L’HOMME DE L’ARIZONA (The Tall T) réalisé par Budd Boetticher, disponible en combo Blu-ray+DVD le 15 septembre 2020 chez Sidonis Calysta.
Acteurs : Randolph Scott, Richard Boone, Maureen O’Sullivan, Arthur Hunnicutt, Skip Homeier, Henry Silva, John Hubbard, Robert Burton…
Scénario : Burt Kennedy d’après une nouvelle d’Elmore Leonard
Photographie : Charles Lawton Jr.
Musique : Heinz Roemheld
Durée : 1h18
Date de sortie initiale : 1957
LE FILM
Trois desperados ont tué le propriétaire d’un relais de diligence et son jeune fils. Dans la foulée, ils attaquent un convoi où ont pris place un couple en voyage de noces et Pat Brennan, un rancher solitaire. Apprenant que la jeune épouse est la fille d’une fortune de la région, les hors-la-loi envoient son mari réclamer, sous bonne escorte, une rançon au père. Pat Brennan et la femme restent seuls avec deux des bandits…
Le western de série B dans toute sa splendeur ! L’Homme de l’Arizona – The Tall T (1957) est le second film sur sept du très célèbre cycle Ranown. Même s’il est aujourd’hui quelque peu oublié des cinéphiles, le comédien Randolph Scott (1898-1987) demeure l’une des incarnations du héros du western américain, ayant collaboré avec les plus grands noms du genre, de John Ford à Victor Fleming, en passant par Henry Hathaway, Henry King, Michael Curtiz, Fritz Lang, John Sturges, André De Toth et bien d’autres. Un C.V. bien rempli et qui a de quoi faire des envieux ! Entretenant d’excellents rapports avec les cinéastes qui l’ont employé, Randolph Scott aura tourné huit fois sous la direction de Henry Hathaway et six fois chez André De Toth. Mais la fin de sa carrière reste marquée par son association avec le cinéaste Budd Boetticher (1916-2001). A l’aube de ses soixante ans, Randolph Scott entame une collaboration de sept longs métrages avec le réalisateur. Le film qui nous intéresse aujourd’hui, L’Homme de l’Arizona – The Tall T, est quasiment tourné dans la continuité de leur précédente association, Sept hommes à abattre – Seven Men from Now (1956), et avant Le Vengeur agit au crépuscule – Decision at Sundown (1957), L’Aventurier du Texas – Buchanan Rides Alone (1958), La Chevauchée de la vengeance – Ride Lonesome (1959), Le Courrier de l’or – Westbound (1960) et enfin Comanche Station (1960). Pur produit de la Columbia, L’Homme de l’Arizona est un grand western, sec, épuré, qui repose entre autres sur le charisme toujours intact de la star, sur son affrontement avec le génial Richard Boone, mais aussi sur une mise en scène ultra-efficace, ainsi que des dialogues somptueux écrits par le grand Burt Kennedy, d’après la nouvelle The Captive d’Elmore Leonard.
Après avoir perdu son cheval dans un pari, Pat Brennan se retrouve à pied dans le désert. Heureusement, une diligence conduite par son ami Ed Rintoon passe à proximité. Ce dernière transporte les jeunes mariés Willard et Doretta Mims pour leur voyage de noces. Doretta est la fille du plus riche propriétaire de la région. Lorsque les quatre passagers arrivent à la station relais, l’endroit semble vide : le tenancier Hank Parker et son fils Jeff ne répondent pas aux appels de Brennan. Alors qu’ils attendent Hank et Jeff, les quatre voyageurs sont surpris par trois bandits terrés dans la maison : Frank Usher et ses deux hommes, Chink et Billy Jack. Chink caché dans la maison abat Rintoon lorsqu’il tente de s’emparer d’un fusil, puis prennent en otage les trois autres protagonistes. Les malfrats avaient pour intention de braquer le convoi de 17h, avec lequel ils ont confondu la diligence spéciale réservée par le couple. Afin de sauver sa peau, Willard vend sa femme aux gredins : il leur apprend la fortune de son père et leur propose d’utiliser Doretta pour demander une rançon. Frank accepte, il envoie Billy Jack et Willard réclamer 50.000 dollars. En attendant le butin, les bandits et les otages partent se cacher dans un désert de rochers. Là, les tensions s’intensifient entre les personnages.
L’Homme de l’Arizona est le parfait exemple du travail bien fait d’un des grands artisans de l’industrie hollywoodienne, Budd Boetticher. De son talent allié à celui du scénariste Burt Kennedy, qui signera aussi le sublime Chasseur blanc, cœur noir – White Hunter Black Heart (1990) de Clint Eastwood, mais aussi La Caravane de feu – The War Wagon (1967) en tant que réalisateur, avec Kirk Douglas et John Wayne, ainsi que la première adaptation à l’écran de The Killer inside me (1976), le roman de Jim Thompson, avec Stacy Keach, découle une merveille de série B, au sens noble du terme. Avec une économie de moyens, Budd Boetticher exploite magnifiquement son décor restreint, le plus gros du film – quasi-huis clos à ciel ouvert – se déroule dans une vallée encaissée et environnée de cailloux, après avoir présenté son personnage principal. Randolph Scott arrive le sourire aux lèvres, rêvant de sa nouvelle vie et voyant enfin son projet se concrétiser (il souhaite devenir propriétaire de son propre ranch), tout en interférant avec le gardien d’un relais et de son jeune fils, puis avec son ancien patron qui souhaiterait voir rester son meilleur meneur. Le décor et les protagonistes sont plantés en une quinzaine de minutes, sans gras, sans effets ostentatoires, le cinéaste se permettant même un petit interlude en montrant Brennan s’arrêter le long de la route, pour retirer un caillou d’une de ses bottes.
Comme à son habitude, Budd Boetticher remplit son cadre, qui vit, qui pulse. Randolph Scott est parfait une fois de plus, mais ses partenaires brillent également et crèvent l’écran. C’est le cas de Richard Boone (1917-1981), mythique figure secondaire du cinéma américain des années 1950 et 1960, vu chez Lewis Milestone, Lloyd Bacon, Henry Hathaway, Jacques Tourneur, Delmer Daves, Elia Kazan, Robert Aldrich, King Vidor, Joseph Pevney, Martin Ritt, John Huston, Don Siegel, bref, une tronche burinée qui s’impose immédiatement à l’écran et qui tient la dragée haute face à la star dans un rôle de bandit toujours ambigu chez le réalisateur, qui représente pour ainsi dire le côté sombre du personnage de Brennan, comme les deux faces d’une même pièce. L’autre grand point fort de The Tall T est aussi la présence de la divine Maureen O’Sullivan (1911-1998), la cultissime Jane des six premiers films de Tarzan, interprété par Johnny Weissmuller et produit par la MGM de 1932 à 1942. Agée ici de 46 ans, la comédienne apporte avec elle un réel background avec ses traits légèrement tirés et sa silhouette plus « lourde », loin de l’habituelle fraîcheur des jeunes actrices qui arborent des costumes taillés sur mesure mettant en valeur leur taille de guêpe. La comédienne est bouleversante dans le rôle de Doretta, vieille fille qui vient enfin de se faire passer la bague au doigt. Au fur et à mesure, on comprend (tout comme Doretta) que son époux n’a vu en elle que l’héritière du plus grand propriétaire de la mine de cuivre de la région. Un mari qui sera d’ailleurs prêt à la sacrifier et à la jeter dans les bras des hommes de main d’Usher, pour pouvoir s’en sortir et prendre la fuite à la moindre occasion. Brennan aura cette courtoisie de dissimuler à Doretta les agissements d’Usher jusqu’au dernier moment.
The Tall T ne sacrifie jamais ses personnages et leur psychologie. Outre la rencontre de deux solitaires, Brennan en Doretta, ainsi que l’ambivalence d’Usher, les deux autres bandits, Billy Jack (Skip Homeier) et Chink (Henry Silva dans une de ses premières apparitions au cinéma et déjà bien sadique) ne sont pas oubliés. Point de circonstances atténuantes avancées pour leurs actes, mais leur enfance et leurs premiers crimes sont évoqués et fouillés au détour d’une scène, qui mine de rien modèlent ces deux personnages que l’on pourrait croire tout d’abord comme faisant partie du décor, mais qui sont finalement tout aussi bien construits et passionnants que les héros.
Rétrospectivement, L’Homme de l’Arizona apparaît comme étant l’une des plus grandes réussites de Budd Boetticher et assurément l’un des meilleurs opus du cycle Ranown. Suspens, affrontements psychologiques, émotion, violence (tout ce qui se passe autour de l’évocation du puits est particulièrement cruel), quelques touches d’humour, le spectacle est garanti.
LE BLU-RAY
Dix ans après une première sortie en DVD, L’Homme de l’Arizona fait son retour chez Sidonis Calysta, en Haute-Définition et dans la collection Silver. Le menu principal est animé et musical.
Le premier supplément est tout d’abord consacré au cinéaste Budd Boetticher. Il s’agit d’un documentaire de près de 50 minutes réalisé en 2005, constitué d’interventions du producteur Arnold Kunert, du cinéaste Taylor Hackford, du critique, réalisateur et acteur Peter Bogdanovich, mais aussi de Clint Eastwood et de Quentin Tarantino qui parlent entre eux de ce metteur en scène qu’ils admirent. Les grandes étapes de la vie de Budd Boetticher (qui apparaît aussi via des images d’archives) sont abordées, ainsi que son style, son amour de la corrida, son association avec Randolph Scott et Burt Kennedy, le cycle Ranown (avec surtout un gros plans sur Sept hommes à abattre), les personnages féminins et les méchants « sympathiques » qui ont fait l’originalité de son cinéma et bien d’autres éléments sur ce maître du western.
Bertrand Tavernier dresse ensuite le portrait de Budd Boetticher, l’homme et le cinéaste (23’30). Une présentation forcément passionnante d’un réalisateur dont le travail a immédiatement intéressé Tavernier « depuis la découverte de Sept hommes à abattre au cinéma du Quartier Latin, qui nous a donné envie d’explorer son œuvre avec les amis du Nickelodéon ». L’invité de Sidonis Calysta indique qu’il avait entretenu une correspondance avec Budd Boetticher, qui lui répondait via des cassettes audio, alors qu’il était en prison au Mexique, en raison de dettes contractées suite à la difficulté de monter Arruza. De 1958 à 1967, Boetticher, alors au sommet de sa gloire, s’efforça en effet de consacrer un film à la carrière de son ami, le torero mexicain Carlos Arruza, alors rival de Manolete. Ce sera l’un des tournages les plus longs de l’histoire du cinéma. De nombreux obstacles l’empêchèrent de l’achever : financements ajournés, grèves inopportunes, puis un séjour en prison. Bertrand Tavernier passe en revue une partie de la filmographie de ce réalisateur mythique, avec forcément un focus sur le cycle Ranown.
Dans le module suivant, Bertrand Tavernier fait son retour pour se focaliser cette fois sur le film qui nous intéresse, L’Homme de l’Arizona (19’). Un film « déjà assez différent des deux autres chefs d’oeuvre de la série, où les paysages sont moins importants, un film plus renfermé sur lui-même, plus compact […] une dramaturgie qui s’oppose à celle de Sept hommes à abattre, qui démarre de façon plus détendue et tranquille, avec notamment un Randolph Scott qui sourit ». Bertrand Tavernier étudie les personnages du film de Budd Boetticher, les enjeux et les motivations des protagonistes, la structure du récit, la psychologie des bandits notamment celui interprété par Richard Boone, la nouvelle d’Elmore Leonard, la représentation de la violence à l’écran. Bertrand Tavernier indique que L’Homme de l’Arizona est probablement l’opus le plus brutal du cycle Ranown, « qui impressionne par sa violence très sèche, où tout ce qui est suggéré est d’une grande brutalité ». Il n’oublie pas de parler également de la performance et du personnage de Maureen O’Sullivan, « qui apporte beaucoup au film », tout comme de l’importante contribution du chef opérateur Charles Lawton Jr., directeur de la photographie (« majeur de l’histoire du western » dixit Tavernier) de La Dame de Shanghai – The Lady from Shanghai d’Orson Welles, de 3 h 10 pour Yuma – 3:10 to Yuma et de Cow-boy de Delmer Daves.
De par sa courte durée (8’), l’intervention de Patrick Brion est plus concise et donc moins passionnante que tout ce qui a été entendu précédemment, le critique de cinéma se contentant essentiellement de dire tout le bien qu’il pense du cinéma de Budd Boetticher, de L’Homme de l’Arizona et plus largement du cycle Ranown.
Enfin, last but not least, Sidonis Calysta a pu mettre la main sur une présentation du film réalisée par Martin Scorsese lui-même (6’30), durant laquelle il revient sur sa découverte de L’Homme de l’Arizona et du travail de Budd Boetticher (il avait seulement 11 ans), « une dureté, quelque chose de quasi-minéral et une économie de moyens qui le rendaient unique ». Le maître hollywoodien ne tarit pas d’éloges sur ce cinéaste qui a bercé son enfance et participé à sa cinéphilie. Martin Scorsese intervient aussi sur le traitement des personnages dans les films de Budd Boetticher, sur ses thèmes de prédilection, sur son sens de l’épure, sur la tension qui émane de ses plans, sans oublier le cycle Ranown « qui pourrait se voir comme un seul grand film ».
L’interactivité se clôt sur la bande-annonce.
L’Image et le son
La restauration semble avoir quelques heures de vol, mais ce master HD s’en sort pas trop mal, même s’il ne faudra pas le comparer aux copies ayant connu un lifting plus récent. L’Homme de l’Arizona en Blu-ray s’en sort néanmoins haut la main avec surtout une stabilité à toute épreuve (hormis sur les fondus enchaînés qui entraînent des décrochages chromatiques) et des couleurs appréciables. C’est un peu moins convaincant sur les scènes sombres et nocturnes où la texture argentique est plus appuyée avec quelques sensibles fourmillements. Mais les détails sont bel et bien présents le reste du temps, avec un piqué souvent étonnant.
La version originale (aux sous-titres français non imposés) l’emporte sur la piste française au doublage parfois pincé, mais soigné. En anglais, l’écoute est claire, frontale et riche, dynamique et vive. Les effets annexes sont plus conséquents sur la version originale que sur la piste française, moins précise.
Une réflexion sur « Test Blu-ray / L’Homme de l’Arizona, réalisé par Budd Boetticher »