LE ROI ET QUATRE REINES (The King and Four Queens) réalisé par Raoul Walsh, disponible en DVD et Combo Blu-ray + DVD le 22 novembre 2021 chez Sidonis Calysta.
Acteurs : Clark Gable, Eleanor Parker, Jean Willes, Barbara Nichols, Sara Shane, Roy Roberts, Arthur Shields, Jay C. Flippen, Jo Van Fleet.…
Scénario : Richard Alan Simmons & Margaret Fitts
Photographie : Lucien Ballard
Musique : Alex North
Durée : 1h21
Date de sortie initiale: 1956
LE FILM
Dan Kehoe, un aventurier qui vient d’arriver à Touchstone, une petite ville de l’Ouest, apprend qu’une certaine Ma McDade, propriétaire d’un ranch voisin, accueille les visiteurs à coups de fusil. Quelque temps auparavant, les quatre fils de celle-ci ont été pourchassés par le shérif et ses hommes après avoir dévalisé une banque. Trois d’entre eux ont péri carbonisé dans l’incendie de la grange où ils s’étaient retranchés. Le quatrième s’est enfui, mais nul ne sait lequel a survécu. Et les quatre veuves sont restées auprès de Ma en attendant que le survivant vienne récupérer le magot que sa mère a enterré quelque part…
Peu connu des aficionados de Raoul Walsh, conspué aux Etats-Unis, mais célébré en France, Le Roi et Quatre Reines – The King and Four Queens est donc loin de faire l’unanimité. Pourtant, ce western de fin de carrière – le réalisateur signera encore sept longs-métrages après celui-ci – est un véritable bijou. Si le film démarre de façon « traditionnelle » avec d’emblée une course-poursuite, un homme pourchassé à cheval par trois autres cavaliers qui ont visiblement décidé de le capturer ou même de le tuer, se déroulant dans de magnifiques paysages sauvages, Le Roi et Quatre Reines bifurque très rapidement, et contre toute-attente, dans le marivaudage. Pour leur seconde collaboration, un an après Les Implacables – The Tall Men et un an avant L’Esclave libre – Band of Angels, Raoul Walsh et Clark Gable se font plaisir et cela se ressent du début à la fin. Car The King and Four Queens est avant tout un délice, un ravissement, un bonheur, une fantaisie, une grâce, un régal de cinéma.
Dan Kehoe, un aventurier, arrive à Wagon Mound. Il apprend que, dans un ranch voisin, la mère McDade, surnommée «Ma», guette les intrus, qu’elle chasse à coups de fusil. Ses quatre fils, pilleurs de diligence, ont entreposé dans le ranch un magot de 100 000 dollars en or, avant que trois d’entre eux ne soient tués par la police. Cette femme autoritaire sait où est caché le trésor et connaît l’identité du survivant, qui s’est évanoui dans la nature, toutes choses qu’ignorent les quatre brus qui vivent sous son toit. En attendant le retour du fils prodigue, Ma dirige le ranch familial d’une main de maître. Lorsque Dan Kehoe pénètre dans le ranch jalousement gardé, celle-ci le blesse, puis l’admet dans son antre pour le soigner. Les jeunes brus esseulées proposent en secret à Dan de fuir avec lui, à l’exception de Sabina, qui garde ses distances à l’égard de l’aventurier…
Il y a d’un côté Clark Gable, 1m85, élancé, 55 ans qu’il porte avec une suprême élégance, l’oeil pétillant et le sourire en coin. Il est admirable. Face à lui, cinq femmes, les quatre Reines du titre et celle qui domine le groupe. La comédienne qui partage le haut de l’affiche avec son partenaire, c’est la sublime Eleanor Parker, qui interprète ici Sabina. La comédienne avait déjà travaillé avec Raoul Walsh sur La Chevauchée fantastique – They Died with Their Boots On (1941), mais ses scènes avaient malheureusement été coupées au montage en raison de la durée du film. Actrice fétiche de Delmer Daves, elle explose véritablement dans les années 1950 avec Femmes en cage – Caged de John Cromwell, Secrets de femmes – Three secrets de Robert Wise, Histoire de détective – Detective Story de William Wyler, Scaramouche de George Sidney, Fort Bravo – Escape from Fort Bravo de John Sturges et L’Homme au bras d’or – The Man with the Golden Arm de Otto Preminger. Eleanor Parker fut l’une des plus grandes comédiennes du cinéma et cela se voit dans Le Roi et Quatre Reines où elle tient la dragée haute à Clark Gable. Son talent et sa beauté subjuguent à chaque apparition.
Pourtant, elle est très bien entourée par les trois autres actrices qui incarnent ses belles-sœurs. Entre la caliente Ruby (Jean Willes, vue dans On ne joue pas avec le crime – 5 Against the House de Phil Karlson), la lunaire et sexy Birdie (Barbara Nichols, aperçue dans L’Invraisemblable Vérité – Beyond a Reasonable Doubt de Fritz Lang) et la douce Oralie (Sara Shane, vue chez Douglas Sirk dans Le Secret magnifique et Le Signe du Païen), ce cher Clark Gable est comme un coq en pâte au milieu de cette basse-cour. Mais attention, cette danse endiablée, au sens propre comme au figuré, va être contrariée par la présence de la veuve Ma McDade qui veille au grain. Cette dernière n’est autre que l’impériale Jo Van Fleet, connue pour avoir été la mère de James Dean dans À l’est d’Eden – East of Eden d’Elia Kazan et la compagne délaissée de Kirk Douglas dans Règlement de comptes à O.K. Corral – Gunfight at the O.K. Corral de John Sturges.
Alors que l’on pouvait s’attendre à une succession de scènes d’action, de cavalcades et de gunfights, Le Roi et Quatre Reines emmène le spectateur là où il s’y attendait le moins, une quasi-comédie de western teinté de vaudeville en huis clos (du moins une bonne partie du récit), puisque notre héros ne va avoir de cesse de passer d’une jeune femme à l’autre, dans un jeu de séduction jubilatoire où une vraie tension sexuelle se fait ressentir tout du long. Car il ne faut pas oublier que les quatre belles-sœurs attendent patiemment (euphémisme) depuis deux ans que le seul rescapé de la fratrie revienne au bercail. Alors, quand la moustache de Kehoe arrive toute frétillante à la ferme McDade, la gent féminine s’affole et se pomponne. Quelques part, quand on voit notre aventurier passer d’une femme à l’autre, l’histoire du Roi et Quatre Reines annonce celle des Proies, non seulement le film de Don Siegel réalisé en 1971, mais aussi le roman même de Thomas Cullinan qui sortira dix ans après l’oeuvre de Raoul Walsh.
Tout autant à l’aise dans la peau du paisible cowboy que dans celui du bourreau des coeurs, Clark Gable a peu à faire pour crever l’écran. Si lui aussi amorçait la dernière partie de sa carrière, avant d’être emporté par une crise cardiaque quatre ans plus tard, le comédien affiche une spontanéité qui ferait pâlir d’envie ses plus jeunes confrères. De son côté, Raoul Walsh, qui allait avoir 70 ans, réalise une vraie leçon de cinéma. Tout dans Le Roi et Quatre Reines pourrait être étudié, le montage (le film va à cent à l’heure), le cadre (d’une classe folle, photographié par le grand Lucien Ballard, chef opérateur de Jack L’Eventreur de John Brahm, Baïonnette au canon de Samuel Fuller et Les 4 Fils de Katie Elder de Henry Hathaway), les dialogues (à tomber), le sens de l’espace, la virtuosité du casting, le récit asséché au maximum (le film dure 1h20 montre en main), sans oublier ce parfait équilibre entre le rire, l’émotion et l’action, tout y est magistral. D’ailleurs, tout le cinéma est résumé dans Le Roi et Quatre Reines.
LE BLU-RAY
Après Les Implacables, La Brigade héroïque, Victime du destin, Les Aventures du Capitaine Wyatt, La Vallée de la peur et L’Escadron noir, Raoul Walsh fait son retour chez Sidonis Calysta en combo Blu-ray + DVD (ainsi qu’en DVD single) avec Le Roi et Quatre Reines. Ce dernier avait déjà connu une première édition en DVD chez le même éditeur en février 2010. Cette nouvelle Édition Collection Silver – Combo Blu-ray + DVD se présente sous la forme d’un boîtier Amaray classique, dans lequel est glissée une jaquette au visuel attractif, avec Clark Gable entouré de ses quatre « prétendantes ». Le boîtier est glissé dans un sur-étui cartonné. Le menu principal est quant à lui animé et musical.
Sidonis reprend tout d’abord les deux anciennes présentations réalisées en 2009 par Bertrand Tavernier (19’) et Patrick Brion (6’30).
C’est toujours avec un gros pincement au coeur de revoir l’immense Bertrand Tavernier intervenir sur les titres Sidonis…A travers cette intervention, celui-ci ne cachait pas son amour pour Le Roi et Quatre Reines. Il évoquait aussi la collaboration de Raoul Walsh et Clark Gable, en insistant sur le fait que les deux hommes s’entendaient merveilleusement bien, avant d’analyser directement le film « assez particulier » qui nous intéresse aujourd’hui. Ainsi, la première séquence « extraordinairement filmée avec un Raoul Walsh à son meilleur » est passée au peigne fin, tout comme celle du saloon qui s’ensuit, Bertrand Tavernier pointant d’ailleurs l’utilisation amusante de la bouteille de whisky comme after-shave. Le réalisateur et critique de cinéma pointait les changements de ton du film, le cynisme du personnage principal qui annonçait celui du héros de westerns des années 1970 incarnés par Clint Eatswood, sans oublier le casting (« Raoul Walsh magnifiaient les actrices et s’entendaient merveilleusement avec elles »), en parlant particulièrement d’Eleanor Parker, « une actrice toujours formidable, au jeu extrêmement subtil et fin, qui fait ici jeu égal avec Clark Gable ». Enfin, Bertrand Tavernier abordait le rejet du Roi et Quatre Reines aux Etats-Unis (y compris par le célèbre Leonard Maltin) en raison de l’absence de péripéties violentes propres au genre traditionnel, alors que la France l’a toujours accueilli favorablement.
Tout aussi enthousiaste que Bertrand Tavernier, Patrick Brion déclare d’emblée que c’est une joie immense de parler du Roi et Quatre Reines, « un vrai bonheur de cinéma ». La première partie de cette courte intervention se focalise sur les trois collaborations entre Clark Gable et Raoul Walsh, puis sur le casting essentiellement féminin du film. Dans un second temps, Patrick Brion parle de la très célèbre scène où Clark Gable fait danser ses quatre partenaires, qui apparaît pour lui comme « une des plus grandes scènes de Raoul Walsh, où son plaisir de tourner est comparable à celui des spectateurs devant son film ».
Réalisée à l’occasion de cette ressortie, l’interview de Jean-François Giré (11’) apporte finalement peu d’éléments nouveaux. En effet, le complice de Sidonis reprend peu ou prou exactement les mêmes arguments que Bertrand Tavernier, parfois au mot près, surtout en ce qui concerne la première scène du film, celle de la poursuite, mais aussi et surtout celle du saloon avec cette fameuse utilisation du whisky après le rasage, sans oublier celle de la danse. Les changements de ton sont évoqués.
Le Blu-ray reprend également le documentaire intitulé Les Vraies aventures de Raoul Walsh (95’), réalisé en 2014 par Marilyn Ann Moss, dont l’ouvrage du même nom sortait en parallèle dans les librairies, que l’on avait déjà vu sur le Blu-ray de La Vallée de la peur et sur celui des Implacables. Ce long et souvent passionnant module propose de revenir sur la vie et la carrière (une partie du moins) de Raoul Walsh, à travers de multiples interviews d’hier et d’aujourd’hui d’acteurs, de réalisateurs et d’historiens du cinéma (Illeana Douglas, Peter Bogdanovich, Sidney J. Furie, John A. Gallagher, Leonard Maltin, Lee Marvin, Jane Russell…), d’images de tournage et de photos de plateau, ainsi que divers extraits de films (muets et sonores), le tout sur une narration présentée à la première personne, avec la voix de John Crear. Quant à savoir si l’anecdote sur le cadavre de John Barrymore est vraie ou non, en tout cas celle-ci a le mérite de ne pas laisser indifférent et on vous laisse le soin de la découvrir au fil de ce film.
Ne manquez pas le très beau portrait de Raoul Walsh, écrit et narré par Jean-Claude Missiaen (21’), visible également et uniquement sur l’édition HD, constitué de moult photographies de tournage, d’extraits de films et d’archives diverses. Un superbe document, qui retrace excellemment bien la carrière hors norme du cinéaste (plus de cent films, dont 25 westerns), ainsi que ses grandes collaborations (Errol Flynn, Clark Gable) et qui donne surtout furieusement envie de se préparer une rétro Raoul Walsh dans les semaines à venir. Ce que l’auteur de ces mots va d’ailleurs faire début 2022.
L’Image et le son
S’il est évident que le master HD présenté ici ne date pas d’hier, il serait dommage de se priver de ce joli petit lifting du Roi et Quatre Reines, qui surpasse la copie SD sortie il y a plus de dix ans dans nos contrées. Alors, ne vous attendez pas au Blu-ray du siècle, mais à une présentation plus proche des volontés artistiques originales du directeur de la photographie Lucien Ballard (Le Solitaire de Fort Humboldt de Tom Gries, Boeing Boeing de John Rich). La palette chromatique s’en tire fort honorablement avec des teintes chaudes du début à la fin et des contrastes souvent profonds. Les détails ne manquent pas, le piqué est acéré et la propreté indéniable, malgré quelques minimes poussières. En revanche, la texture argentique est parfois déséquilibrée, pour ne pas dire trop lissée.
L’éditeur ne propose pas un inutile remixage 5.1, mais propose les versions anglaise et française en DTS-HD Master Audio mono 2.0. Passons rapidement sur la version française au doublage old-school, dont les voix paraissent bien confinées et peu ardentes, sans parler de la pauvreté des effets annexes. Elle n’arrive pas à la cheville de la version originale, évidemment plus riche, vive, propre et aérée. Dans les deux cas, le souffle se fait discret et la musique bénéficie d’une jolie restitution. Les sous-titres français ne sont pas imposés sur la version originale.