LA VÉRITÉ réalisé par Henri-Georges Clouzot, disponible en Édition Digibook Blu-ray + DVD + Livret le 6 mars 2020 chez Coin de mire Cinéma
Acteurs : Brigitte Bardot, Charles Vanel, Louis Seigner, Marie-José Nat, Sami Frey, Paul Meurisse, Fernand Ledoux, Jacqueline Porel, Claude Berri, Jacques Perrin…
Scénario : Henri-Georges Clouzot, Simone Drieu, Michèle Perrein, Jérôme Géronimi, Christiane Rochefort, Véra Clouzot
Photographie : Armand Thirard
Durée : 2h07
Date de sortie initiale : 1960
LE FILM
Après avoir passé son enfance en province, Dominique réussit à convaincre ses parents de la laisser accompagner sa soeur, Annie, qui part à Paris. Dominique se fâche rapidement avec Annie et va habiter seule au quartier latin où elle accumule des aventures. Elle rencontre alors Gilbert, un ami de sa soeur, qu’elle décide de provoquer…
Avant-dernier long métrage de Henri-Georges Clouzot, avant La Prisonnière (1968) et puisque L’Enfer restera inachevé en 1964, La Vérité demeure l’un des plus grands succès du réalisateur en France, derrière Le Salaire de la peur (1953) et devant Quai des Orfèvres (1947). Immense drame psychologique et étude de mœurs, constat implacable sur le rejet de la jeunesse actuelle par la vieille école, La Vérité offre également à Brigitte Bardot, alors âgée de 25 ans, son plus grand rôle au cinéma, dans lequel elle s’investira corps et âme, au point de faire une tentative de suicide peu après le tournage éprouvant sur lequel elle subissait la pression quotidienne du réalisateur, qui n’hésitait pas à l’humilier devant tout le monde pour obtenir d’elle ce qu’il voulait. Ce que le cinéaste parvient à tirer de la comédienne est inédit. Elle y est tout simplement exceptionnelle face à Sami Frey, venu du théâtre et qui faisait ici ses premières armes au cinéma, ainsi qu’aux acteurs déjà réputés et déjà apparus devant la caméra de Clouzot, Charles Vanel, Louis Seigner et Paul Meurisse en tête. Un chef d’oeuvre percutant.
Dominique Marceau (Brigitte Bardot), une séduisante jeune femme, est jugée en cour d’assises pour le meurtre de son amant, Gilbert Tellier (Sami Frey). Au cours des audiences, le véritable visage de l’accusée se dessine peu à peu. Gilbert, un jeune chef d’orchestre, promis à Annie (Marie-Josée Nat), violoniste, tombe amoureux de Dominique, la sœur de celle-ci. C’est la première fois que Dominique se sent amoureuse. Néanmoins cela devient aussi pour elle un engagement trop important pour sa jeunesse instable. On lui reprochera ses mœurs légères durant le procès. C’est pour Gilbert la révélation d’un amour absolu, mais trop possessif pour Dominique.
« Dire que ça pourrait être un beau métier…sans les clients. »
Si elle l’avait déjà prouvé auparavant chez Jean Boyer, René Clair, Marc Allégret, Roger Vadim, Claude Autant-Lara et bien d’autres, Brigitte Bardot n’était pas une simple poupée qui minaude, à la beauté insolente et à la sexualité débordante. Henri-Georges Clouzot devait enfin lui offrir le rôle de sa vie avec La Vérité, dans lequel elle est, non pas méconnaissable, mais comme qui dirait transcendée. Femme enfant, femme putain, femme maîtresse, femme amoureuse, femme meurtrie, le personnage de Dominique est universel et digne d’un roman de la littérature française du XIXè siècle. Brigitte Bardot lui apporte à la fois l’innocence de la jeune fille de province rêvant de vivre à Paris, puis la désillusion face à un monde qui ne fait pas de cadeau, la résignation, et enfin la force quand Dominique décide de prendre les choses en main, de profiter de la vie, quitte pour cela à user de ses charmes provocants pour survivre. Mais c’était sans compter sur la découverte de l’amour, celui qui rend aveugle, qui prend aux tripes et qui peut rendre fou quand celui-ci nous échappe.
Dans le quartier de Saint-Germain-des-Prés, Dominique traîne avec les jeunes de son âge, sans véritablement penser au lendemain, quand elle se lèvera en début d’après-midi. Quand elle rencontre Gilbert, tout bascule, Dominique devient victime de ses sentiments après avoir passé une nuit avec Gilbert, qui la convoitait alors qu’il flirtait avec Annie, sa sœur aînée. La passion dévorante conduira Dominique au point de non-retour. Mais quand elle se retrouve face à la justice, son procès devient celui d’une jeunesse haïe par ses représentants.
Du point de vue technique, Henri-Georges Clouzot entremêle avec virtuosité (et une beauté visuelle à couper le souffle) le présent (le procès) et le passé (la vie de Dominique reconstituée), pour mettre en relief le sort de la jeune femme d’ores et déjà scellé avant même l’entrée du juge. Les avocats, adversaires, se lancent des piques, mais le cinéaste démontrera là aussi que tout est fait pour contenter ceux qui sont venus participer au spectacle. Les avocats sont comme les hommes politiques, des acteurs qui se contentent de jouer leurs rôles respectifs, sans véritablement s’impliquer, mais pour parader et tenter de remporter la partie comme une simple partie de poker.
Si l’avocat de la défense (Charles Vanel) se montrera suffisamment empathique, il aura fort à faire face à son adversaire (Paul Meurisse), qui dressera un portrait peu flatteur de cette jeune femme volage et aux mœurs légères, un monstre de perversité sans morale, sans sentiment, qui a tué par égoïsme, refusant qu’un amant de passage la délaisse. Pour l’avocat de la défense, elle est une victime sensible et délicate, plongée dans un monde de cruauté et de corruption, et dont les nerfs ont cédé. Le jury devra trancher. A moins que Dominique anticipe le jugement. C’est ce qu’on appelle « les aléas du métier ».
LE DIGIBOOK
Après Les Espions, place à La Vérité, deuxième film de Henri-Georges Clouzot à connaître les honneurs d’une sortie en Digibook DVD+Blu-ray+Livret chez Coin de Mire Cinéma dans sa quatrième vague et qui n’était disponible qu’en coffret DVD chez TF1 Studio. Ce titre rejoint Des pissenlits par la racine et Le Monocle rit jaune de Georges Lautner, La Chasse à l’homme d’Edouard Molinaro et Les Jeunes loups de Marcel Carné, dont nous parlerons très prochainement. Pour connaître toutes les spécificités de ces éditions depuis le lancement de cette magnifique collection dite de « La Séance », nous vous renvoyons à notre premier article qui lui est consacré https://homepopcorn.fr/test-blu-ray-archimede-le-clochard-realise-par-gilles-grangier/ . Tous les titres de cette collection (édités à 3000 exemplaires) ont été passés en revue dans nos colonnes et comprend désormais 25 titres !
L’édition prend évidemment la forme d’un Digibook (14,5cm x 19,5cm) suprêmement élégant. Le visuel est très recherché et indique à la fois le nom de l’éditeur, le titre du film en lettres d’or, le nom des acteurs principaux, celui du réalisateur, la restauration (HD ou 4K selon les titres), ainsi que l’intitulé de la collection. L’intérieur du Digibook est constitué de deux disques, le DVD et Blu-ray, glissés dans un emplacement inrayable. Une marque est indiquée afin que l’acheteur puisse y coller son numéro d’exemplaire disposé sur le flyer volant du combo, par ailleurs reproduit dans le livret. Deux pochettes solides contiennent des reproductions de dix photos d’exploitation d’époque (sur papier glacé) et de l’affiche du film au format A4. Le livret de 24 pages de cette édition contient également la filmographie de Henri-Georges Clouzot avec le film qui nous intéresse mis en surbrillance afin de le distinguer des autres titres, de la reproduction du dossier de presse original et d’articles divers. Le menu principal est fixe et musical.
Si vous décidez d’enclencher le film directement. L’éditeur propose de reconstituer une séance d’époque. Une fois cette option sélectionnée, les actualités Pathé du moment démarrent alors, suivies de la bande-annonce d’un film, puis des publicités d’avant-programme, réunies grâce au travail de titan d’un autre grand collectionneur et organisateur de l’événement La Nuit des Publivores. Le film démarre une fois que le salut du petit Jean Mineur (Balzac 00.01).
Le journal des actualités de la 44è semaine de l’année 1960 est chargé (10’30) ! Entre les 1000 kilomètres de Paris, l’adieu aux Black Arrows de la Royal Air Force, l’affrontement entre JFK et Richard Nixon aux élections américaines, un reportage sur le Portugal et enfin un étrange concours où l’expression « tire sur mon doigt » (« il n’est parfois pas désagréable de se faire tirer par le sexe opposé ») prend tout son sens, le monde se porte bien !
Les réclames (8’) classiques s’enchaînent afin de donner envie aux spectateurs d’acheter quelques esquimaux Gervais et des bonbons Kréma avant que le film commence !
Last but not least, Coin de Mire Cinéma propose de (re)découvrir le formidable documentaire de Pierre-Henri Gibert, Le Scandale Clouzot (2017-1h), déjà disponible en DVD aux Editions Montparnasse. Avec Le Salaire de la peur, Les Diaboliques, Quai des orfèvres, Henri-Georges Clouzot a été un maître du suspense et a su faire des névroses humaines un spectacle palpitant. S’il a influencé des cinéastes contemporains majeurs (Friedkin, Spielberg), Clouzot reste sous-considéré en France. Or il est bien un auteur, avec une vision du monde singulière, l’un des rares à avoir réussi la fusion entre une culture française d’étude des personnages et une culture anglo-saxonne du grand spectacle. En se penchant sur sa vie romanesque et son œuvre, on découvre un homme insaisissable, touche-à-tout, inventif. Faire le portrait d’Henri-Georges Clouzot, c’est faire le portrait d’un visionnaire, d’un agitateur, d’un artiste contre le système.
L’Image et le son
La Vérité a été restauré en 4K à partir du négatif 35mm original et de l’interpositif 35mm par Sony Pictures Entertainment, avec la participation de The Film Foundation et RT Features. Et voilà un Blu-ray qui en met souvent plein les yeux avec une définition qui laisse pantois. La copie se révèle souvent étincelante et pointilleuse en terme de piqué (les scènes en extérieur), de gestion de contrastes (noirs denses, blancs lumineux, richesse des gris), de détails ciselés et de relief. La propreté de la copie est sidérante, la stabilité est de mise, la photo retrouve une nouvelle jeunesse doublée d’un superbe écrin, et le grain d’origine a heureusement été conservé.
Piste mono DTS HD-Master Audio. Si quelques saturations et chuintements demeurent inévitables, l’écoute se révèle équilibrée. Aucun craquement intempestif ne vient perturber l’oreille des spectateurs, les ambiances sont précises. Si certains échanges manquent de punch et se révèlent moins précis, les dialogues sont dans l’ensemble clairs, dynamiques. Les sous-titres français destinés au public sourd et malentendant sont également disponibles.