
LES FILLES DE GRENOBLE réalisé par Joël Le Moigné, disponible en DVD et Blu-ray le 18 juin 2025 chez LCJ Editions & Productions.
Acteurs : Zoé Chauveau, André Dussollier, Alain Doutey, Régis Anders, Georges Berthomieu, David Jalil, Steve Kalfa, Patrick Lafani…
Scénario : Joël Le Moigné & Paul Lefèvre, d’après le roman de Paul Lefèvre
Photographie : Roland Dantigny & Jean-Claude Rivière
Musique : Alain Jomy
Durée : 1h28
Date de diffusion initiale : 1981
LE FILM
À Grenoble, une prostituée est assassinée dans son lit d’hôpital. Cora, vingt-deux ans et elle aussi prostituée, était l’une de ses amies. Au quotidien, ces femmes subissent des violences, touchent une paye de misère et travaillent sans arrêt, dans la terreur des souteneurs. Cora se décide à parler au juge Le Pérec qui découvre ce monde avec effarement. Il va alors partir en bataille contre ce réseau de proxénètes…

Tiens donc, mais de quelles Filles de Grenoble parle ce second et par ailleurs dernier long-métrage réalisé par Joël Le Moigné ou Joël Le Moign’ (1938-1999) comme il est crédité ainsi au générique ? En regardant l’affiche et en entendant ce titre, on pourrait penser à un film d’exploitation bien de chez nous (on pouvait imaginer un petit navet ou à un nanar du dimanche), qui sent le gros rouge qui tâche et surferait sur une tendance érotique héritée des années 1970. Les Filles de Grenoble est en réalité un excellent thriller judiciaire, adapté du roman du même nom écrit par le journaliste Paul Lefèvre et publié début 1981. Le cinéma n’a pas mis longtemps pour s’emparer de cette histoire vraie et on pourrait dire enquête d’investigation, le film sortant au mois de novembre de la même année. Joël Le Moigné bénéficie du soutien de Paul Lefèvre lui-même pour cette transposition, dont le résultat final est on ne peut plus convaincant et tient encore sacrément le coup près de 45 ans plus tard. Avec sa mise en scène sèche et immersive parfois proche du documentaire, son casting impeccable et l’élégance de sa photographie, Les Filles de Grenoble s’impose comme une franche réussite et mérite assurément d’être (re)découvert.


En automne, sur les hauteurs de Grenoble, les filles travaillent sous la pluie. Lorsque le soir arrive, elles continuent sur les quais de l’Isère ou à la Pisseria, pendant que les souteneurs entretiennent un climat permanent de terreur et d’insécurité n’hésitant pas à battre les filles, à les torturer. C’est cette vie de totale déchéance que le juge Le Pérec va découvrir avec effarement, suite à quoi il enquêtera aux côtés des gendarmes et ses policiers, pour en savoir plus sur la vie de ses filles, vendues sur les chantiers, sur les quais…Quand un jour Cora est retrouvée, ligotée et mutilée au bord d’un étang. C’est la goutte d’eau et Cora décide enfin de témoigner, même si elle risque sa vie pour cela. Le juge Le Pérec déclare la guerre à la bande de proxénètes locaux qui les maltraitent.


Le juge en question est magistralement campé par André Dussollier, qui travaillait alors beaucoup pour la télévision et qui trouve ici l’un de ses premiers rôles importants. Il en impose naturellement dans le rôle de celui qui va oser s’opposer à la mécanique trop bien huilée du monde de la prostitution, qui concernait entre autres certaines huiles et commençait à vouloir étendre ses activités en lorgnant sur le marché de la drogue. Nous sommes au début des années 1980 et François Mitterrand (à l’époque de ce fait divers) n’est pas encore au pouvoir. Le climat est froid, tendu, pessimiste, contexte excellemment rendu par la photographie de Roland Dantigny (Les Fougères bleues de Françoise Sagan et Haine de Dominique Goult) et Jean-Claude Rivière (La Braconne de Serge Pénard), qui apporte une atmosphère trouble et poisseuse à l’histoire.


Outre une réalisation inspirée et un montage nerveux, le reste de la distribution apporte une réelle authenticité au récit. Aux côtés d’André Dussollier et d’Alain Doutey, Zoé Chauveau, apparue dans L’Ombre des châteaux de Daniel Duval,Si c’était à refaire de Claude Lelouch et Violette Nozière de Claude Chabrol, crève l’écran et on reste étonné que la comédienne n’ait pas fait carrière par la suite, tant celle-ci s’avérait très prometteuse. C’est aussi le vrai premier rôle de la magnifique Souad Amidou (dans le rôle de Liliane), quinze ans après sa première apparition dans Un homme et une femme. Des acteurs « à gueule » du style David Jalil (Tir groupé, La Guerre des polices), Jean Français Garreaud (Une histoire simple, I…comme Icare), Steve Kalfa (Le Prix du danger, Ronde de nuit) et Régis Anders (connu pour son rôle du directeur-adjoint de la PJ dans la série Commissaire Moulin), appartenant souvent à la rubrique « On ne sait jamais comment ils s’appellent » sont aussi de la partie.


Joël Le Moigné crée une ambiance malsaine et anxiogène, comme s’il s’agissait d’un film d’horreur. La séquence où Cora est livrée en pâture à toute une horde d’ouvriers, qui font la queue pour la violer devant tous les autres met particulièrement mal à l’aise. Le cinéaste évite toute vulgarité gratuite, plante habilement le décor d’entrée de jeu, maîtrise l’espace, place ses protagonistes comme des pions sur un échiquier et les fait avancer jusqu’à ce que le juge Pérec se lance dans l’arène, en espérant obtenir l’échec et mat.


On se prend au jeu et contre toute attente on se prend d’affection pour ces filles malmenées, qui se sont retrouvées dans cette galère, car elles n’avaient pas d’autres choix et des raisons personnelles, entre autres celle de survivre. Les Filles de Grenoble est un film qui devrait largement lui-aussi être réhabilité.


LE BLU-RAY
C’est chez LCJ Éditions & Productions que le long-métrage de Joël Le Moigné arrive dans les bacs, en DVD et Haute-Définition. Le disque HD se présente sous la forme d’un boîtier bleu classique, le visuel reprenant celui de l’affiche d’exploitation. Le menu principal est fixe et musical.

Aucun supplément.
L’Image et le son
Les Filles de Grenoble a été restauré en 2K, sans doute à partir du négatif original. Un lifting de premier ordre qui sied à merveille aux couleurs fanées et à l’atmosphère trouble du film de Joël Le Moigné. La propreté est exemplaire, la copie stable et ferme, la gestion des contrastes est solide et les détails ne manquent pas. A cela, ajoutez le grain original qui ne cesse de flatter les mirettes, tout comme le piqué étonnant sur quelques séquences en extérieur.

Quant à la piste DTS-HD Master Audio 2.0, elle plonge élégamment la spectateur dans l’ambiance poisseuse des Filles de Grenoble, en délivrant la musique d’Alain Jomy (La Meilleure façon de marcher, L’Effrontée, La Petite voleuse) avec dynamisme. Les dialogues sont clairs, distincts, jamais parasités par quelques craquements ou scories diverses. Pas de sous-titres français destinés au public sourd et malentendant.


Crédits images : © LCJ Editions & Productions / Studiocanal / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr