LE DÉPUTÉ (El Diputado) réalisé par Eloy de la Iglesia, disponible en Combo Blu-ray + DVD le 7 mai 2024 chez Artus Films.
Acteurs : José Sacristán, María Luisa San José, José Luis Alonso, Enrique Vivó, Agustín González, Queta Claver, Ángel Pardo, Juan Antonio Bardem…
Scénario : Eloy de la Iglesia & Gonzalo Goicoechea
Photographie : Antonio Cuevas
Durée : 1h46
Date de sortie initiale : 1978
LE FILM
Roberto Orbea est député dans un parti de gauche. Homosexuel, il a épousé une camarade du parti, en espérant rester fidèle. Mais il est emprisonné pour ses activités politiques, et il devient l’amant de Nes, un prostitué. À sa sortie de prison, Orbea est élu député, et mène une politique contre le terrorisme. Un groupe de terroriste tardofranquiste paie Nes pour qu’il piège Orbea, afin de le faire tomber politiquement.
Eloy Germán de la Iglesia (1944-2006) est à un tournant de sa carrière quand il coécrit avec son complice Gonzalo Goicoechea et met en scène Le Député – El Deputado à la fin des années 1970. Le cinéaste espagnol n’est pas encore pleinement inscrit dans le sous-genre dit du quinqui, sur lequel nous sommes déjà revenus à plusieurs reprises avec les sorties physiques d’El Pico, Colegas, El Pico 2 et Navajeros chez Artus Films. Néanmoins, quelques éléments commencent à apparaître dans ce remarquable drame politique, à l’instar des personnages de Nes et Juanito, deux jeunes délinquants, obligés de vendre leur cul pour survivre dans l’Espagne post-franquiste. Eloy de la Iglesia parle donc ouvertement de politique, de sexe, d’homosexualité et Le Député a fait l’effet d’une bombe à sa sortie, tandis que le cinéaste allait progressivement adopter pleinement le point de vue des outsiders deux ans plus tard dans Navajeros, tout en conservant un fond engagé. En l’état, Le Député est une étape primordiale dans la filmographie de son auteur, incontestablement un sommet, un coup de poing dans la tronche, un chef d’oeuvre.
Roberto Orbea, député d’un parti de gauche aux premières élections démocratiques de la Transition, qui sera élu secrétaire général le lendemain, nous expose sa vie avant qu’un scandale n’éclate. Il nous raconte comment il a vécu son homosexualité dès l’âge de 15 ans, de manière furtive et réprimée, alors qu’il commençait son militantisme politique pendant ses études et, plus tard, comme avocat sous Franco. Il épouse une collègue du Parti, à qui il ne cache pas ses penchants homosexuels passés, estimant ainsi s’éloigner d’un mode de vie qu’il considère sordide et marginal. Arrêté pour son activisme politique, il est emprisonné pendant la dernière période de la dictature. En prison, il rencontre Nes, un jeune délinquant avec qui il a des relations sexuelles. À sa sortie de prison, Orbea reste en contact avec Nes, qui lui présente d’autres jeunes hommes pour des rendez-vous sexuels clandestins en échange d’argent. Peu de temps après, Nes est recruté par un groupe terroriste franquiste qui a embauché des criminels pour provoquer des émeutes et intimider l’opposition de gauche dans le but d’obtenir un renversement. Une fois élu député, Orbea se distingue pour avoir mené une initiative parlementaire visant à mettre fin au terrorisme de toutes sortes, ce qui le place dans la ligne de mire du groupe d’extrême droite susmentionné.Celui-ci élabore ainsi un plan pour ruiner sa carrière à travers Nes. Il lui présente un beau voyou mineur, Juanito, à qui on offrira un million de pesetas pour séduire et fournir des photos compromettantes avec le député Orbea. Roberto tombe sous l’emprise de Juanito et tous les deux se voient souvent, loin des rencontres éphémères qu’il avait jusqu’alors. Orbea, grâce à Juanito, commence à assumer sa véritable identité sexuelle. Il intègre complètement le garçon dans sa vie, le présentant même à sa femme.
« Je n’ai rien à craindre. Je suis un homme politique, un parlementaire élu démocratiquement, un représentant de la volonté populaire » indique Roberto Orbea d’entrée de jeu. Il sera le narrateur de sa propre histoire, qu’il souhaite livrer comme Jean-Jacques Rousseau qui indiquait dans le préambule de ses Confessions « Je forme une entreprise qui n’eut jamais d’exemple et dont l’exécution n’aura point d’imitateur. Je veux montrer à mes semblables un homme dans toute la vérité de la nature ; et cet homme ce sera moi ». Ainsi, Roberto entreprend d’exposer sa vie, comme un CV, sous des allures de casier judiciaire où des photographies font office de flashbacks. Orbea a « l’obligation et le droit de s’exprimer » et il ne dissimulera rien, y compris de son penchant pour les mineurs de 15 ans. Marié à une femme, Carmen (magnifique María Luisa San José), qu’il aime depuis toujours et qui est elle-même prête à tout pour le bonheur de son époux, Roberto va néanmoins devoir concilier sa vie professionnelle où il est constamment et pleinement exposé, sa vie personnelle et donc sexuelle, avec tous les risques que cela comporte.
Ce personnage complexe, ambigu, passionnant, difficile, pathétique et pourtant attachant est magistralement incarné par José Sacristán, un des plus grands acteurs espagnols, toujours extrêmement actif aujourd’hui à près de 90 ans. Vu dans Le Grand embouteillage de Luigi Comencini, La Ruche de Mario Camus et plus récemment dans El bar d’Álex de la Iglesia, il livre une prestation virtuose dans Le Député, embrassant pleinement la liberté d’expression d’Eloy de la Iglesia, avec des dialogues percutants et une implication totale dans les scènes alors encore très crues pour l’époque en Espagne. Souvent réaliste car parfois à la limite du documentaire, Le Député joue avec le feu et les codes du polar (chantage, manipulation, meurtre), milite, dénonce, impose également une grande sensibilité, un regard d’auteur et de metteur en scène. Impossible de ressortir indemne d’El Diputado, réputé pour être l’opus le plus personnel et autobiographique d’Eloy de la Iglesia. C’est dire son importance.
LE COMBO BLU-RAY + DVD
Après l’édition collector de Cannibal Man – La Semaine d’un assassin et le coffret Cinéma Quinqui de Eloy de la Iglesia, Artus Films prolonge son travail consacré au cinéaste espagnol, en éditant Navajeros et Le Député, en Combo Blu-ray + DVD. Le second, comme le premier, se présente sous la forme d’un Digipack à deux volets, très élégant, glissé dans un fourreau cartonné illustré par un des visuels d’exploitation d’époque. Le menu principal est fixe et musical.
Comme sur le Blu-ray de Navajeros, nous retrouvons Marcos Uzal, membre du comité de rédaction des revues Vertigo et Trafic, critique de cinéma à Libération, directeur de collection aux éditions Yellow Now et actuellement rédacteur en chef des Cahiers du cinéma. Si son intervention est moins longue que celle réalisée pour Navajeros, Marcos Uzal partage de nombreuses informations sur la carrière d’Eloy de la Iglesia, tout en mettant en relief les thèmes et motifs récurrents de son œuvre. Forcément, avec tout ce que nous avons déjà entendu dans les bonus des éditions Artus Films consacrées au réalisateur, quelques redites sont inévitables. Néanmoins, l’invité de l’éditeur apporte sa pierre à l’édifice, en disséquant Le Député, ses thèmes (la frustration sexuelle et politique, le combat intime et social, le passage du franquisme à la démocratie), la psychologie des personnages (pétris de contradictions), les partis-pris (ou comment Eloy de la Iglesia assume de dire les choses clairement), le casting et la mise en scène (28’).
L’interactivité se clôt sur un Diaporama d’affiches et de photos d’exploitation.
L’Image et le son
Le master HD du Député s’inscrit dans la continuité des restaurations des films d’Eloy de la Iglesia précédemment édités par Artus Films. Les couleurs sont chaudes, même si les contrastes demeurent aléatoires, la copie est propre (de sensibles poussières subsistent), stable, la carnation naturelle et le piqué agréable. La texture argentique est quant à elle respectée, bien gérée, même si plus appuyée sur les scènes sombres et nocturnes, qui s’accompagnent également de pertes de la définition. Des images d’archives glissées ici et là se voient comme le nez au milieu de la figure avec des détails immédiatement amoindris et parfois même de légers flous.
Seule la version originale aux sous-titres français non imposés est disponible sur cette édition. L’écoute est frontale, riche, suffisamment dynamique et vive. Les effets annexes sont présents et le confort acoustique assuré, même si pas mal de craquements sont contrastés, ainsi qu’un léger souffle.
Crédits images : © Artus Films / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr