Test Blu-ray / Cent jours à Palerme, réalisé par Giuseppe Ferrara

CENT JOURS À PALERME (Cento giorni a Palermo) réalisé par Giuseppe Ferrara, disponible en Combo Blu-ray+DVD le 17 septembre 2024 chez Rimini Éditions.

Acteurs : Lino Ventura, Giuliana De Sio, Lino Troisi, Stefano Satta Flores, Arnoldo Foà, Adalberto Maria Merli, Andrea Aureli, Anita Zagaria, Aldo Sarullo, Luigi Nicolosi, Rosario Coniglione, Guido Sagliocca…

Scénario : Pier Giovanni Anchisi, Giuseppe Ferrara, Riccardo Iacona, Giuseppe Tornatore, William Laurent & Giorgio Arlorio

Photographie : Silvio Fraschetti

Musique : Vittorio Gelmetti

Durée : 1h38

Date de sortie initiale : 1984

LE FILM

Printemps 1982. Après avoir brillamment combattu les Brigades Rouges, le général Dalla Chiesa accepte le poste de préfet de Palerme, ville contrôlée par la mafia sicilienne. Incorruptible, inflexible, il va devenir la bête noire de l’organisation criminelle.

Alors âgé de 65 ans et ayant derrière lui trente ans de carrière, Lino Ventura avait un grand regret, que le cinéma italien ne l’ait pas plus sollicité. Sa dernière expérience remonte à 1976, avec Cadavres exquis Cadaveri eccellenti de Francesco Rosi, dans lequel il donnait la réplique à Renato Salvatori et Max von Sydow. Le comédien accepte d’interpréter le général Carlo Alberto dalla Chiesa, préfet de Sicile où il menait une lutte acharnée contre la Mafia et assassiné à Palerme deux ans auparavant. Une histoire brûlante d’actualité et qui l’est d’ailleurs encore quarante ans après. Lino Ventura a peu à faire pour s’imposer dans la peau de cet officier italien, ancien résistant durant la Seconde Guerre mondiale, général des Carabiniers. Après s’être opposé au terrorisme, notamment aux célèbres Brigades rouges durant les Années de plomb, ce héros national était comme qui dirait le dernier rempart contre la Mafia qui gangrenait la Sicile et s’installait sur la scène internationale via le trafic de drogue et d’armes. Personnalité forte et charismatique, Dalla Chiesa met immédiatement le nez dans des affaires qui ne le « concernaient » pas, ce qui n’allait évidemment pas plaire à ceux qui tenaient réellement les rênes, y compris certains politiques en lien avec la pègre. Après quatre mois de dur affrontement, le préfet est tué sauvagement avec son épouse Emanuela dans sa voiture, sans jamais avoir eu l’aide du gouvernement, qui lui avait pourtant promis d’obtenir les pouvoirs nécessaires à son combat. C’est dire si cet attentat est encore dans les mémoires quand le réalisateur et ancien critique Giuseppe Ferrara (1932-2016) s’attaque à ce sujet, qui aura nécessité pas moins d’une demi-douzaine de scénaristes, dont Pier Giovanni Anchisi (La Possédée du lac), Giuseppe Tornatore (Malèna, Cinema Paradiso) et Giorgio Arlorio (El Mercenario, Queimada). S’il n’atteint pas la maîtrise, la rigueur et la virtuosité d’un Francesco Rosi, Cent jours à Palerme n’en reste pas moins une œuvre coup de poing, étonnamment violente, sanglante même, qui offre à Lino Ventura son dernier vrai rôle, avant de tirer sa révérence en faisant une apparition dans La Rumba de Roger Hanin.

Le général des carabiniers Carlo Alberto Dalla Chiesa, l’homme fort du démantèlement des Brigades rouges, aspire à une retraite bien méritée et songe à se marier avec Emanuela. Homme profondément intègre, habile et dévoué à son pays, il accepte la charge de préfet de Palerme le 1er mai 1982. Tous les moyens sont mis au service du général, qui dispose des pleins pouvoirs, mais sait également que sa vie et celle des siens sont désormais en danger à chaque heure du jour et de la nuit. Peu de temps après son arrivée, le député communiste Pio La Torre est assassiné par la mafia, qui entend ainsi affirmer sa puissance. Déterminé à briser la loi du silence en Sicile et dans toute l’Italie, secondé par le capitaine Fontana, il entame un combat radical contre la « pieuvre », infiltrée jusque dans les plus hautes sphères de l’État. Il fait arrêter les chefs de bande et saisit des archives. Mais les pouvoirs spéciaux lui sont refusés par le Parlement et son action est bloquée.

À Palerme, les familles rivales de la Mafia s’entre-tuent et bafouent ouvertement l’État italien en faisant assassiner une série de députés, magistrats, officiers…Dalla Chiesa a souhaité relever le défi en acceptant de devenir préfet de Palerme. Sa tactique est surprenante : l’arme de la délation, si efficace contre le terrorisme, se heurte, en Sicile, à la loi du silence. Il faut donc déchirer le voile de peur qui recouvre tous les visages. Dalla Chiesa va se battre au grand jour, à visage découvert, en prenant tous les risques. La population se met à espérer. Giuseppe Ferrara livre un film dossier, fidèle aux faits reportés et n’hésite pas à avoir recours à une esthétique documentaire, avec une caméra portée particulièrement immersive. D’entrée de jeu, le cinéaste plonge les spectateurs dans le quotidien brutal des parlermitains, où une fusillade peut avoir lieu à chaque coin de rue. Ainsi, un commissaire, un juge, le président de la région de Sicile, le procureur de la république en Sicile, un député communiste se font assassiner devant tout le monde. C’est là qu’intervient Carlo Alberto Dalla Chiesa, bien décidé à changer la donne.

Alors qu’il vient de triompher dans Les Misérables de Robert Hossein et Le Ruffian de José Giovanni, Lino Ventura revient à l’italien dans le texte dans Cent jours à Palerme, même si Giuseppe Ferrara le fera finalement doubler et ce sans l’avertir. Cela n’allait pas arranger leurs relations, qui n’ont jamais été au beau fixe, après un tournage houleux qui ne laissera aucun bon souvenir à l’acteur et qui le fera savoir ouvertement sur les plateaux de télévision, allant même jusqu’à dire que sa condition de « metteur en scène » était selon lui usurpée. Cela n’empêche pas Lino Ventura d’être impressionnant du début à la fin, en étant quasiment de chaque scène, sa présence se faisant ressentir même quand il n’est pas à l’écran.

Après son immense succès dans Io, Chiara e le Scuro, Giuliana De Sio, qui venait de remporter le David di Donatello de la meilleure actrice, ainsi que le Ruban d’argent, est bouleversante dans le rôle d’Emanuela, femme résignée et aimante, qui fera fi des avertissements de son époux pour le rejoindre et être à ses côtés dans son combat acharné. Les cinéphiles reconnaîtront aussi Stefano Satta Flores (Nous nous sommes tant aimés, La Terrasse) dans la peau du Capitaine Fontana, ami de longue date et soutien de Dalla Chiesa, ainsi qu’Adalberto Maria Merli, mythique Minos dans Peur sur la ville d’Henri Verneuil.

Sur un montage percutant et une réalisation aussi moderne qu’inventive et nerveuse, Cent jours à Palerme s’avère un thriller étouffant et pessimiste, une excellente radiographie d’un pays passé sous le joug du monde criminel, qui s’en est accommodé et dont les quelques résistants sont aussitôt exécutés s’ils se révèlent être des grains de sable dans une mécanique bien huilée. Semi-succès dans les salles françaises avec un demi-million d’entrées et deux fois moins de l’autre côté des Alpes, il est temps aujourd’hui de réhabiliter ce film implacable.

LE COMBO BLU-RAY + DVD

Cent jours à Palerme a tout d’abord connu deux crèmeries en DVD, chez TF1 et LCJ Editions & Productions. On pensait le film de Giuseppe Ferrara disparu et l’annonce de sa sortie en Haute-Définition chez Rimini Editions nous a particulièrement réjoui. Le DVD et le Blu-ray reposent dans un boîtier classique transparent, glissé dans fourreau cartonné, illustré par un visuel sobre et néanmoins percutant. Le menu principal est animé et musical.

Tout d’abord, Rimini reprend l’interview de Clélia Ventura, réalisée par Jérôme Wybon en 2012. Neuf minutes en compagnie de la fille du monstre Lino, qui nous raconte que son père « avait toujours été mortifié que le cinéma italien ne le demande pas plus ». Clélia Ventura explique que le personnage de Dalla Chiesa plaisait à Lino Ventura. Pour elle, il y a eu clairement un avant et un après L’Armée des ombres, puis encore une évolution dans le choix des rôles de son père après Cadavres exquis, suite auquel Lino Ventura ne supportait plus de tenir une arme à l’écran. Clélia Ventura en vient plus précisément à Cent jours à Palerme, notamment les conditions de tournage, l’implication de Lino Ventura, les tensions entre son père et le réalisateur (« Il ne comprenait pas bien ce que voulait Giuseppe Ferrara […] surtout que ce dernier l’a comme qui dirait trahi en le faisant doubler sans son accord, trouvant que son accent n’était pas bon »), puis la sortie du film et son accueil tiède en France. Un extrait nous dévoile un extrait de Cent jours à Palerme en version originale, avec la véritable voix de Lino Ventura en italien dans le texte.

Le bonus INDISPENSABLE de cette édition est un entretien avec Lino Ventura, enregistré en février 1985, alors que le comédien est invité à l’émission Spécial Cinéma, pour la sortie de La 7ème cible de Claude Pinoteau (30’). Alors que la télévision Suisse vient de diffuser Cent jours à Palerme, le comédien, interviewé par Christian Dafaye, revient sur les conditions de tournage du film de Giuseppe Ferrara, expliquant qu’ils n’ont subi aucune pression de la Mafia et que si cela avait été le cas tout le monde aurait fait ses valises illico presto. Il en vient à sa collaboration houleuse avec le réalisateur (« ce sont des pensées et des conceptions différentes et sa qualité de metteur en scène est selon moi un peu usurpée […] mais une fois que la machine est lancée, il faut aller jusqu’au bout […] c’est malheureux, c’est triste, c’est bête ! »). Lino Ventura aborde ensuite le tournage interrompu et inachevé de La Jonque chinoise de Claude Bernard-Aubert, projet sur lequel il s’est investi une année entière. Il évoque la mutation du cinéma depuis le début des années 1980 (« Quelque chose est en train de se passer, le public change, le cinéma italien a complètement disparu […] ceux qui connaissaient les hommes disparaissent. »), indiquant qu’il est très mauvais client de la fiction, dénonce le parisianisme des scénarios, dit que les films d’horreur le font éclater de rire et qu’un très grand film policier ne pourrait être fait que s’il est basé sur quelque chose de vrai. Lino Ventura s’exprime aussi sur Classe tous risques et Le Deuxième souffle (selon lui les deux meilleurs films policiers qui ont été faits), sur sa définition de la pudeur (« les scènes d’amour me gênent au cinéma, c’est d’une bêtise, d’une tristesse […] pour moi la plus belle scène d’amour est celle du train dans La Ballade du soldat. »), parle de l’évolution de l’être humain (« Les gens ont peur de tout, même de leurs opinions […] ils n’osent plus rien dire, par manque de courage. »), ainsi que du « Mur de la honte » séparant Berlin, où il s’est déjà rendu à plusieurs reprises. Mais l’un des grands moments de cet entretien est celui où une journaliste cite François Truffaut, qui s’exprime sur Jean Gabin, en prétendant que le comédien se mettait à la place des metteurs en scène, exigeait d’être filmé en gros plan et donnait son avis sur tout. Ce à quoi Lino Ventura rétorque « C’est ignoble, c’est faux, c’est d’une bêtise crasse ». Ce grand moment de télévision se clôt sur le rapport de l’acteur avec la politique : « Je ne suis engagé nulle part, j’ai une piètre opinion des hommes politiques, quels qu’ils soient. Ils sont sinistres et déplorables. Je ne les aime pas. ». Enfin, Lino Ventura retrouve le sourire quand on lui indique qu’il apparaît en seconde position des personnalités préférées des français, derrière l’Abbé Pierre.

Enfin, anecdotique, mais néanmoins une curiosité, le Blu-ray comporte en SD le montage italien (sous-titré en français et où Lino Ventura est doublé en italien alors qu’il a bien tourné le film dans cette langue) de Cent jours à Palerme (102’). Les grands changements interviennent notamment dans le prologue et dans l’épilogue du film. De l’autre côté des Alpes, par l’intermédiaire d’un split-screen, les exécutions du début sont plus sèches, via une voix-off. Quant à la fin, la version italienne ne se clôt pas sur les images des corps de Dalla Chiesa et de son épouse (sur lesquelles le générique défile dans le montage français), mais laisse place ici à quelques images de la Sicile, commentées par une voix solennelle qui déclare que la guerre contre la Mafia n’est pas finie. D’autres suppressions (comme la scène où Dalla Chiesa dit au revoir à ses hommes avant de partir à Palerme) sont constatées.

L’Image et le son

C’est une première en France pour le film de Giuseppe Ferrara, proposé pour la première fois en HD dans nos contrées. Malgré un grain imposant, heureusement conservé ceci dit, les scènes diurnes et nocturnes sont logées à la même enseigne et formidablement rendues avec ce master nettoyé de toutes principales défectuosités. Mis à part un prologue un poil tremblant, les contrastes retrouvent une nouvelle densité. Les nombreux points forts de cette édition demeurent la beauté des gros plans, la propreté du master (hormis quelques points blancs et griffures), les couleurs froides ravivées, les noirs profonds et le relief des scènes en extérieur jour avec des détails plus flagrants. Quelques fléchissements de la définition, mais rien de rédhibitoire.

En Blu-ray, seule la version française (où Lino Ventura se double lui-même) est disponible. Le confort est correct, avec un très léger souffle chronique, mais qui n’altère en rien la clarté des dialogues et de la musique. Signalons tout de même la médiocrité du doublage, son manque de naturel et de spontanéité. Pas de sous-titres français pour le public sourd et malentendant.

Crédits images : © Rimini Editions / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

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