Test Blu-ray / Le Bateau d’Emile, réalisé par Denys de La Patellière

LE BATEAU D’EMILE réalisé par Denys de La Patellière, disponible en Édition Digibook Blu-ray + DVD + Livret le 14 octobre 2019 chez Coin de mire Cinéma

Acteurs : Lino Ventura, Annie Girardot, Michel Simon, Pierre Brasseur, Jacques Monod, Édith Scob, Roger Dutoit, Joëlle Bernard, Roger Pelletier, Etienne Bierry, André Certes, Jean Solar, Pierre Vielhescaze, Guy Humbert, Marcel Bernier, Yves Gabrielli, Jean-Louis Tristan…

Scénario : Denys de La Patellière, Albert Valentin, Michel Audiard d’après une nouvelle de Georges Simenon

Photographie : Robert Juillard

Musique : Jean Prodromidès

Durée : 1h36

Date de sortie initiale : 1962

LE FILM

De retour à La Rochelle, le débauché Charles-Edmond Larmentiel se venge de sa famille d’armateurs en léguant sa fortune à son fils Emile Bouet. François Larmentiel, le frère de Charles-Edmond, furieux de voir le capital familial entre les mains de celui qu’il considère comme un étranger, propose un arrangement à Emile. Celui-ci ne tarde pas à deviner les réelles intentions de François.

La glace conserve, mais les tropiques vous laissent le choix entre la cirrhose et la vérole ; je me suis offert les deux !

Auparavant assistant du réalisateur Maurice Labro, Denys de La Patellière (1921-2013) signe son premier long métrage Les Aristocrates en 1955, adapté du roman éponyme de Michel de Saint Pierre paru en 1954. Coup d’essai, coup de maître. Le réalisateur y racontait la fin d’une ère, d’un monde à part entière. Celle d’une aristocratie incarnée par un père de famille, veuf, qui a voulu transmettre à ses enfants les traditions qui lui ont été inculquées dès son plus jeune âge. Seulement voilà, la société a changé, le langage également. Comment cette famille peut-elle dans ce cas-là espérer communiquer alors qu’ils ne se comprennent plus ? La Seconde Guerre mondiale est encore présente dans la tête des enfants, quasiment tous adultes à présent, à l’exception de deux frères jumeaux turbulents, et chacun souhaite se libérer du carcan qui leur a été imposé. C’est ce que représente le personnage incarné par Michel Simon dans Le Bateau d’Emile, dixième film de Denys de La Patellière, réalisé en 1962. Dans cette adaptation d’une nouvelle de Georges Simenon publiée en 1945, le cinéaste s’en prend violemment à la grande bourgeoisie française, devenue une parodie, une caricature sans plus aucun fondement ni de raison d’être. Suite au triomphe du merveilleux Un taxi pour Tobrouk (près de cinq millions d’entrées), le réalisateur fait à nouveau appel à Lino Ventura et lui offre un rôle délicat, sensible et à fleur de peau, qui se démarque dans la filmographie du comédien. Il apparaît dans le récit comme le pion manipulé par « ceux de la haute », autrement dit les nantis qui règnent depuis trois générations sur le monde de la pêche, dont le PDG est incarné par l’immense Pierre Brasseur. Egalement interprété par Annie Girardot et Edith Scob, Le Bateau d’Emile est une fable cynique, douce-amère et virulente, méconnue, avec des dialogues très en verve et percutants de Michel Audiard.

Après une vie agitée qui l’a mis au ban de sa famille, Charles-Edmond, l’aîné des frères Larmentiel, se retire à La Rochelle, sa ville natale, pour y mourir. Atteint d’une maladie incurable, il décide de se venger des siens en leur jouant un ultime bon tour : les priver de l’héritage qu’ils attendent. Il lègue sa fortune à son fils Emile Bouet, né d’une liaison de jeunesse. Emile vit simplement avec une ancienne chanteuse, Fernande, et il ne s’attendait pas à ce cadeau tombé du ciel. Le frère de Charles-Edmond, François Larmentiel, quant à lui, est désagréablement surpris. Il dirige une conserverie et il comptait impérativement sur cet héritage pour éviter la faillite de son entreprise. En fin stratège, il offre alors à Emile un poste important chez lui et lui propose même la main de sa fille Claude…

Je suis revenu pour t’emmerder !

Ou comment une famille aisée, en apparence bien propre sur elle, va imploser en raison du retour du mouton noir parmi les siens, qui l’ont pour ainsi dire répudié quarante ans auparavant en raison de son mode de vie qui faisait tâche. Même s’il apparaît finalement peu à l’écran dans Le Bateau d’Emile, Michel Simon crève l’écran une fois de plus et vole la vedette à ses partenaires pourtant très en forme. Il faut voir comment le comédien, alors âgé de 67 ans, se délecte de ses répliques vachardes, surtout quand elles sont envoyées à la figure de son frère. La rancune et la vengeance du vieil original agissent comme un acide lent qui va ronger François, excédé de voir son train-train quotidien, en d’autres termes sa réussite, son hégémonie et sa fortune menacée par l’aigreur de son aîné Charles-Edmond. Pourtant impitoyable, François va user d’un stratagème et se permettre de manipuler Emile, le fils caché de Charles-Edmond, son propre neveu, ce qui s’annonce facile puisque Emile est un « homme du peuple », porté sur la boisson, vivant chichement dans un appartement minable avec Fernande (Annie Girardot), une chanteuse de bastringue.

Denys de La Patellière confronte ces deux mondes que tout oppose, pourtant reliés par le cordon ombilical des suites de l’ancienne rébellion de l’un des leurs. Cet héritier inopportun est de trop. François va donc faire miroiter un poste important à Emile, que la perspective d’enrichissement va griser et faire perdre pied. Véritable génie du cinéma, Pierre Brasseur, tout en complexité et ambiguïté, parvient à rendre humain ce personnage pourtant monstrueux, n’hésitant pas à vouloir jeter sa propre fille dans les bras d’Emile, pour conserver la mainmise sur sa famille.

Le cinéaste soigne sa mise en scène et prouve une fois de plus sa rigueur dans la direction d’acteurs. Certaines répliques sont très fortes, inattendues même, surtout à mesure que le récit avance et s’assombrit. Si d’autres séquences ont pris forcément quelques rides, notamment dans la représentation du milieu ouvrier et tout ce qui tourne autour du personnage de Fernande, pourtant excellemment incarnée par Annie Girardot (qui sortait de Rocco et ses frères de Luchino Visconti), le propos et la critique sociale du Bateau d’Emile n’ont pour ainsi dire pas bougé d’un pouce.

LE DIGIBOOK

Cinquième titre de la troisième salve de l’éditeur Coin de Mire Cinéma. Pour en savoir plus sur la collection La Séance et sur la composition de chaque Digibook prestige numéroté et limité à 3000 exemplaires, nous décortiquons tout cela à travers nos chroniques précédentes, notamment celle des Bonnes causes, dont nous vous conseillons la lecture. Le menu principal est fixe et musical.

« La Séance » démarre sur les chapeaux de roue avec le journal Pathé de la 9ème semaine de l’année 1962 (8’). La victoire écrasante du XV de France face à l’Angleterre (13 à 0) lors du Tournoi des cinq nations , la visite à Berlin de Robert Kennedy, une possible entente entre la France et le FLN, la rencontre entre JFK et l’astronaute John Glenn sont au programme de ce bulletin d’informations. Ce document se clôt sur un mini-reportage consacré à Hélène Lazareff, fondatrice en 1945 du magazine féminin Elle.

On se retrouve après une page de publicités ! Enfin de réclames comme on le disait à l’époque ! Les caramels Isicrem, les chocolats glacés Stromboli, le chocolat Nesquik, les nouveautés Arthur Martin n’auront plus de secret pour vous ! (8’)

L’interactivité se clôt sur un lot de bandes-annonces.

L’Image et le son

Restauration 4K réalisée par le laboratoire Hiventy, à partir du négatif original. Jusqu’à présent, Le Bateau d’Emile était disponible en DVD chez LCJ Editions, dans la collection « Les Films du collectionneur ». Pour son passage en Haute-Définition, le film de Denys de La Patellière atterrit dans la musette de Coin de Mire Cinéma. Si ce nouveau lifting n’atteint pas l’immense réussite des Bonnes causes, le N&B retrouve une évidente fermeté avec des contrastes profonds. Le piqué n’est peut-être pas aussi ciselé que nous l’espérions, mais les scènes nocturnes étonnent par leur densité. La clarté est éloquente, les détails appréciables. Léger manque de définition sur les visages, surtout durant la première partie, avant et pendant le générique.

Quelques dialogues paraissent moins nets et précis, surtout durant les scènes de beuverie entre Lino Ventura et Annie Girardot. Comme si le micro était plus éloigné. La plupart du temps, la piste DTS-HD Master Audio 2.0 s’en tire très bien avec notamment une excellente restitution de la musique de Jean Prodromidès. Signalons aussi une chanson interprétée par Annie Girardot et composée par Charles Aznavour. L’éditeur joint également les sous-titres destinés aux spectateurs sourds et malentendants.

Crédits images : © TF1 Droits Audiovisuels / Coin de Mire Cinéma / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

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