LE SILLAGE DE LA VIOLENCE (Baby the Rain Must Fall) réalisé par Robert Mulligan, disponible en DVD et Blu-ray le 7 juillet 2020 chez Rimini Editions.
Acteurs : Lee Remick, Steve McQueen, Don Murray, Paul Fix, Josephine Hutchinson, Ruth White, Charles Watts, Carol Veazie…
Scénario : Horton Foote
Photographie : Ernest Laszlo
Musique : Elmer Bernstein
Durée : 1h39
Date de sortie initiale : 1965
LE FILM
Un long voyage en car conduit Georgette Thomas et sa fille à Columbus, petite ville du Texas. Elle vient y retrouver son mari Henry, libéré sur parole, après avoir purgé une peine de prison. Henry partage sa vie entre un travail d’homme à tout faire le jour et des concerts dans des cabarets la nuit. Souvent, alcool et violence sont au rendez-vous.
Pour les cinéphiles, le cinéaste américain Robert Mulligan (1925-2008) reste avant tout le metteur en scène acclamé de Du silence et des ombres – To Kill a Mockingbird, nommé pour l’Oscar du meilleur réalisateur – il en remportera trois dont celui du meilleur acteur pour Gregory Peck – et le Golden Globe du meilleur film dramatique. Dans ce film de 1962 adapté de l’oeuvre de Harper Lee, Robert Mulligan adoptait le point de vue innocent d’une petite fille, témoin du racisme ambiant. Cette jeune protagoniste était alors confrontée à la violence du monde « réel ». L’enfance et l’adolescence sont au coeur de l’oeuvre de Robert Mulligan comme dans Un été 42 (1971), L’Autre (1972) ou Un été en Louisiane (1991). En fait, si le personnage principal du Sillage de la violence – Baby the Rain Must Fall (1965), produit par Alan J. Pakula, est un adulte interprété par Steve McQueen, celui-ci reste marqué et paralysé par son enfance extrêmement violente, en raison d’une mère – adoptive – tyrannique, qui le frappait à coup de ceinture en cuir, de le rabaisser constamment, tuant ses rêves qui se construisaient en lui. Avec sa délicatesse habituelle et son immense sensibilité, Robert Mulligan se focalise sur cet homme de 35 ans, dont le regard blessé et tragique foudroie dès son apparition. C’est là tout le talent de Steve McQueen, qui souhaitait montrer une autre facette de son jeu, en composant un personnage dramatique, poignant, pudique et à fleur de peau, comme un petit garçon emprisonné dans un corps d’adulte. Le Sillage de la violence, titre français pour une fois très intelligent, est une belle et grande découverte.
Georgette Thomas accompagnée de sa fillette, se rend dans une petite ville du Texas pour y retrouver son époux Henry, libéré sur parole du pénitencier local. Ce dernier veut se construire une nouvelle vie et loue une maison pour sa famille. Il gagne sa vie comme chanteur dans une boite de nuit. La mère adoptive d’Henry, vieille bigote qui l’a recueilli orphelin, le considère toujours comme un bon à rien.
Après avoir explosé au cinéma dans Les Sept Mercenaires – The Magnificent Seven de John Sturges en 1960, Steve McQueen a enchaîné les films où il incarnait un symbole de virilité. Branle-bas au casino – The Honeymoon Machine (1961) de Richard Thorpe, L’Enfer est pour les héros – Hell Is for Heroes (1962) de Don Siegel, La Grande Evasion – The Great Escape (1963) et La Dernière Bagarre – Soldier in the Rain (1964) de Ralph Nelson, de la comédie au film de guerre, le comédien a prouvé son aisance devant la caméra, soit dans les séquences d’action, soit dans les scènes de séduction. En 1963, Steve McQueen est dirigé par Robert Mulligan dans Une certaine rencontre – Love with the Proper Stranger, une comédie dramatique où il donne la réplique à Natalie Wood, pour laquelle les deux vedettes sont nommées pour le Golden Globe du meilleur acteur et de la meilleure actrice. Enchantés par leur collaboration, Robert Mulligan et Steve McQueen décident de changer leur fusil d’épaule et de bifurquer vers le drame psychologique. Le réalisateur a bien compris que son comédien était désireux de prouver l’étendue de son registre et lui offre ce qui sera rétrospectivement l’un de ses rôles les plus atypiques et bouleversants de sa carrière, brutalement interrompue en 1980 en raison du cancer qui allait l’emporter à l’âge de 50 ans. S’il est exceptionnel dans Le Sillage de la violence, sa partenaire, la merveilleuse Lee Remick (1935-1991) n’est pas en reste et devient ici l’espoir d’une vie enfin apaisée pour le personnage de Henry, dont il a eu une petite fille en secret, loin de sa petite bourgade.
Après avoir purgé une peine de prison, Henry mise tout sur la possibilité pour lui de devenir une vedette de la chanson et d’aller enregistrer un disque en Californie. Georgette, qui lui a fait la surprise de venir le rejoindre dans la ville où il a grandi, est prête à tout pour lui venir en aide, quitte à travailler dans un drive-in et lui donner ce qu’elle peut gagner, pour qu’il puisse réaliser son rêve. Mais le trauma d’enfance de Henry le submerge une fois de plus quand il apprend que celle qu’il l’a « élevé » est en train de mourir dans son lit. N’ayant pu affronter ses démons et les fantômes du passé qui n’ont eu de cesse de le torturer toute sa vie, y compris durant son sommeil, Henry est sur le point de perdre définitivement la raison, ainsi que ce qu’il avait pu construire jusqu’à présent avec Georgette.
Robert Mulligan dévoile son personnage principal par strates, avec une tendresse non dissimulée, le montrant être lui-même, pleinement, quand il prend sa guitare pour chanter quelques morceaux bien balancés dans le bastringue du coin. Un sourire qui se perd et se fane dès que Henry descend de scène et réapparaît dans le vrai monde qui ne lui a jamais fait et ne lui fera jamais de cadeau, ou presque puisque Georgette est cette fois présente pour l’encourager dans la voie qu’il s’est tracée. Sur un scénario signé Horton Foote (d’après sa pièce The Traveling Lady créée en 1954, dont la captation en direct avait déjà été mise en scène par Robert Mulligan), lauréat de l’Oscar du meilleur scénario adapté pour Du silence et des ombres, une magnifique photographie d’Ernest Laszlo (M de Joseph Losey, Stalag 17 de Billy Wilder, Bronco Apache de Robert Aldrich) et une musique enivrante d’Elmer Bernstein, le cinéaste livre assurément l’un de ses plus beaux films, complètement méconnu et peut-être le diamant noir insoupçonné de la filmographie de Steve McQueen.
LE BLU-RAY
Le Sillage de la violence n’avait jamais connu d’exploitation en DVD et en Blu-ray en France. C’est désormais chose faite grâce à Rimini Editions. La jaquette, au visuel très élégant, est glissée dans un boîtier classique de couleur noire, lui-même disponible dans un surétui cartonné. Le menu principal est animé et musical.
Concernant le film de Robert Mulligan, l’éditeur est allé à la rencontre de Nachiketas Wignesan, qui enseigne l’Histoire du cinéma et l’Analyse de films à l’Université de Paris III et Paris I, ainsi que dans des écoles de cinéma. Durant 25 minutes, l’invité de Rimini Editions revient sur la carrière de Robert Mulligan et sa collaboration (sur sept films) avec le producteur Alan J. Pakula, sur les thèmes récurrents de l’oeuvre du cinéaste qui se recoupent avec ceux évoqués dans Le Sillage de la violence. Nachiketas Wignesan en vient plus précisément au film qui nous intéresse en évoquant l’enfance de Steve McQueen (proche de celle de son personnage dans le film), sur le désir du comédien de faire oublier ses prestations précédentes dans le but d’être reconnu pour ses talents artistiques. Puis, notre interlocuteur analyse certaines séquences (le générique d’ouverture et sa dimension graphique, l’usage du fondu enchaîné, la mise en scène proprement dite qui rappelle constamment l’impossibilité pour le couple d’être ensemble). Les symboles psychanalytiques sont également passés en revue jusqu’à la fin. Nachiketas Wignesan clôt cet entretien en indiquant que Le Sillage de la violence condense pour lui tous les films de Robert Mulligan.
En guise de document, de curiosité et donc de supplément, Rimini Editions propose la version française du Sillage de la violence, sensiblement différente de la version originale et qui n’a pas bénéficié de la même restauration. Dans ce montage, plus court (94 minutes, soit cinq minutes de moins), certaines séquences n’existent plus d’une version à l’autre comme l’indique un panneau en ouverture. L’éditeur indique aussi que cette version est proposée telle qu’ils l’ont récupérée, provenant d’une copie 16mm, recadrée en 1.33, aux contrastes plus sombres et qui présente des défauts, même si moindre que le laissait supposer le carton.
L’Image et le son
Quel plaisir de (re)découvrir ce bijou méconnu dans de telles conditions ! Rimini Editions se devait de restituer la beauté originelle du N&B (noirs denses, blancs éclatants) du Sillage de la violence. Après un générique qui fourmille quelque peu et où divers points apparaissent, l’apport HD demeure omniprésent, fabuleux, impressionnant, offrant aux spectateurs un relief inédit, des contrastes souvent denses et chatoyants, ainsi qu’un rendu ahurissant des gros plans. La propreté du master (1.85, 16/9 compatible 4/3) est indéniable, tout comme la stabilité (y compris sur les fondus enchaînés) et la clarté, et le grain cinéma heureusement respecté. Le Blu-ray est au format 1080p.
La piste anglaise bénéficie d’un traitement de faveur avec un écrin acoustique DTS-HD Master Audio 2.0, d’une fluidité et homogénéité exemplaires. Le report des voix est pur et sans accroc, le score d’Elmer Bernstein et les chansons sont divinement délivrés. Les sous-titres ne sont pas imposés. Sur la version française, étouffée et vieillotte, la dynamique n’est pas comparable et l’accompagnement musical peine à exister.
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