ILS ONT COMBATTU POUR LA PATRIE (Oni srazhalis za rodinu – Они сражались за Родину) réalisé par Sergueï Bondartchouk, disponible en Combo Blu-ray + DVD – Édition limitée le 18 janvier 2023 chez Rimini Editions.
Acteurs : Vasiliy Shukshin, Vyacheslav Tikhonov, Sergeï Bondarchuk, Georgiy Burkov, Yuriy Nikulin, Ivan Lapikov, Nikolay Gubenko, Andrey Rostotskiy…
Scénario : Sergeï Bondarchuk & Mikhail Sholokhov, d’après le récit de Mikhaïl Cholokhov
Photographie : Vadim Yusov
Musique : Vyacheslav Ovchinnikov
Durée : 2h31
Date de sortie initiale : 1975
LE FILM
Juillet 1942. L’armée soviétique bat en retraite. Une poignée d’hommes épuisés, tout ce qui reste du régiment défendent les accès du fleuve. Il peut paraître par moments que la guerre n’est qu’un mauvais rêve. Sur le chemin, les traces des chenilles de tanks, mais partout ailleurs les herbes lasses de l’été, le terne éclat des terres salines, les tertres tremblant dans l’air surchauffé de la canicule… La rencontre absurde de la terre gorgée de soleil et de la machine de guerre inhumaine donne lieu à une situation authentiquement biblique, métaphore de la vie impérissable confrontée aux forces maléfiques.
À la base d’Ils ont combattu pour la patrie – Oni srazhalis za rodinu, il y a une commande du ministre de la défense russe, Andreï Gretchko, qui désirait célébrer le trentième anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale. Celui-ci conseille au réalisateur Sergueï Bondartchouk de lire son propre livre, pour une éventuelle adaptation, La Bataille du Caucase, édité en 1969, qui relatait son expérience personnelle du conflit. Mais le cinéaste n’est pas emballé et jette plutôt son dévolu sur un roman de Mikhaïl Cholokhov, écrivain qu’il avait déjà transposé pour Le Destin d’un homme, son premier long-métrage. Ce sera donc Ils ont combattu pour la patrie, ouvrage inachevé, qui lui permet cette fois encore de s’exprimer librement, sans doute trop par rapport aux attentes du ministère, sur l’horreur de la guerre et la véritable situation de ceux qui l’ont vécue. Car si le dispositif est gigantesque, les moyens visiblement illimités, la production bénéficiant aussi du concours de l’armée qui lui fournit une multitude de véhicules aériens et terrestres, ce qui intéresse surtout Sergueï Bondartchouk c’est une fois de plus de montrer la guerre à hauteur d’homme, d’adopter le point de vue des soldats, de dévoiler l’intimité de ceux qui ont servi de chair à canon. Si certains penseront inévitablement à Il faut sauver le soldat Ryan – Saving Private Ryan de Steven Spielberg, par l’ampleur et le réalisme des combats, c’est en réalité La Ligne rouge – The Thin Red Line qu’annonce Ils ont combattu pour la patrie, quant à son approche philosophique, le film incitant le spectateur à la réflexion sur la guerre. Et c’est extraordinaire.
En juillet 1942, devant l’offensive allemande, le 38e régiment d’artillerie se replie vers Stalingrad. Épuisés par une marche de trente kilomètres faite dans la matinée, la troupe arrive dans un petit village situé sur la rive droite du Don. Elle s’y arrête et les soldats en profitent pour se refaire, boire, manger, fumer, discuter, se confier, dormir, se baigner, réparer du matériel…et pour Pétia c’est aussi découvrir la gent féminine locale et au passage encaisser les critiques très sévères d’une vieille paysanne qui les prend pour de lâches fuyards. L’ordre étant donné de tenir la hauteur voisine jusqu’à l’arrivée des renforts, chaque soldat creuse son trou pour se protéger lors des combats. Ils commencent avec un avion qui mitraille leurs positions puis continuent avec l’attaque de nombreux blindés suivis de fantassins. L’ennemi repoussé c’est au tour de l’aviation nazie de les bombarder; Nikolaï est gravement blessé. L’affrontement reprend et se termine par une charge à la baïonnette. À la tombée de la nuit, c’est un spectacle d’apocalypse, la steppe est en feu et les soldats soviétiques, méconnaissables, à bout de forces, regagnent leur cantonnement. Profitant du répit, ils renforcent leurs positions et creusent près du village tout un réseau de tranchées.
« Au nom de ceux qui vivent, de ceux qui ne sont plus, de ceux qui viendront encore… »
Comme le fera plus tard Terrence Malick, Sergueï Bondartchouk met constamment en relief le contraste entre des scènes de combats intenses et de longs plans quasi-contemplatifs sur l’environnement redevenu paisible entre deux actions. Foncièrement anti-militariste, Ils ont combattu pour la patrie dénonce l’absurdité de la guerre, son aberration, ce qui était donc loin des attentes d’Andreï Gretchko, qui devra malgré tout faire avec, d’autant plus que le film sera un immense succès en U.R.S.S. avec plus de 40 millions de spectateurs. Dans Ils ont combattu pour la patrie, les hommes sont montrés perdus dans les steppes infinies, dont le calme olympien est brutalement interrompu par les explosions et le déplacement de multiples tanks, qui écrasent tout sur leur passage. Ainsi, ce qui pouvait apparaître premièrement comme un terrain presque paradisiaque ou idyllique, est rasé par le rouleau compresseur de la guerre. Une pêche aux écrevisses devient un interlude inattendu entre deux affrontements violents, l’eau claire d’une rivière (dans laquelle certains iront se baigner) laisse place aux tranchées poussiéreuses que les soldats sont obligés de creuser (comme leur propre tombe) pour pouvoir s’opposer aux tanks ennemis, le soleil s’écrasant lourdement sur la tête suintante de sueur des soldats, appuyant la folie meurtrière du moment.
Sergueï Bondartchouk s’attarde sur les gros plans d’une poignée d’hommes, comme figés pour l’éternité, avant que certains finissent par tomber sous le feu de l’ennemi. Non, l’armée russe n’a pas été invulnérable comme on pouvait le prétendre parmi les dirigeants et leur idéologie. Les hommes envoyés au casse-pipe avaient peur et avançaient (ou reculaient plutôt) malgré tout vers Stalingrad, ployant sous la fatigue cumulée par les incessants jours de marche, tout en essayant de survivre quand les Allemands se manifestaient. Sur la route, des femmes dissimuleront leurs blessures derrière des mots blessants, à l’instar de cette paysanne qui refuse dans un premier temps de donner un peu de sel à un soldat, avant d’avouer qu’elle a déjà perdu trois fils et un beau-fils au front, puis un quatrième à Sébastopol. La nature est soumise à la brutalité de la guerre, les champs enflammés, les moulins incendiés, les moutons sont en panique au milieu des tanks. Quelques grains de blé résistent à cet enfer, les soldats en attrapent pour les grignoter, comme c’était déjà le cas dans Le Destin d’un homme.
Plus loin, on se refile une cigarette, puis on flirte avec une crémière à laquelle un soldat voudrait emprunter un peu de beurre, tout en convoitant son cul comme le dit l’expression. Ils ont combattu pour la patrie avance ainsi, par à-coups, donnant cette impression d’être un huis clos anxiogène à ciel ouvert, le réalisateur enfermant ses protagonistes dans des cadres serrés quand le calme revient, avant de les perdre à nouveau dans l’immensité quand les tirs et les explosions refont surface et transforment la terre percée de cratères comme un sol lunaire. Dans la deuxième partie du film, des pointes d’onirisme reflètent la psyché perturbée des soldats, plongés dans un enfer qui les dépassent, où s’immiscent les cafards et même les morpions qui ne leur laissent par une seconde de répit.
Au-delà de cette impressionnante pyrotechnie, Sergueï Bondartchouk ne se focalise que sur l’être humain, du début à la fin. Le film, superproduction, vrai blockbuster avant l’heure, privilégie l’émotion, mais n’oublie pas d’être en même temps divertissant, spectaculaire et didactique. À ce titre, le cinéaste apparaît comme un chaînon manquant entre Terrence Malick et James Cameron, c’est dire son importance et la nécessité pour les cinéphiles de plonger dans cette incroyable filmographie.
LE BLU-RAY
Après Le Destin d’un homme, qui était inédit en DVD et Blu-ray en France, Rimini Editions ressuscite Ils ont combattu pour la patrie, qui était déjà sorti en édition Standard en 2018 chez R&D Média. Les deux disques de ce combo reposent dans un Digipack au visuel attractif et aux couleurs chaudes. Le menu principal est animé et musical.
Le premier bonus réalisé par La Plume, présent sur le DVD et le Blu-ray, est un nouvel entretien avec Joël Chapron, spécialiste du cinéma russe et soviétique (11’30). L’intervenant s’exprime sur la genèse du film qui nous intéresse aujourd’hui, sur les partis-pris et les intentions de Sergueï Bondartchouk, qui sera présent devant et derrière la caméra, sur l’évolution du film de guerre soviétique, les conditions de tournage, la sortie triomphale d’Ils ont combattu pour la patrie et ses récompenses.
Le Blu-ray dispose d’un second entretien – made in La Plume cette fois encore – avec Joël Chapron (13’), centré sur le cinéma de Sergueï Bondartchouk. Ce supplément résume comme qui dirait celui présent sur le Blu-ray du Destin d’un homme et le précédent de cette édition, en se focalisant sur la représentation inédite de la guerre à l’écran, ce qui sera la marque de fabrique de Sergueï Bondartchouk, en l’occurrence le côté intime du conflit, vu à hauteur d’homme, ce qui n’avait jamais été fait avant ce premier long-métrage. Quelques redites par rapport à ce qui a déjà été entendu et beaucoup trop d’extraits (longs qui plus est) d’Ils ont combattu pour la patrie viennent ralentir le rythme de ce module.
L’Image et le son
Ce n’est pas parfait. Le master HD restauré par Mosfilm reste marqué par de nombreuses poussières. Le Biactol numérique n’a rien pu faire contre les points blancs et noirs, certaines séquences sont d’ailleurs plus « mouchetées » que d’autres. La gestion du grain est parfois aléatoire et le cadre chancelle à plusieurs reprises. Malgré tout, la copie demeure lumineuse, le piqué n’est pas dégueulasse, les couleurs chaudes sont bien restituées. Blu-ray au format 1080p.
Les versions originale et française sont présentées au format DTS-HD Master Audio 2.0. Du point de vue qualité, les deux pistes se valent avec un usage constant et énergique des enceintes frontales lors des scènes d’affrontements. Cela tire, explose, fusille, les avions font un beau barouf, les voix ne manquent pas de peps et sont même toujours très audibles et jamais dilués au milieu du fracas environnant. La musique bénéficie d’un écrin acoustique fort plaisant. VF incomplète, certains passages passent automatiquement en VOSTF.