LA FEMME FLIC réalisé par Yves Boisset, disponible en DVD & Blu-ray le 19 septembre 2023 chez Tamasa Diffusion.
Acteurs : Miou-Miou, Jean-Marc Thibault, Leny Escudero, Jean-Pierre Kalfon, François Simon, Alex Lacast, Niels Arestrup, Henri Garcin, Philippe Caubère…
Scénario : Yves Boisset & Claude Veillot
Photographie : Jacques Loiseleux
Musique : Philippe Sarde
Durée : 1h49
Date de sortie initiale : 1980
LE FILM
Parce que son sens du devoir dérange, l’inspecteur Corinne Levasseur se voit reléguée aux travaux administratifs dans une petite ville du Nord. Mais elle est bientôt chargée d’enquêter sur une affaire de prostitution enfantine… Son action met sa vie en danger…
Après le César de la Meilleure actrice obtenu pour sa prestation dans La Dérobade de Daniel Duval, triomphe qui aura attiré près de 2,8 millions de spectateurs dans les salles, la carrière de Miou-Miou prend un nouveau virage. Mais avant d’être récompensée par la précieuse compression, un autre long-métrage venait de confirmer l’aura de la comédienne auprès du public, La Femme Flic, sorti en janvier 1980, qui lui aussi remportera un franc succès avec 1,8 millions d’entrées. Le douzième long-métrage d’Yves Boisset restera l’un des plus connus du réalisateur, mais aussi l’un des plus emblématiques de l’actrice. Sur un scénario implacable coécrit par le cinéaste et son complice Claude Veillot (Ronde de nuit, Le Choc, Espion lève-toi, Le Vieux fusil, Un Condé), La Femme Flic est l’un des premiers films à se focaliser, comme son titre l’indique, sur une inspectrice de police, genre alors peu représenté dans ce métier, du moins à ce niveau hiérarchique, la gent féminine étant la plupart du temps reléguée au rang de secrétaire. Miou-Miou, dans un rôle imaginé pour Isabelle Huppert, finalement retenue par Michael Cimino et La Porte du paradis, est superbe en jeune policière de 28 ans, dont la vocation va être brisée par ceux, haut placés, qui voient d’un mauvais œil son investissement et le fait qu’elle vienne fouiner là où cela dérange. Plus de quarante ans après sa sortie, La Femme Flic demeure douloureusement d’actualité dans le sujet qu’il traite et beaucoup d’images, de scènes, de regards s’impriment de façon indélébile dans la mémoire des cinéphiles.
Mutée de Paris à Hénin-Beaumont dans le Pas-de-Calais, une jeune inspectrice de police enquête sur un réseau de prostitution enfantine et se heurte aux notables locaux et à son propre chef. Elle essaie, en vain, de faire traduire en justice les membres d’une famille influente. Mais l’administration de la police ne paraît pas l’appuyer.
« À chacun son métier », « C’est de la politique », « Au lieu de chercher dans les beaux quartiers, on vient chercher chez la victime, c’est facile hein ? », « La Police ? Elle fait ce qu’elle peut la police, pour une société qui n’en vaut pas la peine ! », « Je l’ai toujours dit, les femmes ne sont pas faites pour ce métier », des répliques qui font l’effet de coups de poing dans la gueule il y en a à la pelle dans La Femme Flic, film écrit à l’acide, à la sueur et au sang. Mieux vaut être en bonne condition pour affronter ce polar psychologique, qui implique le spectateur dès la scène d’ouverture, une immersion étouffante renforcée par l’utilisation d’une caméra portée, à la limite du documentaire, quand l’inspecteur Corinne Levasseur se rend chez une famille « comme les autres », chez qui elle découvre, dans un placard dissimulé par un rideau, une petite fille en guenilles, crasseuses, famélique, un morceau de pain rassis à ses côtés. Levasseur prend la petite dans ses bras, descend les escaliers, confie l’enfant à une assistante sociale dans une voiture où elle prend place à l’avant, visage fermé. En à peine cinq minutes, Yves Boisset plante le décor, ou tout du moins le quotidien de son personnage principal.
Levasseur aura peu d’occasions de sourire et on comprend pourquoi, même si La Femme Flic n’est pas dépourvu d’humour. C’est le cas dans ses échanges avec son homologue, l’inspecteur Simbert, incarné par l’excellent et charismatique Alex Lacast, que l’on reverra dans le génial Asphalte de Denis Amar et L’Indic de Serge Leroy. Si l’on peut imaginer le début d’une idylle entre les deux jeunes inspecteurs, la réalité ne leur permettra pas cette « récréation » et Levasseur devra se rendre à l’évidence, elle demeure et restera seule contre tous dans sa quête de justice. La mise en scène d’Yves Boisset s’attache, colle au visage de sa protagoniste, la scrute dans un bar-resto de province où elle dîne chichement devant un petit ballon de rouge, avant d’être embarquée par une troupe de saltimbanques pour aller manger une choucroute où elle jette un froid (euphémisme) quand elle leur dit ce qu’elle fait dans la vie. Ce qui n’est pas du goût des ex-soixante-huitards, dont Marcel Backmann, directeur de la Maison des jeunes et de la culture du coin, interprété par l’imposant Jean-Pierre Kalfon.
Quasiment de tous les plans ou tout du moins de toutes les scènes, Miou-Miou crève l’écran, s’impose sans mal avec une sensibilité à fleur de peau et une force impressionnante qui contraste avec sa petite taille et sa voix fluette. Elle est solidement épaulée par une distribution comme d’habitude de choix chez Yves Boisset, où se distinguent Jean-Marc Thibault (impérial en commissaire Porel), le chanteur Leny Escudero, dans l’une de ses rares incursions au cinéma et où il se défend bien, Niels Arestrup, Philippe Caubère, Roland Blanche, Jean Martin, Henri Garcin et François Simon, que des cadors. La Femme Flic est un film sombre, élégamment photographié par Jacques Loiseleux (R.A.S., Dupont Lajoie, Loulou, Van Gogh), qui rend compte de la beauté austère des décors naturels, cadre atypique voire cauchemardesque dans lequel se déroule l’intrigue centrée sur les réseaux de prostitution infantile, niché dans un quartier populaire, qui rappelle les faits dénoncés dans l’affaire Jacques Dugué, qui défrayait alors la chronique.
Si une partie de la critique a dénoncé le manichéisme de l’entreprise, par ailleurs souvent attribué à Yves Boisset, La Femme Flic met pourtant tout le monde dans le même panier, n’épargne personne, confronte deux mondes en les mettant face à leur propre stupidité (la scène de l’emménagement), en démontrant que certains peuvent unir leurs forces, même s’il y aura toujours quelqu’un au-dessus d’eux pour les freiner ou les stopper dans leur élan. La Femme Flic, représentatif du cinéma de contestation et de constatation d’Yves Boisset, dérange encore car il n’a pas vieilli, c’est sans doute ce qui fait le plus peur.
LE BLU-RAY
Décidément, Tamasa aime Yves Boisset ! Après Le Prix du danger, Allons z’enfants, R.A.S. et L’Attentat, La Femme Flic intègre le catalogue de l’éditeur, en DVD et Blu-ray. L’édition HD se présente sous la forme d’un boîtier classique transparent, le visuel de la jaquette étant centré sur le visage de Miou-Miou. C’est aussi le cas du menu principal, fixe et muet.
Ne manquez surtout pas les interventions croisées de Bernard Payen, programmateur à la Cinémathèque Française, Richard Marlet, commissaire général honoraire à la Police judiciaire et d’Yves Boisset, ce dernier ayant été enregistré en octobre 2012 ! Après avoir visionné La Femme Flic, ce module de 48 minutes, réalisé par le brillant Roland-Jean Charna, répondra à toutes vos questions sur le film d’Yves Boisset. La position de ce dernier sur la police (« beaucoup plus nuancé que ce qu’on a bien pu dire ! »), l’avis des policiers sur le film, le parcours cinématographique d’Yves Boisset, ses thèmes de prédilection, la genèse de La Femme Flic et les événements (qui font froid dans le dos) qui ont nourri le scénario, le casting, la préparation de Miou-Miou, les lieux et les conditions de tournage, l’évolution de la place des femmes dans la police, la psychologie du personnage principal sont les sujets principaux de ce documentaire indispensable.
L’Image et le son
Il serait difficile de faire mieux que ce Blu-ray (Encodage MPEG 4 / AVC – Format du film respecté 1.66, 1080p) qui respecte les volontés artistiques originales dont le grain original, tout en tirant intelligemment partie de l’opportunité HD. La clarté est fort appréciable, notamment sur toutes les séquences en extérieur, la propreté du master est irréprochable, ainsi que la stabilité, le relief, la gestion des contrastes et le piqué qui demeure agréable. Les séquences nocturnes sont également excellemment conduites avec des noirs denses. Restauration 4K.
Le mixage DTS-HD Master Audio Mono tente d’instaurer un confort acoustique même si quelques dialogues manquent parfois d’intelligibilité. En dehors de cette petite déconvenue, l’ensemble se révèle très propre, quelques ambiances naturelles parviennent à percer et les silences sont profonds. L’éditeur a seulement oublié de joindre les sous-titres français destinés au public sourd et malentendant.
Crédits images : © Tamasa / Studiocanal / Société Nouvelle Cinefog / France 2 Cinéma / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr