Test Blu-ray / La Poursuite impitoyable, réalisé par Arthur Penn

LA POURSUITE IMPITOYABLE (The Chase) réalisé par Arthur Penn, disponible en édition Digibook – Blu-ray + DVD + Livret le 22 mai 2020 chez Sidonis Calysta.

Acteurs : Marlon Brando, Jane Fonda, Robert Redford, E.G. Marshall, Angie Dickinson, Janice Rule, Miriam Hopkins, Martha Hyer, Robert Duvall, Paul Williams…

Scénario : Lillian Hellman d’après le roman de Horton Foote « The Chase »

Photographie : Joseph LaShelle

Musique : John Barry

Durée : 2h15

Date de sortie initiale : 1966

LE FILM

Bubber Reeves s’évade de prison avec un complice qui, après avoir volé une voiture et tué un conducteur, l’abandonne. Bubber est alors accusé du crime. Dans sa ville natale de Tarl, au Texas, l’annonce de son évasion et du meurtre déchaîne les haines et les passions, trop longtemps retenues. Anna, sa femme, devenue la maîtresse du fils du magnat local, Val Rogers, qui a commis le délit dont fut accusé Reeves, craint de voir sa faute éclater au grand jour. Le Shérif Calder, quant à lui, sait qu’il va lui falloir protéger le fuyard d’une foule fanatique, qui n’a plus qu’un seul souhait : terminer la fête du samedi soir par un lynchage…

La Poursuite impitoyableThe Chase (1966), c’est un peu comme qui dirait le film maudit d’Arthur Penn (1922-2010), une œuvre qu’il a désavoué après en avoir été écarté du montage par son producteur omnipotent, Sam Spiegel, qui comptait à son actif L’Odyssée de l’African Queen (1951), Le Rôdeur (1951), Sur les quais (1954), Le Pont de la rivière Kwaï (1957), Soudain l’été dernier (1959) et Lawrence d’Arabie (1962). Une belle carte de visite. Projet passé de main en main, avec des scénaristes qui se sont succédé et un casting qui n’a pas arrêté de muter, La Poursuite impitoyable a beau avoir été accouché dans la douleur, il n’en demeure pas moins une immense et incontestable réussite, emblématique du cinéma d’Arthur Penn, qui convie le spectateur une plongée asphyxiante dans une petite bourgade américaine paumée, un samedi, essentiellement en soirée quand les habitants décident de se mettre minable afin d’oublier momentanément qu’ils s’emmerdent royalement. Mais c’était sans compter sur le retour en ville (probable) d’un enfant du pays, alors détenu en cavale. Adapté de la pièce de théâtre et du livre de Horton Foote, lauréat de l’Oscar du meilleur scénario adapté pour Du silence et des ombresTo Kill a Mockingbird, adaptation du roman Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur de Harper Lee réalisée par Robert Mulligan, The Chase est un drame psychologique et viscéral qui prend aux tripes jusqu’à l’explosion de violence finale, véritable enfer sur Terre, dont le seul et quasi-unique espoir est représenté par un shérif intègre, magnifiquement incarné par Marlon Brando dans un de ses plus grands rôles. Il s’agit aussi d’un des premiers films en vedettes d’un certain Robert Redford.

Bubber Reeves (Robert Redford) s’échappe de la prison d’état en compagnie de Simmons, un dangereux criminel. Celui-ci tue McCormack, un voyageur de commerce et s’empare de sa voiture pour fuir au Mexique en abandonnant Bubber. Dans Tarl, sa ville natale, petite localité du Texas, la nouvelle déchaîne les passions. C’est samedi soir et Val Rogers (E. G. Marshall) qui possède la plus grosse fortune de la région et la banque de la ville fête son anniversaire. Emily (Janice Rule), la femme d’Edwin Stewart (Robert Duvall), le vice-président de la banque est dépitée ne pas assister à la réception et oblige l’autre vice-président, Damon Fuller (Richard Bradford), son amant, à venir assister à la fête qu’elle organise de son côté. Le shérif Calder (Marlon Brando) et sa femme Ruby (Angie Dickinson), couple épanoui, sont en revanche invités chez les Rogers. Edwin Stewart vient demander une protection car sa femme, par pure méchanceté, l’a dénoncé aux yeux de tous lors d’un nouveau départ de Bubber pour la prison comme celui qui avait volé les 50 dollars dans la caisse de l’épicerie à l’origine de la longue dégringolade sociale dont a ensuite été victime Bubber. Calder le rassure : Bubber doit certainement chercher à s’enfuir loin de Tarl. Bubber essaie en effet de s’enfuir vers le Mexique mais le train dans lequel il est monté va en sens inverse, vers Tarl. Epuisé et mourant de faim, il demande à un noir de ses amis, Lester Johnson (Joel Fluellen), d’aller prévenir sa femme de son retour. Chez les Rogers, la fête n’est qu’une série de saouleries et de chamailleries auxquels n’échappent pas Jake (James Fox), de fils de Val, mal marié avec une femme riche et jolie pour laquelle il n’éprouve qu’indifférence. Tous, sauf son père, savent qu’il est l’amant d’Anna (Jane Fonda), la femme de Bubber. Val Rogers exige de Calder une explication sur la tension qui règne en ville au sujet de Bubber. Calder refuse de la lui donner, résistant à la pression morale qu’il juge insupportable de Val qui l’a fait nommer shérif le temps qu’il gagne assez d’argent pour racheter la ferme paternelle. En fin de soirée, Jake rejoint Anna dans un motel et lui apprend l’évasion de Bubber. Anna, amoureuse depuis toujours de Jack n’a épousé Bubber que parce qu’elle croyait que Jack ne reviendrait jamais à Tarl. Elle s’inquiète pour son mari et tient absolument à l’aider. Chez les Stewart, les convives sont de plus en plus saouls. Tous montent dans des voitures et se rendent dans un bar en ville, face au bureau du shérif.

En fait, La Poursuite impitoyable est un véritable western. Le Texas n’a pour ainsi dire pas changé, la loi de la jungle régit l’état, la population est toujours aussi avide de lynchages et de règlements de comptes. Pour Arthur Penn, pas de doute, c’est inscrit dans son ADN et l’Amérique reste en proie à ses démons ainsi que faussement puritaine et raciste. Les voitures ont certes remplacé les chevaux, mais les saloons ne désemplissent pas, le grand notable de la ville a la mainmise sur toutes les affaires de la région (avec les pancartes omniprésentes qui indiquent qu’il s’agit de sa propriété) et l’homme de loi est plutôt mal vu de la part des habitants qui ne peuvent pas laisser libre-cours à leurs pulsions. Alors, quand celui qui représente l’autorité est écarté, dans une séquence hallucinante de brutalité durant laquelle Marlon Brando est battu quasiment à mort, la « faune » peut enfin assouvir sa soif de sang. La dernière demi-heure qui se déroule dans un cimetière de voitures est un monument à elle seule. Les feux de l’enfer se déchaînent, au sens propre comme au figuré. Malgré l’espoir représenté par Calder, qui bien que semi-aveugle en raison de son visage tuméfié et de son corps brisé viendra en aide à Bubber, ce dernier parviendra-t-il à échapper au châtiment que lui réserve la population ?

Outre l’excellence de sa mise en scène et de son puissant scénario, La Poursuite impitoyable vaut aussi pour son casting quatre étoiles, sur lequel trône Marlon Brando, qui connaissait alors une petite baisse de régime après Le Vilain Américain (1963) de George Englund, Les Séducteurs (1964) de Ralph Levy et Morituri (1965) de Bernhard Wicki. Il retrouve ici de sa superbe avec ce personnage fatigué par la bassesse humaine, à qui l’on a confié le droit d’exercer l’autorité en ville, mais qui en réalité désire de redevenir agriculteur et s’occuper de son exploitation avec sa femme, interprétée par la sublime Angie Dickinson. Même si finalement sa présence à l’écran est en pointillés, le comédien domine le film. Face à lui, les jeunes Robert Redford et Jane Fonda explosent à l’écran, le premier par son charisme flamboyant et sa fougue contrastant avec son immense sensibilité, la seconde par son naturel et sa foudroyante beauté incendiaire. Mention spéciale également à Janice Rule dans le rôle d’Emily Stewart, trompant ouvertement son époux (Robert Duvall encore à ses débuts) et transpirant le sexe à chaque apparition.

Avec sa violence exacerbée et son nihilisme, l’intensité de ses comédiens, la beauté de la photographie Joseph LaShelle (Rivière sans retour d’Otto Preminger, Marty de Delbert Mann, La Garçonnière de Billy Wilder) et l’inoubliable composition de John Barry, La Poursuite impitoyable est la résultante des thèmes et obsessions déjà apparus dans Le Gaucher (1958), Miracle en Alabama (1962) et Mickey One (1965), dans lesquels Arthur Penn traitait entre autres du corps meurtri, de l’humiliation et de la paranoïa, mais aussi un premier aboutissement formel qui annonce son film suivant, le monument Bonnie & Clyde.

LE BLU-RAY

Oubliez le DVD complètement obsolète sorti chez Sony Pictures en 2005 et précipitez-vous sur l’édition Digibook – Blu-ray + DVD + Livret de La Poursuite impitoyable concoctée par Sidonis Calysta qui propose le film d’Arthur Penn dans sa version intégrale et entièrement restaurée. Le menu principal est très beau, animé et musical.

En ce qui concerne les suppléments, ruez-vous immédiatement sur la présentation du film par François Guérif (20’). C’est LE bonus à ne pas manquer, d’autant plus que les autres proposés par Sidonis restent pour le coup totalement anecdotiques. Ici, François Guérif revient sur la pièce de théâtre et le roman de Horton Foote, sa longue mise en route au cinéma après plusieurs scénarios, les acteurs envisagés (Marilyn Monroe entre autres), avant le tournage officiel. L’éditeur, directeur de collection littéraire et critique de cinéma français évoque les différences entre le livre et le film, mais aussi et surtout le fait que le réalisateur ait ensuite rapidement désavoué La Poursuite impitoyable en raison du montage supervisé par Sam Spiegel, sans le consentement d’Arthur Penn. En plus de cela, l’accueil critique a été très négatif aux Etats-Unis comme en France. Enfin, François Guérif passe en revue le casting et analyse à la fois le fond et la forme du film qui nous intéresse.

Les autres bonus sont donc plus courts et font surtout office de remplissage.

C’est le cas de l’extrait d’une interview d’Arthur Penn (3’), qui parle rapidement des conditions de tournage de La Poursuite impitoyable et de sa collaboration avec le producteur Sam Spiegel.

Même chose concernant Angie Dickinson (2’40) à travers le court extrait d’une masterclass, durant laquelle la comédienne aborde le scénario de La Poursuite impitoyable « sur lequel tout le monde avait une opinion », ainsi que le tournage difficile et l’humour de Marlon Brando.

Enfin, nous trouvons aussi deux extraits d’entretiens avec l’auteur Horton Foote (7’) qui se penche sur la difficile gestation du scénario du film d’Arthur Penn, pour lequel il a même été appelé en renfort afin de relier les versions différentes du scénario, qui n’avait de cette d’être réécrit.

L’interactivité se clôt sur la bande-annonce.

L’Image et le son

C’est avec un immense plaisir de redécouvrir un Technicolor dans de telles conditions ! Le master HD (1080p, AVC) affiche une propreté sidérante, restituant des contrastes tranchés, tout en délivrant un relief inédit, un piqué inouï, une clarté appréciable, une profondeur de champ de haut niveau et des détails foisonnants. Hormis la scène d’ouverture et le générique à la définition moindre, la restauration n’en finit pas d’étonner et la copie demeure stable. Malgré quelques flous sporadiques, vraisemblablement d’origine, La Poursuite impitoyable a bénéficié d’un lifting de premier ordre, tout en conservant le merveilleux grain de la photo du chef opérateur Joseph LaShelle.

Evitez à tout prix la version française qui dénature le jeu des comédiens. D’autant plus que cette piste s’accompagne d’un léger souffle chronique, avec des dialogues sourds, ou au contraire mis trop en avant. De son côté, la version originale est plus claire, plus aérée, et la composition de maestro John Barry est dynamique à souhait. Les sous-titres français ne sont pas imposés.

Crédits images : © Sidonis Calysta / Columbia Pictures / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

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