LA VEUVE COUDERC réalisé par Pierre Granier-Deferre, disponible en édition Digibook – Blu-ray + DVD + Livret le 4 décembre 2020 chez Coin de Mire Cinéma.
Acteurs : Alain Delon, Simone Signoret, Ottavia Piccolo, Jean Tissier, Monique Chaumette, Boby Lapointe, Jean-Pierre Castaldi…
Scénario : Pascal Jardin, d’après le roman de Georges Simenon
Photographie : Walter Wottitz
Musique : Philippe Sarde
Durée : 1h25
Date de sortie initiale : 1971
LE FILM
Dans le car qui longe le canal du Centre, Jean, fuyant la police et muni de faux papiers, fait la connaissance d’une paysanne, la veuve Couderc. C’est une femme qui vieillit seule et s’acharne à conserver sa ferme, possession que la famille de son mari lui conteste. Dans la ferme d’en face, vit une fille-mère de 16 ans. Jean va les prendre comme maîtresses. Entre ces deux femmes, aux antipodes l’une de l’autre, il va connaître un bonheur condamné d’avance…
Ancien assistant de Marcel Carné, Jean-Paul le Chanois et Denys de La Patellière, Pierre Granier-Deferre (1927-2007), fait ses débuts derrière la caméra au début des années 1960 avec Le Petit Garçon de l’ascenseur. Le premier succès arrive avec le succulent La Métamorphose des cloportes (1965), dans lequel Lino Ventura, Charles Aznavour, Pierre Brasseur et Maurice Biraud se régalent (et nous aussi) avec les dialogues de Michel Audiard. En 1970, La Horse marque un grand tournant dans sa carrière et installe définitivement Pierre Granier-Deferre comme l’un des réalisateurs les plus importants du cinéma français de la décennie, avec lequel les grands noms du septième art voudront collaborer. Après Le Chat sorti en avril 1971, Simone Signoret, emballée par leur collaboration, demande au cinéaste de trouver un sujet qui pourrait les réunir à nouveau. Pierre Granier-Deferre jette alors son dévolu sur un autre roman de Georges Simenon, La Veuve Couderc, sorti en 1942, adapté ici par son complice Pascal Jardin. La comédienne est ravie et donne immédiatement son accord, mais il faut lui trouver un partenaire, forcément plus jeune, puisque le livre évoque deux personnages profondément éloignés l’un de l’autre par l’origine, l’âge et le caractère. Le metteur en scène parvient à convaincre Alain Delon, même si seulement quatorze ans séparent les monstres du cinéma hexagonal, ce dernier demandant à Pierre Granier-Deferre de redoubler de direction d’acteur au moment des scènes intimistes, au point de lui ordonner de lui indiquer les gestes et intentions pendant les prises. Quasiment cinquante ans après sa sortie, La Veuve Couderc reste l’un des sommets de la carrière du réalisateur, qui conduit son récit de la même main de maître avec laquelle il avait dirigé Le Chat l’année précédente. Le couple star est époustouflant, crevant l’écran une fois de plus par leur talent et leur charisme hors du commun, tandis que Pierre Granier-Deferre s’approprie la sève du roman original puisqu’il y retrouve quelques-uns de ses thèmes de prédilection, la nostalgie, le temps qui passe et les relations éphémères. Chef d’oeuvre absolu.
À l’été 1934, un inconnu (Alain Delon) d’une trentaine d’années arrive dans un village. Il se fait engager comme ouvrier dans la ferme de la veuve Couderc (Simone Signoret). Cette maîtresse-femme est en butte à une belle-famille haineuse, qui ne l’a jamais acceptée et souhaite récupérer la ferme. La veuve s’éprend silencieusement de Jean. Mais ce dernier noue une relation avec Félicie (Ottavia Piccolo), la jeune nièce de la veuve, déjà mère d’un enfant naturel et quelque peu sauvageonne. Jean admire toutefois la détermination de la veuve, auprès de qui il se sent bien. Mais c’est un criminel nommé Jean Lavigne, évadé du bagne. La police est prévenue par la belle-famille de la veuve, qui saisit là l’occasion d’assouvir sa vengeance.
La Veuve Couderc, c’est tout d’abord une histoire d’amour inattendue et pleine de pudeur, entre deux êtres solitaires à qui la vie n’a pas fait de cadeaux et qui s’évertue à les éloigner d’un bonheur possible. Si un rapport quasi-maternel s’installe dans les premières scènes, la relation entre Jean et la veuve Couderc, que l’on surnomme Tati, mute quand cette dernière sent sa féminité se réveiller auprès de ce jeune homme taciturne qui semble ronger par un secret ou un remords qui ne demande qu’à être dévoilé, peut-être dans l’espoir d’être pardonné. A la flamme éteinte d’une lampe à pétrole, Jean et Tati commencent à se faire du bien, à se consoler, se réfugiant probablement dans les bras de l’autre. Mais cette chance est très vite parasitée par ce qu’il reste de la famille de Tati, autrement dit sa belle-sœur Françoise (Monique Chaumette) et son époux Désiré (Boby Lapointe), ainsi que leur fille de 16 ans (Ottavia Piccolo, qui sortait de Metello de Maura Bolognini) qui souhaitent mettre la main sur la ferme, qui appartenait jadis à feu le mari de Tati, tandis que cette dernière admet la présence de son beau-père Henri (Jean Tissier) sous son toit. Ou comment les rancoeurs qui gangrènent la cellule familiale vont entraîner la chute de deux êtres qui ne demandaient à rien à personne, si ce n’est qu’à espérer vivre enfin en paix.
En 1972, Alain Delon est bien installé au firmament du cinéma français et vient d’enchaîner Le Clan des siciliens d’Henri Vernuil, Borsalino de Jacques Deray, Le Cercle rouge de Jean-Pierre Melville et Soleil rouge de Terence Young. L’Assassinat de Trotsky de Joseph Losey se solde en revanche par un échec commercial avec à peine 600.000 entrées au compteur. Heureusement, le comédien se refait une santé au box-office avec La Veuve Couderc, son troisième film qui sort en cette année 1971, son quatrième en fait si l’on tient compte de son apparition dans Fantasia chez les ploucs de Gérard Pirès. Il y est merveilleux dans cette passion contrariée par le destin, faisant preuve, comme il l’avait déjà fait et comme il le fera à nouveau après, d’une immense sensibilité et d’une délicatesse à fleur de peau face à celle qu’il appelait affectueusement « la Vieille ». Simone Signoret, rongée par l’alcool et le tabac, paraît dix ans de plus que son âge dans La Veuve Couderc, et venait de fêter son cinquantième anniversaire. Et elle y est fascinante en paysanne vieillissante, toujours crédible quand elle fauche les mauvaises herbes ou quand elle prend place au lavoir, et tout autant splendide que son partenaire. L’admiration qu’ils se portaient l’un à l’autre est évidente à l’écran et l’on ressent cette complicité, cette alchimie que Pierre Granier-Deferre met admirablement en valeur. Ce dernier réalise aussi un contraste intéressant entre son décor bucolique où passent doucement les péniches diverses et variées sur le canal qui sépare la maison de la veuve Couderc et celle de sa belle-sœur, raccordées par une écluse, avec la tempête qui sévit dans cette famille et même le climat oppressant qui s’abattait sur la France, symbolisé par les titres des journaux qui servent d’emballage (« Doumergue acclamé à Paris », « Stavinsky… », « L’anarchisme… », « La guerre civile ! »).
Comme bien souvent chez le cinéaste, l’atmosphère est très réussie, avec le bois d’une armoire qui grince, le gazouillis des oiseaux, le balancier hypnotique d’une horloge, l’odeur du pétrole qui chauffe une couveuse, celle du café chaud au petit-déjeuner, le bruissement de la soie d’une vieille chemise de nuit et le sifflement du vent dans les hautes herbes. Des ambiances à foison, discrètes, mais néanmoins palpables, qui participent à l’immersion du spectateur, placé en tant que témoin de cette idylle interdite – « guettés par les vieilles, derrière leurs volets » comme le chantait Charles Aznavour – et bouleversante, bercée par la musique inoubliable du grand Philippe Sarde. A sa sortie, La Veuve Couderc sera récompensé par le Grand prix du cinéma français et attirera plus de deux millions de spectateurs dans les salles.
LE DIGIBOOK
Nous ne sommes pas peu fiers chez Homepopcorn.fr à avoir été parmi les premiers à mettre en avant le travail de titan opéré par Coin de Mire Cinéma depuis ses premiers titres édités en 2018. Nous avons en effet réalisé les chroniques des 31 opus proposés par l’éditeur ! Cette nouvelle vague de décembre 2020 comprend six titres : La Chartreuse de Parme (1948) de Christian-Jaque, Le Mouton à 5 pattes (1954) de Henri Verneuil, Le Jardinier d’Argenteuil (1966) de Jean-Paul Le Chanois, Le Soleil des voyous (1967), Le Chat (1971) et La Veuve Couderc (1972) de Pierre Granier-Deferre. Ce dernier était jusqu’à présent disponible en DVD chez Studiocanal dans la collection Alain Delon et dans celle dédiée à Simone Signoret. Comme pour chaque premier titre chroniqué d’une nouvelle vague, nous rappellerons les spécificités des éditions Coin de Mire, fondées par Thierry Blondeau, indépendant et autodidacte, cinéphile passionné et grand collectionneur (plus de 10.000 titres dans sa DVDthèque) qui a décidé de se lancer dans le marché de la vidéo en 2018 dans le but d’éditer des films qu’il désirait voir débarquer dans les bacs depuis longtemps. Prenant son courage à deux mains, essuyant le refus de la plupart des éditeurs qui riaient devant son projet, Thierry Blondeau ne s’est jamais découragé. Son envie et son amour infini pour le cinéma et le support DVD/Blu-ray ont porté leurs fruits. La collection « La Séance » était née ! Inédits en Blu-ray, ces titres seront édités à 3000 exemplaires.
Comme pour tous les titres Coin de Mire Cinéma, L’édition de La Veuve Couderc prend la forme d’un Digibook (14,5cm x 19,5cm) suprêmement élégant. Le visuel est très recherché et indique à la fois le nom de l’éditeur, le titre du film en lettres d’or, le nom des acteurs principaux, celui du réalisateur, la restauration (HD ou 4K selon les titres), ainsi que l’intitulé de la collection. L’intérieur du Digibook est constitué de deux disques, le DVD et Blu-ray, glissés dans un emplacement inrayable. Une marque est indiquée afin que l’acheteur puisse y coller son numéro d’exemplaire disposé sur le flyer volant du combo, par ailleurs reproduit dans le livret. Deux pochettes solides contiennent des reproductions de dix photos d’exploitation d’époque (sur papier glacé) et de l’affiche du film au format A4. Le livret de 24 pages de cette édition contient également la bio-filmographie de Pierre Granier-Deferre avec le film qui nous intéresse mis en surbrillance afin de le distinguer des autres titres, et la reproduction des matériels publicitaires et promotionnels. Le menu principal est fixe et musical.
Si vous décidez d’enclencher le film directement. L’éditeur propose de reconstituer une séance d’époque. Une fois cette option sélectionnée, les actualités Pathé du moment démarrent alors, suivies de la bande-annonce d’un film, puis des publicités d’avant-programme, réunies grâce au travail de titan d’un autre grand collectionneur et organisateur de l’événement La Nuit des Publivores.
L’édition de La Veuve Couderc contient les actualités de la 41e semaine de l’année 1971 (9’), avec entre autres une petite rétrospective sur l’histoire de Pékin et plus largement de la Chine depuis 1949, mais aussi et surtout un reportage troublant (car faisant étrangement écho à l’actualité) sur la campagne de vaccination lancée en France où la grippe est particulièrement virulente. « Le vaccin existe » nous dit-on, les laboratoires scientifiques s’affolent et les français font la queue pour se faire piquer le bras !
Les fameuses réclames diffusées en avant-programme dans les cinémas en 1971 sont aussi variées qu’inspirées avec les pubs pour les glaces Pilpa, les chocolats Baffi (« en vente dans cette salle ! »), les meubles Bertrand, la Caisse d’épargne, Air Inter (avec la participation de Christian Marin), la Samaritaine où feu Raymond Poulidor va acheter un maillot jaune puisqu’ « on y trouve de tout » !
On accueille avec grand plaisir l’interview de Pierre Granier-Deferre réalisée en 2003 et déjà disponible sur la première édition DVD de La Veuve Couderc (44’). Généreux en anecdotes de tournage, franc du collier, sensible, drôle et ému, le cinéaste replace La Veuve Couderc dans sa filmographie et raconte que le film est né de l’envie de Simone Signoret de retravailler immédiatement avec lui après Le Chat qu’ils venaient de terminer. Pierre Granier-Deferre évoque tour à tour l’adaptation du roman de Georges Simenon, les difficultés pour convaincre Alain Delon (« d’une pudeur physique invraisemblable à l’écran »), les conditions de tournage (les deux stars s’appelaient tendrement La Vieille et Le P’tit Con) et le professionnalisme des deux stars. Quelques images de Simone Signoret et d’Alain Delon sur le plateau de La Veuve Couderc sont également au programme. Les souvenirs s’enchaînent sans aucun temps mort et on écouterait le réalisateur pendant des heures, qui affirmait « ne pas être un intello, ni un auteur », car il manquait « totalement d’ambitions », mais qui pouvait « avoir du goût, mais pas forcément du talent ». Cette interview se clôt sur les propos du réalisateur sur la situation du cinéma français, « qui avait tendance à s’empailler, enfermé dans son carcan et qui a été réveillé par la Nouvelle Vague, même s’il y avait là aussi de mauvais cinéastes ».
L’interactivité se clôt sur la bande-annonce.
L’Image et le son
Tout d’abord, un mot de l’éditeur sur la nouvelle restauration 4K de La Veuve Couderc, réalisée en 2017 à partir du négatif original (35mm, 5×600 mètres) par Studiocanal, avec la participation du CNC. La restauration du film s’est faite chez HIVENTY (DIGIMAGE) dans une filière 4K. La remasterisation et restauration 4K se sont faites dans le cadre de l’aide à la numérisation des films de patrimoine. Le négatif image était en mauvais état et contenait de nombreuses encoches, des marques de poinçon, des collures fragiles (certaines étant même ouvertes), des perforations éclatées sur toutes les bobines. L’étalonnage a été revu durant 4 jours, en salle de projection, sur Da Vinci Resolve (en 4K), avec comme référence une copie 35mm afin de permettre à l’étalonneur de restituer au plus près la colorimétrie souhaitée par le chef-opérateur, Jean-Louis Picavet. Près de 250 heures ont été estimées pour venir à bout des usures du temps et des défauts identifiés. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que l’élévation HD pour La Veuve Couderc est on ne peut plus frappante avec un Blu-ray qui en met souvent plein les yeux. La restauration est étincelante, les contrastes denses, la copie est propre. Les gros plans sont détaillés à souhait, les couleurs bleues et marrons, dominantes dans la photographie de Walter Wottitz (D’où viens-tu Johnny ? de Noël Howard, La Horse de Pierre Granier-Deferre) sont divines, le relief des séquences diurnes est inédit et le piqué demeure acéré sur ces mêmes scènes. Le grain argentique est omniprésent et nous notons quelques moirages et sensibles fourmillements. Ce lifting rend caduc le master SD édité il y a plus de quinze ans.
Ce mixage DTS-HD Master Audio Mono instaure un confort acoustique total. Les dialogues sont ici délivrés avec ardeur et clarté, la propreté est de mise, les effets riches et les silences denses, sans aucun souffle. La composition de Philippe Sarde jouit également d’un écrin phonique somptueux. La restauration son a nécessité 4 jours de travail, durant lesquels ont été éradiqués le souffle et les défauts liés à l’usure du support. L’éditeur joint également les sous-titres français destinés au public sourd et malentendant.
Une réflexion sur « Test Blu-ray / La Veuve Couderc, réalisé par Pierre Granier-Deferre »