Test Blu-ray / Le Dernier rivage, réalisé par Stanley Kramer

LE DERNIER RIVAGE (On the Beach) réalisé par Stanley Kramer, disponible en Combo Blu-ray + DVD le 21 septembre 2022 chez Rimini Editions.

Acteurs : Gregory Peck, Ava Gardner, Fred Astaire, Anthony Perkins, Donna Anderson, John Tate, Harp McGuire, Lola Brooks…

Scénario : John Paxton, d’après le roman de Nevil Shute

Photographie : Giuseppe Rotunno

Musique : Ernest Gold

Durée : 2h09

Date de sortie initiale : 1959

LE FILM

La guerre nucléaire a eu lieu. Personne n’a gagné. La mort et la désolation règnent sur le monde. Seuls les Australiens et les hommes du sous-marin Sawfish ont survécu à l’apocalypse nucléaire. Le Capitaine Dwight Towers part en mission sur le Sawfish afin de vérifier le niveau de radiations sur terre. Il revient avec de mauvaises nouvelles : le nuage radioactif approche et l’issue est inéluctable. Leurs dernières heures venues, chaque personne affronte l’adversité à sa manière.

Quand il sort sur les écrans en 1959, Le Dernier rivage On the Beach, adaptation du roman éponyme du britannique Nevil Shute, peu de films avaient osé aborder les dangers du nucléaire, en dehors de Cinq survivants Five (1951) d’Arch Oboler et Day the World Ended (1955) de Roger Corman. Quelques mois avant l’arrivée du Dernier rivage dans les salles, Le Monde, la Chair et le DiableThe World, The Flesh and the Devil de Ranald MacDougall lui dame le pion en surfant sur le même thème. Dans Cinq survivants, la Terre, devenue un vaste cimetière, était dépeuplée des suites d’un holocauste nucléaire et seules cinq personnes, semblant avoir miraculeusement survécu, se retrouvaient dans un site privilégié épargné par les retombées radioactives, où il devaient apprendre à coexister face au tragique de la situation. De son côté, Roger Corman partait d’un postulat de départ assez similaire, autrement dit le monde détruit par une guerre nucléaire, pour ensuite bifurquer vers le survival et le film d’épouvante avec une victime des rayonnements devenu un mutant cannibale. En plus de tirer un signal d’alarme sur le nucléaire, Le Monde, la Chair et le Diable se doublait quant à lui d’une réflexion sur le racisme. Mais ces opus montraient alors un nouveau monde qui émergeait. Ce n’est pas le cas du Dernier rivage qui se concentre sur les dernières heures du reste de la race humaine, après une guerre nucléaire qui a ravagé la quasi-intégralité de la population terrienne. Toute ? Non ! (air connu) Quelque part entre les océans Indien et Pacifique subsistent encore des hommes, des femmes et des enfants, épargnés par les retombées radioactives…mais cela n’est qu’une question de temps, car celles-ci approchent doucement, mais sûrement de l’Australie où malgré tout la vie continue. Comment se préparer à l’inévitable ? Le Dernier rivage propose une profonde et contre toute attente sereine méditation sur l’extinction de l’humanité, en s’attachant à une poignée de personnages, qui hormis un jeune couple venant d’avoir une petite fille, sont marqués par la solitude. Un dialogue s’instaure, les philosophies de vie s’entrecroisent et se mêlent, il est temps désormais pour ceux qui ont survécu jusqu’à présent, d’accepter que l’air vicié par ceux qui ont appuyé sur le bouton rouge enflammera bientôt leurs poumons…Le Dernier rivage foudroie par sa beauté plastique, la photographie à la fois crépusculaire et luminescente du légendaire Giuseppe Rotunno (La Bataille pour Anzio, Ce plaisir qu’on dit charnel, Fellini Roma, Rocco et ses frères, Le Guépard), la mise en scène immersive (parfois à la limite du documentaire) de Stanley Kramer (1913-2001) et l’interprétation bouleversante d’un quatuor d’acteurs exceptionnels, Gregory Peck, Ava Gardner, Anthony Perkins et Fred Astaire.

L’action se situe à Melbourne en Australie. La Troisième Guerre mondiale a été déclenchée, et l’Australie, le dernier pays survivant, est dans l’attente inexorable d’être atteint à son tour par les mortelles radiations des armes atomiques. L’intrigue se focalise sur les dernières semaines de la vie de quelques personnes. On suit notamment les amours désespérées de Moira Davidson et de Dwight Towers, capitaine d’un sous-marin américain qui patrouillait dans le Pacifique lors du bombardement, et les ultimes événements dans la vie du jeune couple Holmes et de son entourage. L’espoir qu’il reste d’autres survivants est quelque temps entretenu par la réception de signaux intermittents et désordonnés de type Morse, mais la découverte de leur origine y mettra fin.

There is still time… brother

Stanley Kramer, ancien producteur (Le Champion de Mark Robson, C’étaient des hommes de Fred Zinnemann, Cyrano de Bergerac de Michael Gordon) devenu réalisateur, sort du triomphe international de La ChaîneThe Defiant Ones quand il entreprend la transposition du livre de Nevil Shute, publié en 1957. Il confie le scénario à John Paxton, collaborateur récurrent d’Edward Dmytryk (Adieu, ma belle, Pris au piège, Feux croisés, trois fleurons du film noir emballés pour la RKO), avant de connaître un succès colossal avec L’Équipée sauvage The Wild One de Laslo Benedek. La rigueur et la sensibilité du scénariste participent à l’immense réussite du Dernier rivage, vibrante introspection de l’âme humaine au moment où les derniers êtres sont sur le point de disparaître. Avec son mètre 90 et ses épaules larges comme une armoire, Gregory Peck (juste avant Les Canons de Navarone de Jack Lee Thompson) n’a jamais paru aussi fragile que dans Le Dernier rivage (la scène où son personnage se livre à Moira sur le quai de la gare est déchirante), en interprétant un homme qui a perdu les siens dans l’ultime guerre nucléaire et qui s’est depuis plongé corps et âme dans son travail, au sens propre comme au figuré, puisqu’il officie en tant que capitaine d’un sous-marin nucléaire américain, maintenant sous le commandement de la Royal Australian Navy. Sa rencontre avec une femme, qui a eu beaucoup d’amants et dont le corps n’est désormais réchauffé que par quelques liquides ambrés, était inattendue. Mais on comprend pourquoi le Commander Dwight Lionel Towers tombe sous le charme de Moira, puisque celle-ci est incarnée par Ava Gardner.

La guerre a commencé quand les gens ont accepté le principe idiot que la paix ne pourrait être maintenue qu’en se défendant avec des armes, qu’on ne pourrait en fait utiliser sans se suicider.

La comédienne vient de connaître une décennie marquée par des grands rôles auprès de cinéastes de renom, Albert Lewin (Pandora), John Ford (Mogambo), Joseph L. Mankiewicz (La Comtesse aux pieds nus), Richard Thorpe (Les Chevaliers de la Table ronde), John Farrow (Vaquero). Alors que sa vie privée empiète petit à petit sur sa carrière et juste avant qu’elle se mette légèrement en retrait du monde du cinéma, Ava Gardner signe une troublante prestation dans Le Dernier rivage, dans lequel elle interprète une femme « qui a vécu », dont les yeux cernés par les nuits d’insomnie et embués par l’alcool dissimulent un mal de vivre que perçoit immédiatement Towers. Ce dernier, n’ayant pu faire son deuil, devra attendre de constater par lui-même que l’Amérique n’est peuplée que de disparus, pour pouvoir enfin vivre son idylle avec Moira, même si le temps leur est compté. Nous avons aussi Anthony Perkins (qui s’apprêtait à tenir l’Hôtel Bates dans Psychose d’Alfred Hitchcock) et Donna Anderson, couple dans la vingtaine et jeunes parents, qui à peine lancés dans la vie doivent se résigner et accepter le fait qu’ils sont condamnés avec leur petite fille. Par ces personnages, Le Dernier rivage aborde la question sensible de l’euthanasie, qui prend ici la forme de pilules difficiles à obtenir, destinées à celles et ceux qui souhaiteraient mettre fin à leurs jours avec dignité, plutôt que d’être rongés par l’air pollué.

Enfin, On the Beach est aussi le premier long-métrage non musical de Fred Astaire, soixante ans, qui sans surprise s’avère remarquable dans le rôle de Julian, scientifique cynique, désabusé et amoureux transi de Moira, qui se résout à mourir seul, mais décide avant cela de vivre un de ses rêves, participer à une course automobile à bord d’une Ferrari. Un pari fou et forcément risqué, où Julian, par son manque d’expérience, sait qu’il peut décrocher dans n’importe quel virage. Stanley Kramer filme alors cette compétition comme un suicide collectif, où les pilotes repoussent leurs limites et peu importe les dangers puisque de toute façon la mort les rattrapera bien assez tôt.

Récompensé par le National Board of Review, qui l’a classé dans le top 10 des meilleurs films de l’année, le Prix de l’ONU aux BAFTA, le Golden Globe de la meilleure musique de film pour Ernest Gold, nommé deux fois aux Oscars, Le Dernier rivage, qui connaîtra un remake sous la forme d’un téléfilm intitulé USS Charleston, dernière chance pour l’humanité et réalisé en 2000 par Russell Mulcahy, a su conserver sa force et son message n’a jamais autant paru d’actualité. Étrangement oublié ou mal considéré, rare, il faut réhabiliter aujourd’hui On the Beach, oeuvre furieusement mélancolique, qui refuse le spectaculaire ou l’outrance (nous ne sommes pas dans un film catastrophe), pour cibler uniquement le coeur de ses protagonistes. Et c’est magnifique.

LE COMBO BLU-RAY + DVD

Il faut remonter à 2004 pour retrouver une précédente édition DVD du Dernier rivage, sorti chez MGM, sans aucun supplément. Qu’à cela ne tienne, Rimini Éditions dégaine son deuxième titre de la collection SF, quatre mois après Panique année zéro de Ray Milland. Un combo Blu-ray + DVD qui prend la forme d’un superbe Digipack à deux volets, glissé dans un fourreau cartonné merveilleusement illustré. Le menu principal est fixe et musical.

Le premier supplément est un entretien avec Vincent Nicolet, journaliste qui officie pour le site Culturopoing (31’). Pour une première, ce dernier s’en sort haut la main dans l’exercice et livre une formidable présentation du Dernier rivage qui contient toutes les informations que le cinéphile curieux est en droit d’attendre. Vincent Nicolet aborde ainsi la carrière de Stanley Kramer, ses thèmes récurrents (et par conséquent ceux de On the Beach), l’adaptation du roman de Nevil Shute, le travail du chef opérateur Giuseppe Rotunno, le casting, les conditions de tournage, les intentions du réalisateur, les partis-pris (comment représenter un monde au bord de l’extinction, ne pas montrer de cadavres, l’absence de violence), le développement des personnages, le contexte politique à lors de la sortie du film, les quelques références (La Prisonnière du désert, Brève rencontre), la pérennité de ce dernier…L’invité de Rimini indique enfin que « le film est sans doute très écrit et manque peut-être de spontanéité », même si son intervention montre clairement que Le Dernier rivage mérite d’être revu.

C’est comme qui dirait une spécialité de Rimini Éditions, aller à la rencontre de personnalités inattendues. C’est encore le cas de Marie-Odile Probet, traductrice du roman de Nevil Shute, pour la réédition parue en janvier 2022 aux Éditions du Chemin de Fer. Un entretien passionnant de 35 minutes, durant lequel Marie-Odile Probet revient sur la vie et l’oeuvre de Nevil Shute, ingénieur aéronautique, aviateur et écrivain britannique, avant d’en venir plus précisément sur son livre On the Beach, ainsi que sur son adaptation par Stanley Kramer, en pointant surtout les différences entre les deux, le long-métrage étant selon elle très hollywoodien. Nous avions déjà envie de découvrir le roman après avoir vu le film et cela devient indispensable après cette présentation.

L’Image et le son

Rimini Éditions a semble-t-il repris le même master HD sorti aux États-Unis chez Kino Lorber en 2014. Une copie stable qui a donc forcément quelques heures de vol et honnêtement cela se voit. Mais l’ensemble se tient bien, en dépit de poussières, tâches, rayures et griffures subsistantes et de sensibles défauts de pellicule. La gestion des contrastes est convaincante, évidemment plus hésitante sur les stockshots divers et variés parsemés dans le film, les noirs sont profonds, la clarté omniprésente, la gamme de gris étendue, la texture argentique préservée et équilibrée, sans aucune utilisation de DNR. Les détails sont on ne peut plus plaisants sur le cadre 1.66. (selon nos sources, Le Dernier rivage a été tourné en 1.85), en particulier sur les nombreux gros plans. Blu-ray au format 1080p.

En ce qui concerne la version anglaise DTS-HD Master Audio 2.0, peu de choses à signaler, si ce n’est que le confort acoustique est éloquent, les dialogues dynamiques, en dépit de fluctuations. Peut-être un sifflement sensible en fond, mais rien de rédhibitoire. La version française se concentre essentiellement sur le report des voix, assez conséquent d’ailleurs. Une piste de bonne facture. Également disponible, une version originale en 5.1, facultative et même anecdotique. Les sous-titres français ne sont pas imposés.

Crédits images : © MGM / Rimini Editions / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

Une réflexion sur « Test Blu-ray / Le Dernier rivage, réalisé par Stanley Kramer »

  1. Pour répondre à la remarque concernant le format, le site IMDB référence « On the Beach » comme ayant bien été tourné en 1.66:1, et non en 1.85:1.

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