BALADA TRISTE (Balada triste de trompeta) réalisé par Álex de la Iglesia, disponible en Blu-ray depuis le 22 novembre 2021 chez Extralucid Films.
Acteurs : Carlos Areces, Antonio de la Torre, Carolina Bang, Manuel Tallafé, Alejandro Tejería, Manuel Tejada, Enrique Villén, Gracia Olayo, Sancho Gracia…
Scénario : Álex de la Iglesia
Photographie : Kiko de la Rica
Musique : Roque Baños
Durée : 1h41
Année de sortie : 2010
LE FILM
En Espagne, en 1937, en pleine guerre civile, un cirque ambulant fait tout ce qu’il peut pour ne pas sombrer. Le clown Auguste est réquisitionné par l’armée républicaine et se retrouve sur le champ de bataille, en costume de scène, où, entraîné par la violence ambiante, il finit par participer lui aussi à la tuerie. Quelques années plus tard, Franco a imposé au pays son gouvernement autoritaire et dictatorial. Javier, le fils du clown soldat, se fait embaucher comme clown triste dans un cirque. Face à lui, un autre clown, Sergio, un homme déprimé et taciturne. Les deux hommes tombent amoureux de Natalia, une belle acrobate un brin cruelle…
Après un détour par la Grande-Bretagne où il aura réalisé Crimes à Oxford – The Oxford Murders, avec Elijah Wood, John Hurt et Leonor Watling nue sous son tablier, Álex de la Iglesia, qui a eu le temps de récupérer suite au déchaîné Le Crime farpait – Crimen ferpecto, revient en très grande forme (euphémisme) avec Balada triste ou pour les puristes Balada triste de trompeta en version originale. Comme s’il avait besoin d’expulser, ou pour reprendre directement ses propos, « de vomir tout un tas d’idées mal digérées », le cinéaste livre un de ses films les plus explosifs, violents, brutaux, frontaux, corrosifs, frénétiques, agressifs, et l’on pourrait continuer encore longtemps comme ça. Balada triste est assurément un sommet dans la carrière d’Álex de la Iglesia, il y a eu un avant et un après et aucun de ses opus suivants n’a vraiment retrouvé cette hargne extrême et jusqu’au-boutiste qui anime ce dixième long-métrage, son neuvième en fait, mais nous tenons compte du téléfilm La Chambre du fils – La habitación del niño tourné en 2006. S’il refuse de parler de « maturité », préférant évoquer « une plus grande expérience », l’enfant terrible du cinéma espagnol signe ici un premier film-testament, dans lequel il se livre corps et âme. D’ailleurs, pour la première fois, le metteur en scène était le seul crédité au scénario, le fidèle Jorge Guerricaechevarría ayant déclaré forfait, laissant Álex de la Iglesia, lauréat du Lion d’argent du meilleur réalisateur à Venise, porter jusqu’au bout son projet très personnel, unique, original, difficile d’accès parfois, épuisant souvent, mais on peut le dire inoubliable. Déconseillé aux coulrophobes donc.
Dans l’enceinte d’un cirque, les singes crient sauvagement dans leur cage tandis qu’à l’extérieur, les hommes s’entretuent sur la piste d’un tout autre cirque : la guerre civile espagnole. Recruté de force par l’armée républicaine, le clown Auguste (Santiago Segura, pour la cinquième fois devant la caméra d’Álex de la Iglesia) se retrouve, dans son costume de scène, au milieu d’une bataille où il finira par perpétrer un massacre à coup de machette au sein du camp national. Quelques années plus tard, sous la dictature de Franco, Javier (Carlos Areces), le fils du clown milicien, se trouve du travail en tant que clown triste dans un cirque où il va rencontrer un invraisemblable panel de personnages marginaux, comme l’homme canon, le dompteur d’éléphants, un couple en crise, dresseurs de chiens mais surtout un autre clown : un clown brutal, rongé par la haine et le désespoir, Sergio (Antonio de la Torre). Les deux clowns vont alors s’affronter sans limite pour l’amour d’une acrobate, la plus belle et la plus cruelle femme du cirque : Natalia (Carolina Bang).
Ou quand un père ne laisse qu’une consigne à son fils, un gage ultime de bonheur : la vengeance. Encore faut-il pour cela que le projet mûrisse et le moins que l’on puisse dire, c’est que des années après le décès de son père, Javier ne semble pas un mauvais bougre. Il est même très effacé, du genre à recevoir un coup de pied dans les parties et à demander à celui qui lui a donné s’il ne s’est pas foulé la cheville. Javier est devenu un clown, mais celui qui n’arbore pas le nez rouge et le sourire jovial, rôle tenu par l’immonde Sergio, dont le maquillage hilare dissimule un individu quasi-psychopathe. L’action se déroule à la fin de l’ère franquiste, en 1973, et toute la frustration, les privations, l’horreur dont ils ont été les victimes, les témoins, tout ce qu’ils ont accumulé, tous ces sentiments refoulés commencent à déborder, jusqu’à exploser littéralement. Les deux clowns, le triste et l’Auguste, vont se livrer une bataille mortelle.
Balada triste révèle un immense comédien, Carlos Areces, jusqu’alors inconnu au bataillon, du moins au cinéma, puisqu’il était déjà la vedette de quelques séries télévisées dans son pays. Álex de la Iglesia l’emmène dans une aventure subversive et enragée, le place dans de nombreuses situations difficiles, dans lesquelles l’investissement de Carlos Areces est total, surtout dans la deuxième partie du film, quand Javier se métamorphose en monstre, enfin prêt à prendre sa revanche. Son adversaire, Sergio, est quant à lui campé par le sensationnel Antonio de la Torre, l’un des plus grands acteurs espagnols contemporains, vu dans Le Jour de la bête – El dia de la bestia d’Alex de la Iglesia (avec lequel il tournera cinq films à ce jour), dans le sublime Volver de Pedro Almodovar (dans lequel il jouait le mari de Penélope Cruz), ainsi que dans les exceptionnels Amours cannibales – Canibal de Manuel Martin Cuenca, Que Dios nos perdone et El Reino de Rodrigo Sorogoyen. Il est absolument repoussant dans Balada triste, un vrai cauchemar ambulant, qui mute en véritable croquemitaine, prêt à dévorer les rêves de tout un chacun. Et au milieu, trône l’impériale, la sublimissime, la talentueuse, la super sexy, la sévèrement bustée (oui bon, j’ai le droit) Carolina Bang, dans le rôle de l’acrobate Natalia. Mi-ange, mi-démon, et donc forcément attirée par la douceur et la fragilité du masochiste Javier, tout comme de l’animosité et l’agressivité (dont elle est pourtant la première victime) du sadique Sergio, Natalia lutte contre les sentiments dictés par son coeur d’un côté et par son corps de l’autre, sans cesse tiraillée et incapable de prendre une décision, comme le reflète son constant changement d’apparence.
Comment qualifier Balada triste ? Impossible de faire entrer le film dans une case. Une comédie dramatique ? Un film d’épouvante excessif ? Une farce grotesque suintante d’humour noir et frôlant le mauvais goût ? Un long-métrage baroque ? Fantastique ? Un pamphlet politique ? Un film expérimental ? Tout cela ? Bien sûr, et même plus, comme un roller-coaster lancé à pleine vitesse, où les passagers ne seraient même pas attachés. Deux mots qui n’en forment qu’un pourraient en fait résumer Balada triste, obra maestra, ou chef d’oeuvre en français.
LE BLU-RAY
Après nos chroniques consacrées aux éditions 4K UHD de Perdita Durango et du Jour de la bête, voici celle du tout nouveau Blu-ray de Balada triste, sorti en novembre 2021 chez nos amis d’Extralucid Films. Rappelons que le film d’Álex de la Iglesia avait déjà connu une première vie dans les bacs français, en DVD et Blu-ray chez M6 Vidéo dix ans auparavant, l’édition HD étant devenue illisible en raison du tristement célèbre problème lié à une mauvaise résine, entraînant moult galettes défectueuses. Balada triste atterrit donc chez Extralucid Film, le titre arborant le numéro 8 de la collection Extra Culte, inscrit sur la tranche du mini-fourreau cartonné, magnifiquement illustré par Grégory Lê. Le menu principal est animé et musical.
Exit tous les suppléments conséquents de l’édition M6 Vidéo, autrement dit le making of, les scènes de tournage brutes, le focus sur les effets visuels et même la bande-annonce. Extralucid Films reprend tout depuis le début et comme pour Perdita Durango et Le jour de la bête, l’éditeur est allé à la rencontre d’Álex de la Iglesia, pour nous parler de Balada triste (18’). Les propos du cinéaste complètent évidemment la discussion entamée sur les deux précédents titres, notamment en ce qui concerne son processus créatif. Le réalisateur explique que selon lui « Balada triste ressemble à Perdita Durango, dans le sens où le film ne comporte aucune trame », mais part d’une idée qui l’obsède et qu’il veut alors raconter, « en plongeant la tête dedans, pas en improvisant, mais avec beaucoup de rigueur ». L’écriture du tournage (seul, Jorge Guerricaechevarria ayant pour une fois déclaré forfait sur cet opus), le tournage « épique et très très dur », les partis-pris et ses intentions, quelques souvenirs d’enfance qui ont nourri le scénario, la force des rôles féminins dans ses films, Álex de la Iglesia aborde tous ces sujets, avant de conclure en disant « Le plus important c’est de tourner et de raconter des histoires ».
Pour conclure cette salve consacrée à trois films d’Álex de la Iglesia, Extralucid Films a mis la main sur une rencontre avec ce dernier, accompagné du scénariste Jorge Guerricaechevarria, enregistrée le samedi 13 octobre 2018 à la Cinémathèque de Toulouse, avant la projection de Mirindas asesinas (le court-métrage disponible sur le combo du Jour de la bête) et Balada triste. Un moment exceptionnel, présenté dans son intégralité (1h43 !), bien sûr composé de quelques longueurs due à la traduction en français par le critique et programmateur Loïc Diaz-Ronda et animé par Frédéric Thibaut. Les deux collaborateurs et surtout amis de longue date, reviennent sur leur rencontre sur les bancs de l’école, sur ce qui a nourri leur imaginaire, leur processus d’écriture, leurs premières œuvres, la genèse de certains de leurs films et bien d’autres éléments, avant de répondre aux questions des spectateurs.
L’Image et le son
Balada triste faisait donc malheureusement partie des Blu-ray défectueux fabriqués au début des années 2010, le disque étant devenu depuis illisible sur la plupart des platines. Ce titre refait son apparition chez Extralucid Films, qui reprend tout simplement le même master édité il y a dix ans. Un Blu-ray restituant merveilleusement les partis-pris chromatiques spécifiques réalisés par le grand chef opérateur Kiko de la Rica, directeur de la photographie de l’inoubliable Lucia et le sexe de Julio Medem, ainsi que des trois films de Pablo Berger, les formidables Torremolinos, Blancanieves et Abracadabra. Les teintes sont volontairement glacées et désaturées, à la limite du N&B par moments, avec des contrastes très appuyés, des noirs abyssaux, un grain dense sur certaines scènes, des blancs intentionnellement brûlés, où les éclats de rouge, de verts et de bleus (comme les yeux de Carolina…) s’avèrent percutants. Le master est évidemment propre, stable, le cadre large fourmille de détails, le piqué est aiguisé comme la lame d’un scalpel et les effets numériques – comme sur le premier Blu-ray – se voient comme le nez au milieu de la figure.
L’éditeur a soigné le confort acoustique et livre deux mixages DTS-HD Master Audio 5.1 espagnol et français, aussi probants dans les scènes agitées que dans les séquences plus calmes, même si effectivement il n’y en a pas beaucoup puisque tous les personnages sont souvent en train de gueuler. Les pics de violence peuvent compter sur une balance impressionnante des frontales comme des latérales, avec des effets foisonnant qui environnent le spectateur de partout. A ce titre, le combat final mettra à mal votre installation ! Les ambiances annexes sont omniprésentes et dynamiques, les voix solidement exsudées par la centrale, tandis que le caisson de basses souligne efficacement chacune des séquences au moment opportun. La spatialisation musicale est luxuriante avec un net avantage pour la version originale. Si possible, évitez la version française, trop axée sur le report des voix et au doublage médiocre. Les sous-titres français ne sont pas imposés sur la version originale.