LE DIABLE BOITEUX réalisé par Sacha Guitry, disponible en Combo Blu-ray + DVD + DVD de bonus le 5 décembre 2023 chez Rimini Editions.
Acteurs : Sacha Guitry, Lana Marconi, Émile Drain, Henry Laverne, Maurice Teynac, Philippe Richard, Georges Spanelly, Renée Devillers…
Scénario : Sacha Guitry, d’après sa pièce
Photographie : Nikolai Toporkoff
Musique : Louis Beydts
Durée : 2h05
Année de sortie : 1948
LE FILM
De la fin du XVIIIè au début du XIXè, Talleyrand, homme d’État français et rusé diplomate sert six régimes successifs, parfois opposés… Avec brio, Sacha Guitry dresse le portrait de ce maître de la trahison et du changement d’allégeance, jusqu’à son triomphe final.
Avec Le Diable boiteux (« un film conçu, dialogué, réalisé et interprété par l’auteur »), biographie filmée du prince de Talleyrand, évêque d’Autun, qui servit la France de l’Ancien Régime jusqu’à la Monarchie de Juillet en passant par le Directoire, le Consulat, le Premier Empire et la Restauration (« Vive le roy ! », « Vive la République ! », « Vive l’Empereur ! », « Vive le roi ! » est-il écrit sur le même mur au fil du récit), Sacha Guitry signait son retour au cinéma. Si Le Comédien allait sortir en premier, Le Diable boiteux était initialement prévu avant celui-ci, mais le réalisateur, auteur et comédien allait rencontrer quelques soucis avec la censure. Avant que le tournage soit lancé, la pièce en trois actes et neuf tableaux Talleyrand ou le Diable boiteux attirait les foules au théâtre Édouard VII en 1948. Fasciné par le personnage historique, Sacha Guitry y voyait une opportunité pour faire un parallèle avec ce qu’il venait de vivre, ayant été arrêté puis incarcéré pour son comportement avec l’occupant allemand. Adulé et pourtant détesté par certains, mis au pilori et encensé, Sacha Guitry se met à nu dans la peau de Talleyrand (« le plus grand diplomate qui ait jamais existé […] qui ne s’est jamais soucié de l’opinion d’autrui ») et livre une sublime prestation, probablement l’une de ses meilleures. Si quelques longueurs se font parfois ressentir (le film durant plus de deux heures), notamment lors de la fête organisée pour les infants d’Espagne à Valençay, Le Diable boiteux laisse pantois d’admiration par la beauté incommensurable de ses dialogues et la modernité de sa mise en scène.
Quelques épisodes de la vie du rusé diplomate français Talleyrand (1754-1838), qui servit sous six régimes, de Louis XV à Louis-Philippe : de son enfance marquée par un pied-bot depuis sa naissance, son accession à la prêtrise puis à la dignité épiscopale, son aisance à retourner son froc, ses succès auprès des jolies femmes, sa manie de la conspiration, ses trahisons dictées par le seul souci de servir la France, enfin son triomphe : l’alliance avec l’Angleterre, peu avant sa mort.
« Que devient Talleyrand? » « Il vieillit ! » « C’est de son âge ! ».
S’il est comme toujours éminemment bien entouré, par Lana Marconi sa compagne (pourtant peu renommée pour son talent d’actrice), Émile Drain (Panique de Julien Duvivier, impeccable ici en Napoléon), la merveilleuse Jeanne Fusier-Gir (qui vole la vedette à chaque apparition), la fidèle Pauline Carton, Henry-Laverne et Maurice Teynac (respectivement Louis XVIII et Charles X) et bien d’autres, Sacha Guitry crève l’écran une fois de plus. Son phrasé, sa stature, sa prestance, de son apparition face à ses laquais, pris entre amour et haine, à la mort de son personnage, tout subjugue, captive, enchante dans son interprétation de Talleyrand. Sacha Guitry apporte son esprit à cet homme, dont le seul but était la grandeur de la France, en traversant les régimes, les soulèvements, en accompagnant les différents responsables du pays, eux aussi partagés sur leurs sentiments liés au bonhomme, « Vous êtes de la merde dans un bas de soie » lui dit frontalement Napoléon. Bourré d’ironie et d’humour, qui disparaissent petit à petit à mesure du vieillissement de son protagoniste et que la poudre étalée sur son visage se craquelle, pour se diriger vers une gravité inattendue, Le Diable boiteux est un bijou de construction dramatique, où les événements s’imbriquent comme des poupées russes, une mécanique implacable où chaque réplique est à sa place et déclamée comme des coups de poing.
Accusé d’avoir trahi l’Empire, comme Guitry l’était également après la guerre, Talleyrand n’hésite pas à répondre à Napoléon, Sire, je n’ai jamais conspiré, dans ma vie, qu’aux époques où j’avais la majorité de la France pour complice !. On sent le dramaturge admiratif du répondant de Talleyrand, qui lui aussi mettait comme qui dirait en scène ceux qui l’entouraient, en leur donnant son avis quant à la bonne conduite à tenir. Pendant ses cinq ans d’absence, Sacha Guitry a eu le temps de peaufiner ce rôle auquel il tenait et qui restera par la suite l’un de ses plus emblématiques et y voit l’occasion de réaliser son propre plaidoyer, qui transpire à chaque instant derrière la beauté clinquante des décors et des costumes.
Avec près de deux millions d’entrées à sa sortie, Le Diable boiteux remet définitivement Sacha Guitry en selle et ce jusqu’à la fin de sa vie en 1957.
LE COMBO BLU-RAY + DVD
Après Le Comédien, nous passons en revue le Combo Blu-ray + DVD + DVD de bonus du Diable boiteux (sorti précédemment en DVD chez MK2) concocté par Rimini Éditions et disponible à la vente depuis décembre 2023. Les trois disques sont placés dans un Digipack à deux volets, glissé dans un fourreau cartonné du plus bel effet. Le menu principal de l’édition HD est animé et musical.
Nous retrouvons cette fois encore Noël Herpe, historien du cinéma, qui nous propose un retour complet sur Le Diable boiteux (25’). L’invité de Rimini se concentre ici sur la figure historique de Talleyrand, personnage qui fascinait Sacha Guitry, « car lui-même metteur en scène des autres ». De la pièce de théâtre au film, en passant par le casting, les problèmes rencontrés avec la censure, la scène de la mort de Talleyrand coupée au montage (retrouvée lors de la restauration du film et dont nous parlons ci-dessous), l’utilisation de la voix-off, le caractère « matriciel » du cinéma de François Truffaut représenté par le caractère fondateur de la parole, « où un film se construit à partir du verbe », sont les sujets abordés au cours de cette intervention passionnante.
Nous en parlions plus haut, une fin alternative dévoilant plus longuement le décès de Talleyrand, a été retrouvée lors de la restauration du Diable boiteux. Elle est ici restituée et montre entre autres l’arrivée d’un abbé.
À l’occasion de la présentation du Diable boiteux dans sa version restaurée au 51è Festival La Rochelle Cinéma durant l’été 2023, la réalisatrice, scénariste et critique Axelle Ropert (conseil d’ami, ne vous penchez pas sur son cinéma, c’est horrible) présente et commente le film de Sacha Guitry. Si elle s’égare souvent (d’ailleurs, elle le dit elle-même), Axelle Ropert donne quelques indications intéressantes sur le contexte dans lequel Le Diable boiteux a été réalisé, Sacha Guitry étant alors en disgrâce depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, ayant été arrêté en août 1944 par des Forces françaises de l’intérieur du Comité parisien de Libération, qui lui reprochent alors son attitude à l’égard de l’occupant allemand. Il est incarcéré plusieurs mois, puis remonte sur scène en 1947. Axelle Ropert met en relief la modernité du cinéma de Sacha Guitry (« un cinéaste pas tranquille, mais insolent »), évoque sa propre découverte de l’oeuvre du réalisateur-dramaturge-acteur (dont elle vante l’immense talent de comédien, souvent relégué au second plan), la Nouvelle vague qui encensait l’auteur et ses longs-métrages. Puis, elle en vient à un parallèle pertinent sur la figure de Sacha Guitry et celle de Talleyrand, à la fois aimé et détesté, « une crapule séduisante, travaillé par le destin de son pays », comme si Sacha Guitry réalisait ici sa propre plaidoirie après avoir vécu le rejet à la fin de la guerre.
Noël Herpe fait son retour pour nous parler (9’35) de MCDXXIX-MCMXLII (De Jeanne d’Arc à Philippe Pétain), moyen-métrage (54’) réalisé par Sacha Guitry et projeté en 1944, non destiné à une exploitation commerciale, mais projeté lors d’un gala à l’Opéra de Paris. Entièrement tourné en banc-titre, présentant les pages du livre d’art éponyme publié sous la signature de Sacha Guitry en 1942, ce film (« pas une adaptation littéraire, mais littérale ! […] incroyablement novateur sur la forme et réactionnaire sur le fond ») s’accompagne d’un commentaire dit en direct par le réalisateur et était à l’origine destiné à tourner en province à seule fin de présenter aux libraires, marchands d’éditions rares et clients potentiels l’existence de l’édition de luxe du livre d’art éponyme, paru deux ans auparavant. Il existe deux copies du film, l’une ne comportant que les voix off des divers intervenants (comédiens, artistes lyriques, personnalités des Arts et des Lettres), l’autre comportant en sus le commentaire de Sacha Guitry. La version présentée ici comporte cette intervention, ainsi que celles entre autres de Jean Cocteau et Madeleine Renaud. Honnêtement, De Jeanne d’Arc à Philippe Pétain vaut plus pour sa forme (qui plus est vite redondante) que ce qu’il propose réellement (promouvoir les grands noms de la littérature, de la musique, de la peinture…), la durée du film n’aidant pas non plus à maintenir l’intérêt jusqu’à la fin. Notons que les trois premières minutes se déroulent sur un fond noir.
L’interactivité se clôt sur la bande-annonce.
L’Image et le son
La restauration 4K du Diable boiteux a été confiée aux bons soins du laboratoire Hiventy, à partir du négatif image. A l’instar de ses précédentes sorties en Haute Définition, ce Blu-ray Rimini en met souvent plein les yeux dès le générique d’ouverture avec une définition qui laisse pantois. Ce nouveau master HD au format 1080p/AVC ne cherche jamais à atténuer les partis pris esthétiques originaux. La copie se révèle étincelante, avec un piqué ciselé, des noirs denses, des blancs lumineux, des détails acérés. La propreté est sidérante (quelques poils en bord de cadre, rien de grave), la stabilité est de mise, la photo retrouve une nouvelle jeunesse doublée d’un superbe écrin, et le grain d’origine a heureusement été conservé.
Egalement restaurée à partir du négatif son français nitrate, la piste DTS-HD Master Audio Mono instaure un haut confort acoustique avec des dialogues percutants et une très belle restitution de la musique de Louis Beydts. Aucun souffle, ni aucune saturation ne sont à déplorer. L’éditeur joint également les sous-titres français destinés au public sourd et malentendant, ainsi qu’une piste Audiodescription.
Crédits images : © UCIL / TF1 Studio / Indivision Aubart, ayants droits Sacha Guitry / Rimini Editions / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr