LES HERBES SÈCHES (Kuru Otlar Üstüne) réalisé par Nuri Bilge Ceylan, disponible en DVD et Blu-ray chez Memento Distribution.
Acteurs : Deniz Celiloğlu, Merve Dizdar, Musab Ekici, Ece Bağcı, Erdem Şenocak, Yüksel Aksu, Münir Can Cindoruk, Onur Berk Arslanoğlu…
Scénario : Akin Aksu, Ebru Ceylan & Nuri Bilge Ceylan
Photographie : Cevahir Sahin & Kürsat Üresin
Musique : Philip Timofeyev
Durée : 3h17
Date de sortie initiale : 2023
LE FILM
Samet est un jeune enseignant dans un village reculé d’Anatolie. Alors qu’il attend depuis plusieurs années sa mutation à Istanbul, une série d’événements lui fait perdre tout espoir. Jusqu’au jour où il rencontre Nuray, jeune professeure comme lui…
Dix longs-métrages dont les titres donnent la chair de poule aux cinéphiles les plus avertis, tous réalisés évidemment (quelle question) par le turc Nuri Bilge Ceylan (né en 1959). Celui-ci peut se targuer d’afficher un beau palmarès à son actif au Festival de Cannes, avec le Grand prix pour Uzak, le Prix FIPRESCI de la critique internationale pour Les Climats, le Prix de la mise en scène pour Les Trois Singes, le Grand prix pour Il était une fois en Anatolie et enfin la Palme d’or et le Prix FIPRESCI de la critique internationale pour Winter Sleep. Après un documentaire de 6h30 (!) centré sur le tournage du Poirier sauvage, le cinéaste revient avec Les Herbes sèches, qui comme l’ensemble de son œuvre, à part Les Trois singes, a connu un bel engouement de la part des spectateurs français, puisque ses films dépassent très souvent la barre des 100.000 entrées voire des 150.000 entrées, jusqu’au triomphe de Winter Sleep et ses 360.000 spectateurs. Même chose pour Kuru Otlar Üstüne, qui se traduit littéralement par Sur les herbes séchées, nouvelle plongée en Anatolie, au milieu de nulle part, où nous allons à la rencontre d’une poignée de personnages solitaires, qui rongent leur frein en espérant rejoindre Istanbul, qui souhaitent déguerpir de ce trou à rat où il ne se passe rien ou pas grand-chose, et que lorsque c’est le cas comme pour Samet, le personnage principal impérialement campé par l’excellent Deniz Celiloglu, l’existence risque d’être remise à nouveau en question. En perdant ses protagonistes dans l’immensité des paysages enneigés et immaculés, Nuri Bilge Ceylan donne aux spectateurs la possibilité de les observer comme des insectes au microscope, en focalisant le regard et l’intention du public sur ces électrons qui continuent de s’agiter dans un décor immobile, sans doute figé à vie. C’est donc avec l’oeil d’un entomologiste que le metteur en scène dissèque l’être (et/ou le mal-être) de Samet, de Nuray, de Kenan…sans les juger, en les dévoilant dans leurs contradictions, leurs mauvais côtés aussi, car jamais l’empathie n’est recherchée automatiquement, Samet étant dans ce cas agaçant, pour ne pas dire antipathique. S’il prolonge cette fois encore ses recherches stylistiques et demande de même un plein investissement du spectateur pendant plus de trois heures, Nuri Bilge Ceylan livre avec Les Herbes sèches probablement l’un de ses opus les plus accessibles et universels.
Samet, un jeune professeur d’art d’Istanbul, effectue son service civil dans un village reculé d’Anatolie. Après avoir enseigné pendant quatre ans dans une école locale, son collègue Kenan et lui sont confrontés à des accusations de harcèlement sexuel de la part de deux élèves. Samet a du mal à comprendre ces accusations. Il perd tout espoir d’échapper à la vie morne de la province. Au bout du compte, on se demande si le jeune homme est vraiment progressiste. Samet rencontre également Nuray, une enseignante, avec laquelle il pourra éventuellement surmonter sa peur.
Comme pour ses films précédents, Nuri Bilge Ceylan coécrit Les Herbes sèches avec sa femme Ebru et collabore à nouveau avec le scénariste Akin Aksu, déjà à l’oeuvre sur Le Poirier sauvage. Un travail de longue haleine, qui aurait demandé pas moins de deux années à ses auteurs, un tournage qui s’est déroulé sur plusieurs mois avec l’aide de deux chefs opérateurs, le tout pour un budget conséquent pour le réalisateur de plus de trois millions d’euros. Une coproduction germano-franco-turque qui rappelle parfois La Chasse de Thomas Vinterberg, déjà bien inspiré (euphémisme) des Risques du métier d’André Cayatte, avec cet enseignant travaillant dans l’Anatolie orientale rurale, accusé d’avoir eu un comportement inapproprié avec l’une de ses jeunes élèves. Un événement qui arrive dans sa vie alors qu’il espérait bientôt se barrer à Istanbul, pour profiter un peu plus de la vie et enseigner les arts plastiques à d’autres élèves qui ne seraient pas uniquement destinés à planter des patates et des betteraves plus tard.
S’il est indéniable que le spectateur décrochera forcément à un ou à plusieurs moments du film, Les Herbes sèches s’avère plus convaincant quand il montre la nature humaine sans fard, individualiste la plupart du temps, que lorsqu’il essaie de se montrer plus philosophe en confrontant les notions du bien et du mal. C’est LA grande scène du film, la confrontation entre Samet et Nuray, la seconde étant incarnée par l’impressionnante Merve Dizdar, par ailleurs très justement récompensée par le Prix d’interprétation au Festival de Cannes en 2023. Une longue séquence tournée en champ-contrechamp, qui peut parfois paraître interminable et bavarde, mais qui condense plus de propos et de réflexion en dix minutes que beaucoup de films en 1h30. On ressort épuisé de ce face-à-face, mais aussi impressionné, les personnages s’ouvrant alors l’un à l’autre, sans ambiguïté, chacun étant blessé, sur le plan physique pour Nuray, amputée d’une partie de sa jambe après un attentat terroriste, que psychologique, Samet se sentant exclus, isolé, aliéné dans cette partie du monde qu’il souhaite quitter au plus vite.
Vieillis avant l’heure, traînant un spleen, un boulet constitué de frustrations et de désillusions, Samet et Nuray sont les deux faces d’une même pièce, des jeunes cabossés qui se prennent la réalité en pleine tronche. Mais il leur reste encore pas mal d’années pour tenter de se relever, pour espérer, car l’espoir fait vivre et peut-être pour pouvoir enfin être un peu heureux.
LE BLU-RAY
À l’instar du Poirier sauvage, de Winter Sleep et d’Il était une fois en Anatolie, Les Herbes sèches débarque en Blu-ray chez Memento, qui en décembre 2018 avait également édité un coffret Nuri Bilge Ceylan : L’intégrale en Haute-Définition. Le Blu-ray des Herbes sèches se présente sous la forme d’un slim-Digipack, reprenant le visuel de l’affiche française d’exploitation. Le menu principal est fixe et musical.
Aucun supplément…
L’Image et le son
Haute-Définition forcément indispensable afin de profiter de la splendide photographie des Herbes sèches. Sans doute l’un des plus beaux Blu-ray édités par Memento depuis ses débuts, avec un piqué chirurgical, une profondeur de champ aussi spectaculaire qu’inouïe. Les contrastes sont magnifiques, la HD magnifie jusqu’aux scènes nocturnes et les gros plans ne cessent d’impressionner. Les détails et la luminosité sont ébouriffants.
La version originale DTS HD Master Audio 5.1. instaure d’excellentes conditions acoustiques et fait la part belle aux ambiances naturelles bien présentes. Quelques effets sont saisissants et le rendu des voix est sans faille.
Crédits images : © NBC Films / Memento Production / Komplizen Film / Second Land-Film / Arte France Cinéma / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr