LA VILLE DORÉE (Die Goldene Stadt) réalisé par Veit Harlan, disponible en Combo Blu-ray + DVD le 2 mai 2023 chez Artus Films.
Acteurs : Kristina Söderbaum, Eugen Klöpfer, Annie Rosar, Dagny Servaes, Paul Klinger, Emmerich Hanus, Kurt Meisel, Rudolf Prack…
Scénario : Alfred Braun & Veit Harlan, d’après la pièce de Richard Billinger
Photographie : Bruno Mondi
Musique : Hans-Otto Borgmann
Durée : 1h56
Date de sortie initiale : 1942
LE FILM
Anna Jobst, fille d’un riche propriétaire terrien habitant sur les rives de la Moldau, ne rêve que d’aller à Prague, ville native de sa mère, morte de n’avoir pu s’adapter à la vie campagnarde. Le désir d’Anna grandit lorsque son père engage un jeune ingénieur originaire de Prague. Remarquant l’attrait de sa fille pour le nouvel arrivant, son père le remplace mais Anna n’y tenant plus s’enfuit…
Comme nous l’indiquions sur la chronique de La Fille au vautour, nous continuons sur notre lancée du Heimatfilm avec La Ville dorée – Die goldene Stadt, sorti deux ans après le film de Hans Steinhoff et réalisé cette fois par Veit Harlan (1899-1964), tristement célèbre pour avoir signé Le Juif Süss en 1940, œuvre de propagande antisémite, projetée dans les pays occupés par l’Allemagne nazie, qui avait rencontré un gigantesque succès commercial en Europe durant la Deuxième Guerre mondiale, en attirant 40 millions de spectateurs. Supervisé par Joseph Goebbels, le travail de Veit Harlan n’en reste pas moins efficace sur le plan technique, comme il le prouve dans La Ville dorée, drame et récit initiatique souvent cruel, sur lequel le Ministre de l’Éducation du peuple et de la Propagande du Reich aura repris la main avant la sortie dans les salles, en imposant au cinéaste de changer radicalement le final, qu’il jugeait trop optimiste. Qui dit Heimat, dit mise en valeur de la terre natale, des traditions, de la famille et le personnage principal, très bien joué par la star de l’époque Kristina Söderbaum (alors la compagne de Veit Harlan), rejetant avant tout le chemin déjà tracé par son père, méritait selon Goebbels qu’on lui donne une leçon, histoire de bien ancrer dans la tête d’une audience au cerveau lavé qu’on ne plaisantait pas avec les us et coutumes ancestrales. En l’état, La Ville dorée est un beau film, élégamment photographié par Bruno Mondo (Casino de Paris, Les Jeunes Années d’une reine, la trilogie Sissi) et qui est entré dans l’histoire du cinéma pour avoir été l’un des premiers longs métrages en couleur réalisé en Europe, l’Agfacolor, dont la technologie venait d’être améliorée.
Melchior Jobst, riche paysan allemand, a épousé une tchèque originaire de Prague. Cette dernière supporte mal l’exil à la campagne et se suicide dans les marais de la Moldau. Anna est née de cette malheureuse union et, comme sa mère, est attirée par les mirages de la grande ville. Alors que son père la destine à Thomas, brave garçon qui s’occupe de la ferme, Anna préfère la compagnie de l’ingénieur pragois, Leidwein, qui travaille à des relevés dans les marais. Un jour, la jeune fille profite de l’absence de son père pour s’enfuir à Prague dans la famille de sa mère. Elle y devient la maîtresse de son cousin Toni, un jeune dévoyé, qui, l’ayant mise enceinte, espère ainsi hériter du domaine des Jobst.
« On est bien chez soi, on doit y rester », « Ce n’est doré que dans votre imagination, la réalité est amère, très amère ! », « Les gens de la ville ne sont pas les bienvenus ! », « Qui tourne le dos à son pays est puni par les marais ! »…le film regorge de ce genre de dialogues et l’on comprend où Veit Harlan et son co-scénariste Alfred Braun, avec lequel il collaborait pour la première fois, veulent en venir, autrement dit raconter une histoire mélodramatique aux allures clinquantes, tout en flattant les frappadingues qui supervisaient leur boulot. Si l’on met cet aspect de côté, même si cela reste difficile, mais pas impossible, on se laisse facilement emporter par ce récit classique et désuet. Kristina Söderbaum, considérée comme un idéal féminin selon les « critères » du IIIe Reich, alors surnommée Reichswasserleiche (ou la Noyée préférée du Reich, en référence à sa mort par noyade dans le final de deux films), possède un charme irrésistible et une naïveté qui rappelle souvent certains personnages de la littérature française du 19è siècle, qui opposait la ville et la campagne, où des protagonistes ruraux se laissaient envoûter par le mirage de la capitale ou des grandes cités de la province. Son interprétation sera récompensée par la coupe Volpi au Festival de Venise.
L’Agfacolor reflète la chimère, la fantasmagorie, la féerie, l’hallucination, l’illusion, le leurre, le trompe-l’œil, l’utopie provoquée par Prague chez Anna, impression renforcée par l’utilisation de superbes maquettes représentant la ville aux cent tours et ses toits étincelants. Anna est un personnage tragique, sur lequel le destin va s’acharner, surtout lorsque celle-ci rencontre son infâme cousin Toni (fielleux Kurt Meisel, vu dans Le Temps d’aimer et le Temps de mourir de Douglas Sirk), qui abusera d’elle, puis prendra la poudre d’escampette après l’avoir mise enceinte, pour reprendre son costume de gigolo auprès d’une veuve et riche propriétaire d’un restaurant.
Roman d’apprentissage, La Ville dorée démontre une fois de plus que « rien ne vaut d’accepter la voie qui nous a déjà été tracée » et que le retour de bâton sera terrible pour quiconque devait s’en écarter. Sermonneur, inévitablement, surtout envers les jeunes femmes qui auraient l’outrecuidance de vouloir s’émanciper, mais La Ville dorée est un divertissement vintage sympathique.
L’ÉDITION BLU-RAY + DVD + LIVRE
En même temps que La Fille au vautour, Artus Films sort La Ville dorée, qui bénéficie en plus d’un excellent livret de 64 pages, intitulé Le Cinéma Heimat : les origines, écrit par Christian Lucas. Un ouvrage riche et soigné, qui propose un très large tour d’horizon du Heimatfilm. Les origines, les films emblématiques, son évolution, ses ingrédients et d’autres éléments y sont abordés. Celles et ceux qui voudront creuser ce genre pourront s’y référer systématiquement. Les deux disques sont logés dans un Digipack à deux volets, glissé dans un fourreau cartonné très joliment illustré. Le menu principal est fixe et musical.
En plus de la bande-annonce et d’un Diaporama d’affiches et de photos d’exploitation, l’éditeur nous gratifie d’une petite présentation de La Ville dorée par Bertrand Lamargelle (16’). L’auteur sur Culture 31 donne des indications sur le réalisateur (son parcours, sa carrière, sa filmographie), ses rapports avec Joseph Goebbels et ses œuvres de propagande, ainsi que sur les films Heimat (quelques redondances avec l’intervention vue sur l’édition de La Fille au vautour) et bien sûr sur La Ville dorée, qu’il recommande vivement, dont la fin avait été rejetée par Goebbels (car jugée trop optimiste), qui allait alors imposer à Veit Harlan de la retourner.
Le final original a été retrouvé, mais sans sa bande-sonore, puis a été restaurée en 4K. La Ville dorée est présenté avec sa fin modifiée, puis à l’instar de La Belle équipe de Julien Duvivier lors de ses diffusions télévisées, l’épilogue rejeté est proposé après le carton FIN, les sous-titres français ayant été créés en lisant sur les lèvres des personnages.
L’Image et le son
Un carton en introduction donne quelques indications sur la restauration de La Ville dorée. Celle-ci a été réalisée à partir de deux négatifs Agfacolor. Le premier était destiné à la distribution nationale, conservé par la suite en Allemagne de l’Est. Le second, celui de l’exportation, fut conservé quant à lui en Allemagne de l’Ouest où il a été découpé, pour donner naissance à un nouveau négatif. Mais tous furent perdus. Un interpositif Eastmancolor non intégral a donc servi de base à la restauration à la fondation Friedrich-Wilhelm Murnau, complété par trois autres négatifs issus des archives cinématographiques qui correspondent à la même version (celle de la distribution nationale), qui ont également servi pour le son. Tous ces éléments ont permis la remasterisation et ont été scannés en 4K par Pharos, Munich. Ne bénéficiant qu’aucune référence pour la colorimétrie, les responsables de ce lifting ont mis leurs travaux en parallèle avec les autres productions Agfacolor contemporaines. Le film profite de cette cure de jouvence. La palette de couleurs est plus large que nous l’espérions (bien que certaines séquences soient plus fanées) et souligne la beauté de la comédienne, des décors et des paysages. La définition est solide, la compression idéale. Naturellement, ce Blu-ray au format 1080p respecte le grain original, la copie est stable, la photo flatte les rétines et la clarté est indéniable. Enfin, l’ensemble est propre, même si certaines poussières et rayures verticales subsistent tout du long, comme si un voile parasitait l’image du début à la fin.
Un bruit de fond chronique se fait entendre, mais ne dérange pas l’écoute. Le mixage est plutôt propre, équilibré, les bruitages précis, les dialogues sensiblement pincés, mais intelligibles. Les sous-titres français ne sont pas imposés.
Crédits images : © Artus Films / Friedrich-Wilhelm Murnau-Stiftung / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr