
LA RUE (Street Smart) réalisé par Jerry Shatzberg, disponible en DVD & Blu-ray depuis le 22 octobre 2024 chez BQHL Éditions.
Acteurs : Christopher Reeve, Kathy Baker, Mimi Rogers, Jay Patterson, Andre Gregory, Morgan Freeman, Anna Maria Horsford, Frederick Rolf…
Scénario : David Freeman
Photographie : Adam Holender
Musique : Robert Irving
Durée : 1h37
Date de sortie initiale: 1987
LE FILM
Un fringant journaliste, Jonathan Fisher, en perte de vitesse, propose à son rédacteur en chef un reportage « saignant » sur un souteneur de Times Square. Mais il n’est pas évident d’approcher un des membres du milieu et à bout d’idées, Jonathan bidonne le portrait pittoresque d’un mac imaginaire. Grand succès dans les médias et Jonathan se voit confier une série de reportages sur les bas-fonds. Mais toute médaille a son revers et le journaliste va se frotter au milieu et à la police pour avoir si naïvement menti…

Difficile de trouver un cinéaste aux débuts aussi fulgurants que Jerry Schatzberg (né en 1927). 1970, Portrait d’une enfant déchue – Puzzle of a Downfall Child, 1971, Panique à Needle Park – The Panic in Needle Park, 1973, L’Épouvantail – Scarecrow, qui remporte la Palme d’or au Festival de Cannes 1973. On connaît beaucoup moins la suite de sa carrière, même s’il n’a pas arrêté de tourner jusqu’en 1989, après quoi Jerry Schatzberg fera un break de près de dix ans et reviendra au cinéma qu’en 2000 avec The Day the Ponies Come Back, interprété par Burt Young et Guillaume Canet, qui sera complètement rejeté par la critique et le public. La Rue – Street Smart sort en 1987 et s’avère une production Cannon, Yoram Globus et Menahem Golan, toujours en quête de respectabilité, ayant pu mettre la main sur le réalisateur, comme ils venaient de le faire pour Barbet Schroeder (Barfly) et Jean-Luc Godard (King Lear), pendant qu’ils produisaient à côté Protection rapprochée et Le Justicier braque les dealers avec Charles Bronson, Les Barbarians, Le Ninja Blanc et Les Maîtres de l’univers. La même année, alors sous contrat, Christopher Reeve s’apprête à renfiler les collants bleus de Superman pour la quatrième aventure de l’Homme d’acier, dont la licence a été rachetée aux Salkind par les Go-Go Boys. À la recherche de nouveaux rôles qui pourraient l’éloigner de l’image du super-héros qui l’a rendu mondialement célèbre, Christopher Reeve accepte The Quest for Peace (ou Le Face à face chez nous), s’il obtient le financement et donc le premier rôle dans La Rue. C’est une affaire faite. Et le comédien de livrer une grande prestation. Street Smart est un thriller dramatique foncièrement contemporain, qui dévoile une facette peu reluisante de l’ère Reagan, où tout est permis, tout cela dans le but d’arriver au sommet. La Rue n’a rien perdu de sa force et annonce déjà le principe des médias modernes marqués par les chaînes d’infos en continu. Assurément à découvrir.


Jeune journaliste ambitieux, prêt à tout pour tenir son rang dans la presse écrite, Jonathan Fisher propose à son éditeur un sujet à sensation : l’interview d’un proxénète de Times Square, le quartier le plus chaud et le plus mal famé de New York. Faute de l’obtenir dans des délais très serrés (il se heurte au mur du silence après avoir tenté de faire parler une prostituée), il l’invente de toutes pièces. Bien que son article fasse sensation et lui vaille d’animer une émission télévisée, il est également lourd d’effets secondaires indésirables, un véritable proxénète surnommé Fast Black s’y reconnaissant et craignant d’être envoyé derrière les barreaux. Imprévisible, dangereux et intelligent, Fast Black, inculpé de meurtre, va alors répliquer. Jonathan est sommé de remettre ses notes à la justice. Écartelé entre son imposture et les menaces de Fast Black, il refuse et est emprisonné.


Après le triomphe international de Superman de Richard Donner, Christopher a très vite rebondi, ne voulant pas être piégé dans ce rôle « unique ». Entre deux épisodes, il crève l’écran dans Quelque part dans le temps de Jeannot Szwarc et surfe déjà sur une délicieuse ambiguïté dans le méconnu mais fort sympathique Piège mortel de Sidney Lumet. Le projet de La Rue est bénéfique pour le comédien, toujours partant pour tenter de renvoyer aux oubliettes le fils de Krypton. Charismatique en diable, l’acteur arbore le même sourire dévastateur, mais il se fait ici diabolique, cynique. Son personnage de Jonathan Fisher est et demeure détestable du début à la fin, et pourtant on ne peut s’empêcher de le trouver attachant, surtout lorsque démarre pour lui une descente aux enfers. Celle-ci déboule avec l’arrivée inopinée de Fask Black, magistralement campé par Morgan Freeman, rôle pour lequel il obtient sa première nomination aux Oscars du cinéma dans la catégorie du meilleur acteur dans un second rôle, ainsi qu’aux Golden Globes.


En 1987, Morgan Freeman, déjà âgé de cinquante ans, n’est absolument pas connu. Après être apparu ici et là chez Arthur Penn, Stuart Rosenberg, Peter Yates, Paul Newman et Roger Donaldson, il trouve enfin un rôle important dans La Rue, où il n’a jamais été aussi flippant de toute sa carrière dans le rôle de Fast Black, mac propre sur lui, capable d’extrême violence quand quelqu’un n’est pas d’accord avec lui, remet en question ce qu’il vient de dire…ou s’approche un peu de trop près lors d’une partie de basket. Si la vraie reconnaissance, celle du public, viendra deux ans plus tard avec Miss Daisy et son chauffeur – Driving Miss Daisy de Bruce Beresford, qui sera ensuite suivi de Glory d’Edward Zwick, Robin des Bois, prince des voleurs – Robin Hood: Prince of Thieves de Kevin Reynolds, Impitoyable – Unforgiven de Clint Eastwood, Les Évadés – The Shwawshank Redemption de Frank Darabont, jusqu’à la consécration définitive et la mise sur orbite avec Seven de David Fincher, Morgan Freeman trouve incontestablement ici l’un de ses plus grands rôles.


Jerry Schatzberg réunit autour de ses deux têtes d’affiche un casting comme toujours formidable, où si distinguent notamment Mimi Rogers (l’épouse complice malgré elle de Jonathan) et Kathy Baker (superbe personnage que la prostituée Punchy) dans un de leurs premiers rôles au cinéma. S’il n’a pas pu tourner réellement à New York en raison d’un manque de budget conséquent (les prises de vues ont été réalisées à Montréal), le cinéaste retrouve la vie urbaine, dont il restitue l’effervescence avec son ancien œil de photographe, aidé en cela par le chef opérateur Adam Holender (Une journée de fous, De l’influence des Rayons Gamma sur le comportement des marguerites, Macadam Cowboy), complices depuis Portrait d’une enfant déchue. La Rue est un film qui a de la gueule, qui ose l’ouvrir sur la déontologie, le comportement de la presse à sensation, prête à tout pour obtenir le moins scoop et donc à le créer littéralement pour être en première ligne sur l’affaire.


Échec au box-office, La Rue n’a pas été aidé par la suite avec une quasi-absence de diffusions à la télévision. Les années passant, ce film est devenu prisé par les cinéphiles, qui n’ont eu de cesse de le remettre en avant, à tel point qu’il est aujourd’hui considéré comme un vrai petit classique.


LE BLU-RAY
Inédit en DVD et Blu-ray, La Rue est désormais disponible dans ces deux formats, grâce aux bons soins de BQHL Éditions, depuis octobre 2024. Le visuel est attractif, le menu principal animé et musical.

Samuel Blumenfeld nous présente La Rue de Jerry Schatzberg (47’30). Une longue intervention, parfois marquée par des redondances ou quelques commentaires tirés par les cheveux (une habitude chez le journaliste), qui dans un premier temps évoque les débuts fracassants au cinéma du réalisateur, avant d’en venir plus précisément au film qui nous intéresse aujourd’hui et donc à la fin des années 1980. La Rue est replacé dans le contexte social, politique, économique et cinématographique de l’époque. Puis, Samuel Blumenfeld aborde la genèse de Street Smart, la situation de la Cannon, l’écriture du scénario par David Freeman, les liens du cinéaste avec la ville de New York (dont il devra se passer pour La Rue, faute de moyens), la caractérisation des personnages. Le casting est aussi passé au peigne fin, ou comment Christopher Reeve a pu imposer La Rue à la Cannon, s’ils voulaient mettre en route Superman IV. Ce module se clôt sur l’échec commercial de La Rue, « peu étonnant, puisque le film était bien trop lucide sur son époque et sur la folie d’un système qui prônait la réussite par tous les moyens ».

L’Image et le son
Restauration 2K. L’éditeur soigne son master HD qui se révèle quasi-exemplaire. Les contrastes sont d’une densité rarement démentie, à part peut-être durant les séquences sombres où l’image paraît plus douce. Le reste du temps, la clarté demeure frappante, le piqué est affûté, la texture argentique préservée, les gros plans détaillés et la colorimétrie saturée, vive et chaude. Les détails sont légion aux quatre coins du cadre.

Les mixages anglais et français DTS-HD Master Audio 2.0 sont propres et distillent parfaitement la musique jazzy du film. La piste anglaise est la plus équilibrée du lot avec une homogénéité entre les dialogues et les bruitages. Au jeu des différences, la version française (au doublage excellent) s’avère un peu trop axée sur les voix, mais ne manque pas d’ardeur. Les sous-titres français sont imposés et le changement de langue impossible à la volée impose le retour au menu contextuel.


Crédits images : © BQHL Editions / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr