CHRISTMAS EVIL réalisé par Lewis Jackson, disponible en DVD et Blu-ray le 1er décembre 2021 chez Carlotta Films.
Acteurs : Brandon Maggart, Jeffrey DeMunn, Dianne Hull, Andy Fenwick, Brian Neville, Joe Jamrog, Wally Moran, Gus Salud…
Scénario : Lewis Jackson
Photographie : Ricardo Aronovich
Musique : Don Christensen, Joel Harris & Julia Heyward
Durée : 1h30
Année de sortie : 1980
LE FILM
Enfant, Harry surprend sa mère en plein ébat avec le Père Noël. Cette vision le hantera toute sa vie. Trente ans plus tard, Harry travaille dans une usine de jouets et son existence entière tourne autour du Père Noël. Il souhaite incarner l’innocence que représente à ses yeux cette figure, mais l’époque a changé et le cynisme règne en maître. Harry va alors endosser son costume et distribuer lui-même les cadeaux… ou les châtiments…
Cette année, vous avez intérêt à croire au Père Noël, sinon il vous « hottera » la vie. Si la tagline exagère un brin, puisque le film est assez sage, Christmas Evil, connu aussi sous le titre You Better Watch Out, ou bien encore Terreur au royaume des jouets chez nos amis canadiens, est à ce jour le dernier long-métrage du réalisateur Lewis Jackson. Sorti discrètement en 1980, cet opus a en fait été vendu comme un slasher, dans lequel un homme arbore le costume du Père Noël et s’en va trucider quelques individus qui n’ont sûrement pas été sages, alors qu’il ne s’agit pas du tout de ça. Christmas Evil est un thriller dramatique psychologique qui narre la folie d’un homme, à la fois fasciné et traumatisé par Noël, qui a tout simplement décidé de devenir celui par qui – normalement – le bonheur arrive le 25 décembre de chaque année. Sauf qu’à l’exception des gamins innocents, même si certains ne confirment pas cette règle, la plupart des adultes semblent avoir perdu leur fantaisie, leur joie de vivre et n’arrivent pas à profiter de ce jour unique. Un homme décide alors de revêtir l’habit rouge, de transformer son van en traîneau et d’aller fureter en ville le soir du réveillon, dans l’espoir de donner du plaisir à ses concitoyens. Mais évidemment, cela ne va pas se passer comme prévu. Christmas Evil n’est pas exempt de faiblesses et de maladresses. Toutefois, on comprend pourquoi le film de Lewis Jackson, très joliment photographié par Ricardo Aronovich (Le Souffle au cœur de Louis Malle, L’Attentat de Yves Boisset, L’important c’est d’aimer d’Andrzej Żuławski), a su marquer les esprits des spectateurs depuis quarante ans. En raison de son ton désabusé, par le portrait à la fois effrayant et bouleversant d’un homme au bout du rouleau, qui va se perdre en vivant son fantasme jusqu’au bout. « Cette année, laissez la cheminée allumée ! » disait la bande annonce. C’est un conseil auquel nous adhérons.
Dans une banlieue du New Jersey, la veille de Noël 1947, un jeune garçon nommé Harry Stadling voit sa mère se faire littéralement tripoter par son père, déguisé en Père Noël. Le cœur brisé, l’enfant se précipite vers le grenier et se coupe la main avec un éclat de verre provenant d’une boule à neige brisée. Trente-trois ans plus tard, un adulte, Harry, occupe un poste à l’usine de jouets Jolly Dreams, où ses collègues le considèrent comme une tête de nœud et se moquent ouvertement de lui. À la maison, il a décidé de devenir le prochain vrai Père Noël : il dort costumé et son appartement regorge de décors de Noël. A l’aide de jumelles, il espionne les enfants du quartier pour voir s’ils sont « bons » ou « mauvais » et tient des registres détaillés sur leur comportement. Le collègue de Harry, Frank, demande à Harry de couvrir son quart de travail sur la chaîne de montage afin d’être avec sa famille. Cependant, en rentrant du travail, Harry voit Frank boire avec des amis dans un bar local. Affligé par la duplicité de l’homme, Harry casse l’une de ses figurines de maison de poupée en fredonnant des airs de Noël. Le lendemain, il annule le dîner de Thanksgiving avec son frère Phil et sa famille. Ce dernier a été constamment irrité par le comportement étrange de son frère aîné, tandis que la femme de Phil, Jackie, est plus conciliante. Lors de la fête de Noël de l’entreprise, le propriétaire de Jolly Dreams, M. Wiseman, annonce que l’entreprise fera don de jouets aux enfants de l’hôpital local, à condition que la production augmente suffisamment et que les employés contribuent à cette charité. M. Fletcher, l’un des cadres supérieurs de l’entreprise, présente Harry au nouveau responsable de la formation, George Grosch, qui a conçu le programme de dons. Harry est en colère contre les deux, se rendant compte qu’ils ne se soucient pas des enfants. Cette nuit-là, il remplit des sacs de jouets qu’il a volés à l’usine. La veille de Noël, tout en arborant une barbe blanche, il entre dans un état de schizophrénie et s’avère convaincu d’être vraiment le Père Noël. Vêtu de son costume, Harry commence à faire sa ronde au volant de son van sur lequel il a peint un traîneau, et qu’il croit traîné par les rennes. Il se faufile d’abord dans la maison de son frère et livre des jouets à ses neveux ; puis laisse un sac plein de terre sur le pas de la porte du « mauvais garçon » Moss Garcia. Plus tard, Harry dépose des jouets à l’hôpital, où il est accueilli joyeusement par le personnel. Dans la rue, Harry est raillé par Charles, Peter et Binky quittant la messe de minuit. Cette fois, Harry voit rouge, encore plus que son costume et franchit le point de non-retour.
Non seulement Christmas Evil est un film étonnant et singulier, mais il révèle surtout un acteur incroyable, Brandon Maggart (né en 1933), également peintre et auteur à ses heures. S’il est apparu dans Pulsions de Brian De Palma la même année que le film de Lewis Jackson, ainsi que dans Le Monde selon Garp (1982) de George Roy Hill et dans moult séries télévisées, le comédien, qui au passage est aussi le père de la chanteuse Fiona Apple, trouve ici le rôle de sa vie. Sa prestation est autant déchirante que terrifiante. Il est difficile de voir Harry, un homme discret, discret dans son travail, vivant seul dans le monde qu’il s’est construit autour du thème de Noël, s’enfoncer progressivement dans la folie. Des suites d’un trauma survenu quand il était gamin et qui l’a plongé instantanément dans le monde pervers et impitoyable des adultes, Harry a toujours essayé de se raccrocher à la pureté, à la candeur, pour ne pas dire à la naïveté du monde des enfants. Mais la réalité le rattrape vers l’âge de 40 ans et la chute va être brutale.
Si le rythme est sans doute lent et que l’ensemble est souvent redondant, Christmas Evil se déchaîne dans le dernier tiers, en emmenant l’audience sur le terrain chaotique de la psyché perturbée du personnage principal. S’il commettra l’irréparable, on ressent une immense tristesse pour Harry, que l’on voit perdre pied, sans aide ni espoir. Mais lesang et le meurtre s’en mêlent. Certaines séquences mettent vraiment mal à l’aise, comme celle où Harry tente de s’immiscer par la cheminée, avant de se rendre compte soudainement que le conduit est trop étroit et qu’il ne pourra pas réaliser cet exploit comme tout bon Père Noël qui se respecte. La scène où Harry, entouré de gamins, se retrouve face à face avec leurs parents, conscients que l’homme au costume sale et déglingué est l’assassin recherché, donne quelques suées et l’on se demande comment cela va finir. Justement, Christmas Evil se clôt une note poétique complètement inattendue, qui finit par faire perdre autant ses repères aux spectateurs qu’à Harry, même s’il est évident que les dernières secondes du film renvoient une ultime fois à la conscience perturbée de son protagoniste.
Malgré ses défauts, ce film de Noël, car il s’agit bien de cela, vous changera des téléfilms gnangnans habituels qui désormais pullulent dès l’été et s’avère même la meilleure alternative – au même titre que 3615 code Père Noël de René Manzor, qui sortira dix ans plus tard – à celles et ceux qui espéraient découvrir une fable différente, mais aussi…réaliste ?
LE BLU-RAY
Carlotta Films annonce le nouveau titre de la Midnight Collection inaugurée en 2016, Christmas Evil, qui rejoint ainsi Frankenhooker, les trois épisodes de la saga Basket Case, Maniac Cop, The Exterminator, Le Scorpion Rouge, Blue Jean Cop, The Boys Next Door, la trilogie Angel et A armes égales ! Pour rester fidèle au style vintage, les visuels Blu-ray et DVD reprennent l’esprit des jaquettes VHS d’époque. Le menu principal est fixe et musical. A noter qu’il s’agit ici de la version Director ‘s Cut.
John Waters a toujours déclaré que Christmas Evil était pour lui le meilleur film de Noël de l’histoire de cinéma. Nous ne sommes donc pas étonnés de le retrouver au micro d’un commentaire audio, en compagnie du réalisateur Lewis Jackson. Disponible en version originale sous-titrée en français, ce commentaire est souvent réjouissant, même si les deux intervenants n’évitent pas la paraphrase avec ce qui se déroule à l’écran et certaines redondances. On en apprend pas mal sur les conditions de tournage et sur l’accueil du film notamment. La psychologie du personnage principal est aussi abordée, ainsi que les références du metteur en scène (Fassbinder, Louis Malle) et ses intentions, la genèse du film (ou comment l’effet d’un joint peut être décisif sur le processus créatif) et d’autres éléments.
Nous trouvons ensuite un entretien avec Lewis Jackson (7’), dans lequel le réalisateur revient sur son film et sur le concept de peur au cinéma. Devant les bureaux de la Troma à Los Angeles, le metteur en scène répond aux questions de Chad Ferrin, réalisateur en 2000 de Unspeakable et parle de la genèse de Christmas Evil, de la longue gestation du film (près de dix années), des conditions de tournage avec un budget 750.000 dollars, du travail avec le directeur de la photographie Ricardo Aronovich, du casting, des thèmes du film (« qui n’est pas anti-Noël, mais plutôt sur son aspect commercial » dit Lewis Jackson)…
Place au comédien Brandon Maggart (7’), qui parle à Chad Ferrin de son rôle et brièvement de sa fille, la chanteuse Fiona Apple. Une interview décousue, où interviennent également le Sgt. Kabukiman (les fans de Lloyd Kaufman et de la Troma apprécieront) et Maude Maggart, l’une des autres filles de l’acteur.
S’ensuivent sept minutes de scènes coupées, pas si mal que ça d’ailleurs, surtout celle où des enfants, enfermés dans un aquarium géant, testent de nouveaux jouets, devant les yeux affamés de dollars des responsables commerciaux. L’éditeur joint aussi un panel des avis des spectateurs, conviés à une projection-test de Christmas Evil (3’) sur lesquels on peut entre autres lire « Ce film ne vaut rien », « C’est une perte de temps », « Ce film donnera des idées aux gens bizarres comme Harry », « Le pire film que j’ai jamais vu », « Ne le sortez pas ! », « Nul pour les enfants ! », « Ça rapportera plein d’argent ! » ou bien encore « Je pense que je serai comme Harry à Noël ».
Cette édition comprend enfin un lot de storyboards (dont celui d’une scène supprimée du film et qui n’a jamais été retrouvée), ainsi que la bande-annonce.
L’Image et le son
Carlotta Films nous livre Christmas Evil dans un Blu-ray au format 1080p ! La stabilité de la copie – récemment restaurée 4K – est indéniable dès les premiers plans, tout comme sa propreté. Cependant, un voile granuleux subsiste tout du long, d’autant plus visible sur les scènes sombres et nocturnes, donnant à l’image un aspect poreux. Malgré cela, les séquences diurnes, s’en tirent très bien avec des couleurs parfois ravivées et qui savent tirer profit de cette élévation HD. Subsistent néanmoins les marques de raccords de montage…étrange après un lifting 4K tout de même…
Sachant que les spectateurs français ont avant tout découvert ce film dans la langue de Molière, Carlotta Films livre un mixage français « respectueux » de l’écoute originale avec bien sûr le doublage d’époque. Au jeu des comparaisons, la version originale s’en sort nettement mieux avec des effets plus naturels et une dynamique plus marquée que la VF aux dialogues assez sourds ou marqués par des échos. Les deux pistes sont proposées en DTS-HD Master Audio 1.0, qui ne peuvent évidemment pas rivaliser avec les standards actuels, mais l’éditeur permet de revoir ce « classique » dans de bonnes conditions techniques, sans craquement ni souffle.