LES AMANTS TRAQUÉS (Kiss the Blood Off My Hands) réalisé par Norman Foster, disponible en Combo Blu-ray + DVD le 5 octobre 2021 chez Rimini Editions.
Acteurs : Joan Fontaine, Burt Lancaster, Robert Newton, Lewis L. Russell, Aminta Dyne, Grizelda Hervey, Jay Novello, Colin Keith-Johnston…
Scénario : Leonardo Bercovici, Ben Maddow, Walter Bernstein & Hugh Gray, d’après le roman de Gerald Butler
Photographie : Russell Metty
Musique : Miklós Rózsa
Durée : 1h16
Année de sortie : 1948
LE FILM
Marqué par la guerre, Bill Saunders traîne dans Londres, qui porte encore les traces des bombardements aériens. Un soir, au cours d’une bagarre, il tue malencontreusement un patron de bar. Il s’enfuit et trouve refuge chez une jeune femme, Jane Wharton. Celle-ci va l’aider à se cacher…
Quand il décide de se lancer dans le cinéma et de laisser tomber sa carrière d’acrobate de cirque, Burt Lancaster (1913-1994) a déjà 33 ans. Il était loin d’imaginer obtenir le succès dès son premier long-métrage en tant que comédien avec Les Tueurs – The Killers de Robert Siodmak en 1946. Tout s’enchaîne alors très vite. S’ensuivent Les Démons de la liberté – Brute Force de Jules Dassin, La Furie du désert – Desert Fury de Lewis Allen, L’Homme aux abois – I Walk Alone de Byron Haskin, Ils étaient tous mes fils – All My Sons d’Irving Reis et Raccrochez, c’est une erreur ! – Sorry, Wrong Number d’Anatole Litvak, qui prouvent une prédisposition de l’acteur pour le film noir et dramatique, ainsi que pour les personnages tourmentés et même violentés, comme ce sera encore le cas ici avec une séquence de punition à base de coups de fouet, qui a fait grincer les dents des censeurs du Code Hays. En 1948, Burt Lancaster s’associe avec Harold Hecht (son agent artistique) pour fonder la société de production Norma Films (du nom de la femme du premier), dans un désir d’indépendance. Leur premier opus sera Les Amants traqués, auquel on préférera le titre original Kiss the Blood Off My Hands, que l’on pourrait traduire par « retire le sang de mes mains avec tes baisers ». Cette adaptation d’un roman de Gerald Butler, publié en 1940 et sorti en France sous le titre Les Mains pures en 1946 puis Du sang sur les mains après la sortie du film, est tout d’abord proposée à Robert Siodmak, qui refuse. Puis, le projet atterrit dans les mains de Norman Foster (1900-1976), comédien venu à la mise en scène, qui a fait ses débuts derrière la caméra à la fin des années 1930 avec la série des M.Moto (alias Peter Lorre). Un parfait « yes-man » à qui Burt Lancaster confie son bébé et qui saura suivre ses directives. Les Amants traqués est un film noir à l’intrigue resserrée sur 76 minutes, qui va droit à l’essentiel, sans une once de gras. Les personnages sont classiques, torturés à souhait, tant physiquement que psychologiquement, l’image est belle, la musique enivrante et surtout les deux têtes d’affiche, Burt Lancaster et Joan Fontaine sont aussi formidables que magnifiques.
Bill Saunders (Burt Lancaster) est un ancien prisonnier de guerre vivant maintenant en Angleterre, dont les expériences l’ont laissé instable et violent. Un soir, dans un bar, il se lance dans une bagarre au cours de laquelle il tue un homme accidentellement avant de s’enfuir. Il trouve refuge chez une infirmière, Jane Wharton (Joan Fontaine), qui croit son histoire selon laquelle le meurtre était un accident. Saunders est impliqué dans un autre affrontement, cette fois avec un policier. Il se retrouve derrière les barreaux. A sa sortie, Wharton, qui est maintenant amoureuse de Saunders, lui trouve un emploi de chauffeur chargé de livrer des médicaments pour le compte de la clinique médicale où elle travaille. Pendant ce temps, le voyou Harry Carter (Robert Newton, poisseux à souhait), qui a été témoin de la bagarre dans le bar, menace de dénoncer Saunders à la police. En échange de son silence, Carter exige que Saunders coopère avec un vol planifié de sa prochaine cargaison de drogue. Lorsque Saunders fait la livraison, Wharton monte avec lui, le forçant à effectuer la livraison comme prévu pour éviter d’impliquer sa petite amie dans le vol potentiellement dangereux. Cette trahison de Carter met la vie de Saunders et de Wharton encore plus en danger.
Les guerres laissent des décombres. On peut rebaptiser des villes, mais les blessures humaines, du corps ou de l’esprit guérissent lentement. Voici l’histoire d’un de ces hommes et de la jeune femme qu’il a croisé en chemin.
Burt Lancaster est impeccable dans la peau de ce vétéran américain de la Seconde Guerre mondiale, qui se réadapte difficilement à la vie civile. Son séjour dans un camp de prisonniers l’a profondément marqué. Victime de stress post-traumatique, il va devenir une bête traquée dans Londres, ville singulière qui avait très peu servi de décor dans le cadre d’un film noir, habituellement le terrain de prédilection des thrillers gothiques ou des films d’épouvante. Une femme, divinement incarnée par Joan Fontaine, qui tente elle aussi de reprendre goût à la vie après le décès de son mari qui n’est jamais revenu du front, pourrait devenir celle par qui la rédemption est possible. Seulement voilà, le destin semble en avoir décidé autrement pour ce couple, sur qui la fatalité s’acharne. Quand elle tourneKiss the Blood Off My Hands, Joan Fontaine est déjà l’une des actrices les plus convoitées à Hollywood. Lauréate de l’Oscar de la meilleure actrice pour Soupçons – Suspicion (1941) d’Alfred Hitchcock, elle a déjà tourné avec George Cukor, George Stevens, Max Ophüls, Billy Wilder, et produit le merveilleux Lettre d’une inconnue. L’alchimie avec Burt Lancaster est ici évidente. Les deux comédiens sont parfaits en héros tragiques, lancés dans une fuite éperdue.
Du point de mise en scène, Norman Foster s’applique, probablement à refaire ce que Burt Lancaster lui a demandé de faire, vraisemblablement inspiré par son expérience avec Robert Siodmak, que l’acteur retrouvera d’ailleurs l’année suivante pour Pour toi j’ai tué – Criss Cross. L’évasion de Saunders après le drame survenu dans le bar est un modèle du genre, le personnage étant filmé comme un animal effrayé, perdu dans les rues sombres de Londres et durant laquelle Burt Lancaster en profite pour faire une démonstration impressionnante de ses capacités physiques. S’il n’a pas la virtuosité d’autres fleurons et classiques reconnus, Les Amants traqués demeure un petit bijou du film noir, magistralement photographié par le grand Russell Metty (La Séductrice aux cheveux rouges, Sierra, Rendez-vous avec une ombre, Demain est un autre jour, Le Secret magnifique), que la critique et le public ont malheureusement totalement oublié. Norman Foster reviendra au genre en 1950 avec Dans l’ombre de San Francisco – Woman on the Run, qui à l’instar de Kiss the Blood Off My Hands a aussi pour particularité de donner à une femme, en l’occurrence Ann Sheridan (tout juste sortie d’Allez coucher ailleurs d’Howard Hawks), le rôle principal dans l’intrigue, chose alors encore inhabituelle dans un film noir à cette époque. Les Amants traqués convie le spectateur à suivre cette passion tourmentée et thriller désespéré, un joli film noir bourré d’inventions et de surprises à redécouvrir de toute urgence.
LE COMBO BLU-RAY + DVD
Inédit dans les bacs français, Les Amants traqués apparaît sous les couleurs de Rimini Editions. Un DVD et un Blu-ray bien calés dans un Digipack à trois volets, qui fera le bonheur des amateurs de films noirs. Cette édition présente également un livret passionnant de 28 pages concocté par les complices de l’éditeur de La Plume, écrit par Christophe Chavdia. Ce dernier y explore la genèse du film, la carrière de l’écrivain Gerald (on est tenté d’écrire Gerard) Butler, la trame du roman original, la polémique liée au titre Kiss the Blood Off My Hands, les difficultés liées à la préproduction, les démêlés avec la censure, les conditions de tournage, la sortie du film, tout en replaçant Les Amants traqués dans la filmographie, la vie et la carrière artistique de Burt Lancaster. Le menu principal est animé et musical.
Un seul supplément en vidéo est disponible en guise de bonus. Il s’agit d’une intervention de Christian Viviani, professeur émérite de l’Université de Caen, que nous avions déjà croisé sur les éditions HD de Mon Dieu, comment suis-je tombée si bas !, Le Sexe fou, Un château en enfer et Le Temps du châtiment (21’). Ceux qui comme nous auront lu le livret avant de visionner ce document n’apprendront pas grand-chose de plus que ce qui a été écrit par Christophe Chavdia. Il s’agit ici plus ou moins d’un condensé, puisque Christian Viviani nous parle de la carrière de Burt Lancaster, de ses débuts tardifs au cinéma aux Amants traqués, de la création de sa société de production, de la carrière de Joan Fontaine, de la genèse du film, du réalisateur Norman Foster. Puis, l’invité de La Plume se penche un peu plus sur les thèmes de Kiss the Blood Off My Hands, notant que la ville de Londres a très peu servi de décor dans un film noir et donne aussi pour exemple Les Forbans de la nuit – Night in the City (1950) de Jules Dassin. Les quelques démêlés avec le Code Hays sont abordés, ainsi que la polémique liée au titre du roman et donc à celui du film, pour lequel Burt Lancaster s’est battu pour le conserver.
L’interactivité se clôt sur la bande-annonce.
L’Image et le son
La collection des films noirs s’enrichit chez Rimini Editions avec l’édition des Amants traqués. Entièrement restauré en 2K, le film de Norman Foster apparaît dans une copie lumineuse, joliment détaillée aux quatre coins du cadre 1.37. La texture argentique a heureusement été préservée et s’avère solidement gérée. Les plus pointilleux noteront bien quelques poussières et griffures qui ont échappé à ce petit lifting. Mais peu importe, car le N&B du grand Russell Metty y est particulièrement choyé avec de remarquables clairs-obscurs. N’oublions pas non plus la stabilité d’ensemble, ainsi que la profondeur de champ, surtout sur les (rares) scènes diurnes. Le Blu-ray est au format 1080p.
Uniquement disponible en version originale, la bande-son a subi un dépoussiérage concret, le mixage anglais mono proposé tient toutes ses promesses et ce dès le générique d’ouverture. L’écoute est agréable, malgré quelques saturations et échos sur certains dialogues, mais les voix demeurent intelligibles, les effets et la musique s’accordent avec fluidité et aucun craquement intempestif n’est à déplorer. Seuls les sous-titres français, non verrouillé, sont disponibles.