LE JARDIN DES SUPPLICES réalisé par Christian Gion, disponible en Blu-ray le 13 août 2020 chez Le Chat qui fume.
Acteurs : Roger Van Hool, Ysabelle Lacamp, Jacqueline Kerry, Tony Taffin, Robert Bazil, Jean Rougeul, Raymond Jourdan, Arlette Balkis, Stéphane Fey, Jean-Claude Carrière…
Scénario : Pascal Lainé d’après le roman d’Octave Mirbeau
Photographie : Lionel Legros
Musique : Jean-Pierre Doering
Durée : 1h34
Année de sortie : 1976
LE FILM
1926. À la suite de problèmes liés à la drogue, Antoine Durrieu, jeune médecin dévoyé, est contraint de quitter la France et embarque à bord d’un navire en route pour la Chine. Durant la traversée, il fait la connaissance de la belle et trouble Clara Greenhill, fille d’une riche et influente personnalité basée à Canton. Dès son arrivée, Antoine va pénétrer dans un monde au cadre étrangement idyllique vicié par la torture et les meurtres, tandis qu’au dehors couve une révolution populaire.
Aaaaah Christian Gion, le réalisateur de moult comédies populaires qui nous ont souvent réjouis et qui sont devenues cultes comme Le Pion (1978) avec Henri Guybet et la délicieuse Claude Jade, Pétrole ! Pétrole ! (1981) avec Bernard Blier, Jean-Pierre Marielle et la délicieuse (Bis) Catherine Alric et Les Diplômés du dernier rang (1982) avec Patrick Bruel, Michel Galabru et la délicieuse (Ter) Catriona MacColl ! Egalement le scénariste et le metteur en scène de deux Aldo Maccione Movies, Le Bourreau des cœurs (1983) et Pizzaiolo et Mozzarel (1985), Christian Gion n’a jamais eu la reconnaissance d’un Claude Zidi, mais n’en demeure pas moins chéri par les amateurs de films potaches (rien de péjoratif ici, nous ne sommes pas chez Les Inrocks ou Télérama) qui ont fait rire – et continuent d’ailleurs de le faire aujourd’hui – les spectateurs connaisseurs de valeurs sûres. Si ses derniers longs métrages sont sans doute moins connus, Le Provincial (1989), son film le plus personnel et peut-être le plus autobiographique, Sup de fric (1992), dernier baroud d’honneur de Jean Poiret devant la caméra et Les Insaisissables (1999) avec Daniel Prévost, il existe aussi un petit trésor insoupçonné du cinéma Bis dans la carrière de Christian Gion intitulé Le Jardin des supplices. Véra Belmont, qui jusqu’à présent avait financé les films de Paul Vecchiali, Marcel Carné, Maurice Pialat et d’André Téchiné, avait produit quelques œuvres plus étonnantes comme La Loi du survivant (1967) de José Giovanni, Un condé (1970) d’Yves Boisset et La Faute de l’abbé Mouret (1970) de Georges Franju. Il n’est donc pas si étonnant de la retrouver à la production de ce Jardin des supplices, réalisé en 1976 par Christian Gion. Après le triomphe international d’Emmanuelle en 1974 avec près de 9 millions d’entrées rien qu’en France, il y avait de quoi donner envie à certains de surfer sur cette nouvelle vague érotico-soft. C’est le cas de ce Jardin des supplices, sur le papier adapté du roman éponyme d’Octave Mirbeau, publié en 1899, mais qui serait en fait inspiré par une pièce de théâtre de Pierre Chaine et André de Lorde, déjà influencée lointainement du livre original. Si cela n’a jamais été réellement prouvé, surtout que Christian Gion a toujours déclaré avoir travaillé à partir du roman d’Octave Mirbeau, Le Jardin des supplices est un film très étonnant, parfois lent, mais animé par une vraie envie de faire du cinéma, d’autant plus que l’histoire permet au réalisateur de se frotter au genre érotique, tâche dont il s’acquitte admirablement. Et pour résumer nous dirons surtout que Le Jardin des supplices apparaît comme une étrange expérience hypnotique et sensorielle.
Nous sommes en 1926. Envoyé en Chine pour éviter un scandale fâcheux, Antoine Durrieu (Roger Van Hool), médecin rayé de l’Ordre, mais réintégré par protection, rencontre, sur le bateau qui l’amène à Canton, Clara Greenhill (Jacqueline Kerry), ensorcelante créature dont le mystère et le charme l’envoûtent. Accueilli lors de son arrivée par le docteur Schwartz, Antoine se rend vite compte des conditions sanitaires épouvantables dans lesquelles travaille son confrère: c’est que tous les médicaments sont taxés et stockés par l’homme le plus influent de la ville, le père de Clara, lequel de plus s’avère être un collectionneur émérite d’objets précieux chinois. Introduit dans le cercle de l’homme d’affaires, Antoine découvre peu à peu l’égoïsme et l’insensibilité absolus de Clara, surnommée « la fée des charniers ». Un jour, la jeune femme entraîne Antoine dans un jardin dans lequel il découvre des esclaves torturés de diverses façons pour le plaisir de Clara et de son père. Guidé par son hôte, lequel sait déjà son monde condamné par l’avance foudroyante des révolutionnaires, Antoine, révolté et tenté, accomplit jusqu’au bout son voyage dans l’horreur.
« Antoine, tu parles comme tu éjacules, à tort et à travers ! »
Pour véritablement apprécier Le Jardin des supplices, il faut faire fi de tout ce qui touche de près ou de loin aux désirs de révolution, notamment au niveau des dialogues, qui peuvent paraître parfois ronflants. L’intérêt est ailleurs. Ce à quoi parvient Christian Gion, dès la première scène, c’est créer une ambiance, une atmosphère cotonneuse avec notamment une superbe photo aux partis pris éthérés signée Lionel Legros, complice du cinéaste sur de nombreux films, assistant de Luis Buñuel sur Belle de jour (1967) et cameraman de Maurice Pialat sur Nous ne vieillirons pas ensemble (1972). Christian Gion prouve qu’il sait conduire un récit sérieux (ça c’est surtout pour ses détracteurs) et qu’il en a sous le capot techniquement parlant.
Le Jardin des supplices est un film contemplatif et expérimental (gros travail sur l’environnement musical), qui ne se préoccupe pas forcément de rendre ses personnages attachants, mais où le cinéaste les manipule intelligemment pour les mener vers l’inconnu, où le sexe et meurtre sont liés. A ce titre, le film regorge de belles poupées dénudées (Jacqueline Kerry est divine) qui contrastent avec le charisme de Roger Van Hool (célèbre pour avoir interprété Oscar dans le chef d’oeuvre éponyme d’Edouard Molinaro), tout en cheveux longs et moustache fringante, qui rappelle le chanteur Gérard Blanc, mais c’est une autre histoire. Tout cela pour dire que Le Jardin des supplices est à la fois séduisant (y compris la belle musique de Jean-Pierre Doering) et un brin pervers, qui excite aussi bien les sens que l’intellect. Et puis chose étonnante, preuve que Christian Gion et son scénariste Pascal Lainé (prix Goncourt en 1974 pour La Dentellière, rien que ça) étaient bien inspirés, une séquence, celle de la masturbation de l’énorme phallus, conduisant à une éjaculation de sang, n’est pas sans annoncer une scène du même acabit(e) dans Antichrist de Lars von Trier. Autant vous dire que Le Jardin des supplices vaut le déplacement et d’être (re)découvert.
LE BLU-RAY
Le Jardin des supplices est présenté par Le Chat qui fume, dans une édition limitée à 1000 exemplaires et en exclusivité mondiale en Haute-Définition. Le Blu-ray repose dans un boîtier Digipack à trois volets, au verso coquin qui plaira aux (a)mateurs, le tout introduit (coquins) dans un fourreau cartonné au visuel très élégant. Le menu principal est animé et musical.
Quel plaisir d’écouter Christian Gion ! Pour le compte du Chat qui fume, Roland-Jean Charna, décidément omniprésent dans la conception des suppléments des DVD-Blu-ray ces dernières années, est allé à la rencontre du réalisateur (28’). A l’occasion de la sortie du Jardin des supplices en Haute-Définition, l’éditeur et le journaliste proposent une interview-carrière de celui qui nous a bien fait marrer au cinéma, notamment avec Les Diplômés du dernier rang pour l’auteur de ses mots qui voue un culte à ce film. Christian Gion revient donc volontiers sur tous ses longs métrages, sur ses succès et ses échecs, sur ses rencontres déterminantes. Mais il aborde aussi et surtout la genèse et la production du Jardin des supplices, titre qui nous intéresse ici. Le cinéaste déclare que c’était avant tout le fait de mettre en scène un film totalement éloigné de son registre habituel qui l’a définitivement convaincu de se lancer dans cette aventure. De la production avec Véra Belmont, en passant par les conditions (difficiles) de tournage, le casting, l’adaptation (« juste et honnête ») du roman d’Octave Mirbeau avec le scénariste Pascal Lainé, les scènes sanglantes, l’apparition de Jean-Claude Carrière, sans oublier la sortie avec « un certain succès et où tout le monde était content », Christian Gion aborde tous ces sujets et s’avère être un compagnon de route bien sympathique.
L’Image et le son
Le Jardin des supplices est annoncé dans sa version intégrale et en HAUTE-DÉFINITION ! Qui l’eût cru ? Le film n’a sûrement jamais été présenté avec autant de clinquant et une propreté aussi étincelante, du moins depuis sa sortie. D’ailleurs, Le Jardin des supplices avait quasiment disparu de la circulation, alors découvrir le film dans ces conditions, ou tout simplement pour la première fois était pour ainsi dire inattendu voire inespéré. Si quelques raccords de montage et de très légers fourmillements ont été constatés durant le visionnage, force est de constater que Le Chat qui fume ajoute une nouvelle réussite technique à son palmarès. Les plans flous sont vraisemblablement d’origine et font partie du charme de la photo. La texture argentique est délicate et les poitrines dénudées n’ont jamais été aussi…palpables. Alors pourquoi résister ?
Le bât blesse quelque peu du point de vue acoustique en raison de dialogues souvent très feutrés et couverts. Dommage de ne pas disposer d’une piste de sous-titres français destinés aux spectateurs sourds et malentendants, ce qui aurait parfois simplifier les choses. Notons également un sensible bruit de fond sur ce mixage aléatoire.