en DVD et pour la première fois en Blu-ray. Le disque repose dans un très beau Digipack à trois volets, qui contient une superbe analyse de Little Odessa de Nicolas Rioult. Le menu principal est animé et musical.
Ne manquez surtout pas le seul supplément de cette interactivité, l’interview de James Gray par le même Nicolas Rioult, que nous saluons au passage (27’), enregistrée à l’occasion de cette sortie. Le réalisateur revient sur tous les aspects de Little Odessa, « le film qui avec le recul a été le plus facile à faire », indiquant sans langue de bois « J’étais persuadé de tenir un chef d’oeuvre, mais le réveil a été terrible et brutal au moment du prémontage […] j’étais sur un petit nuage durant le tournage, mais mon égo en a pris un coup ». Puis, James Gray évoque les « racines » de Little Odessa, en parlant de New York et du quartier de Brighton Beach qu’il fréquentait, avant d’en venir plus précisément à la préparation de son premier long-métrage, en se confiant sur le séquencier, qui aura pris cinq mois pour être finalisé, sur les anecdotes personnelles qui ont nourri le récit, sur ses intentions (faire un film tendre), sur le travail avec le directeur de la photographie Tom Richmond, sur ses influences (Martin Scorsese, Luchino Visconti), sur le casting, sur les conditions de tournage (les tensions entre Tim Roth et Maximilian Schell). James Gray se confie à coeur ouvert sur Little Odessa, sur le destin du film et son sacre à la Biennale de Venise, sans oublier sur son amitié inattendue avec Claude Chabrol (qui avait défendu Little Odessa à sa sortie), qui s’est déroulée sur cinq années, durant lesquelles le réalisateur français l’aura bien éduqué sur la gastronomie et le bon vin.
L’Image et le son
Pour son passage en HD, une exclusivité mondiale, Little Odessa se refait une petite beauté, à partir d’un scan issu d’un interpositif. Une fois passé le générique un peu grumeleux, on perçoit le travail de restauration effectué puisque presque toutes les scories et poussières ont été éradiquées. L’ensemble est stable, la gestion du grain aléatoire (certains plans apparaissent étonnamment lissés) et les fourmillements stabilisés grâce au codec AVC. La colorimétrie est somme toute un peu terne, les détails parfois décevants (à l’exception des gros plans) et le piqué demeure peu pointu. Les contrastes sont corrects. Quelques séquences nocturnes sortent aisément du lot et tirent profit de cette élévation HD au final élégante et subtile.
Les versions originale et française bénéficient d’une DTS HD Master Audio 5.1, dynamique, fluide, parfois enivrante grâce à la belle composition de Dana Sano. Certes les latérales ne sont pas aussi efficaces que pour un film récent, mais les enceintes arrières parviennent à spatialiser délicatement le thème musical tout en distillant quelques effets percutants. En revanche, les scènes de dialogue demeurent évidemment axées sur les frontales où les voix des comédiens restent énergiques, sans doute trop pour la VF. Aucun souffle constaté. Notons que des sous-titres anglais apparaissent sur l’écran quand les personnages échangent en russe.