ANTOINE ET CLÉOPÂTRE (Antony and Cleopatra) réalisé par Charlton Heston, disponible en DVD et Blu-ray le 16 février 2021 chez Rimini Editions.
Acteurs : Charlton Heston, Hildegard Neil, Eric Porter, John Castle, Fernando Rey, Carmen Sevilla, Juan Luis Galiardo, Freddie Jones…
Scénario : Federico De Urrutia & Charlton Heston, d’après l’oeuvre de William Shakespeare
Photographie : Rafael Pacheco
Musique : John Scott
Durée : 2h28
Année de sortie : 1972
LE FILM
Après la mort de Jules César, Marc-Antoine hérite d’une partie de l’empire romain, dont l’Égypte. Las de la guerre, il tombe sous le charme de Cléopâtre. Mais les affaires de l’État le rappellent à Rome. Lorsque Marc-Antoine se marie avec la sœur de son rival Octave, Cléopâtre est furieuse et fait tout pour regagner son cœur.
C’est un film personnel, une œuvre qui lui tenait à coeur depuis très longtemps et qui a enfin pu voir le jour. Toute sa vie, Charlton Heston (1923-2008) a été habité par la pièce de William Shakespeare, Antoine et Cléopâtre. Le rôle de Marc Antoine est d’ailleurs l’un des plus importants de sa carrière de comédien, puisqu’il l’aura interprété à trois reprises au cinéma, dans son premier film Julius Cæsar (1950) de David Bradley, la même année que La Main qui venge – Dark City de William Dieterle, personnage qu’il interprétera à nouveau vingt ans plus tard dans Jules César – Julius Cæsar (1970) de Stuart Burge, avant de l’incarner une dernière fois dans Antoine et Cléopâtre – Antony and Cleopatra, qu’il réalisera lui-même et dont il signera l’adaptation, en respectant scrupuleusement le texte original, tout en réorganisant les séquences. Mais bien plus loin dans le temps, l’acteur, qui n’était pas encore apparu à l’écran, avait déjà triomphé à Broadway dans la pièce Antoine et Cléopâtre. Autant dire qu’au-delà des monuments qui jalonnent son immense filmographie, à l’instar de Sous le plus grand chapiteau du monde – The Greatest Show on Earth (1952) et Les Dix Commandements – The Ten Commandments (1956) de Cecil B. DeMille, La Soif du mal – Touch of Evil (1958) d’Orson Welles, Ben-Hur (1959) de William Wyler, Le Cid – El Cid (1961) d’Anthony Mann, Les 55 jours de Pékin – 55 Days at Peking (1963) d’Andrew Marton, Khartoum (1966) de Basil Dearden et La Planète des singes – Planet of the Apes (1968) de Franklin J. Schaffner, c’est bel et bien Antoine et Cléopâtre qui est toujours resté l’oeuvre la plus chérie par Charlton Heston. C’est sur le tournage de Jules César en 1970, que l’idée d’un diptyque germe dans la tête de la star hollywoodienne, dont la prestation écrasait celle de ses partenaires dans le film de Stuart Burge, même s’il apparaissait finalement peu à l’écran. En effet, Charlton Heston envisageait de reprendre le rôle de Marc Antoine dans Antoine et Cléopâtre, qu’il mettra en scène l’année suivante. Cette production américano-hispano-suisse est non seulement supérieure à Jules César, mais elle révèle aussi également une actrice étonnante, la britannique (car née à Londres, même si élevée en Afrique du sud) Hildegarde Neil, qui crève l’écran dans le rôle-titre.
Marc Antoine – l’un des triumvirs de la République romaine, avec Octave et Lepidus – a négligé ses devoirs de soldat après avoir été séduit par la reine d’Égypte, Cléopâtre. Il ignore les problèmes de Rome, y compris le fait que sa troisième épouse Fulvia s’est rebellée contre Octavius puis est décédée. Octavius rappelle Antoine à Rome pour l’aider à lutter contre Sextus Pompée, Menecrates et Menas, trois pirates notoires de la Méditerranée. À Alexandrie, Cléopâtre supplie Antoine de ne pas y aller, et bien qu’il lui affirme à plusieurs reprises son profond amour passionné, finit par partir. Les triumvirs se réunissent à Rome, où Antoine et Octave mettent fin, pour l’instant, à leurs désaccords. Le général d’Octavius, Agrippa, suggère qu’Antoine devrait épouser la sœur d’Octavius, Octavia, afin de cimenter le lien amical entre les deux hommes. Antoine accepte. Le lieutenant d’Antoine, Énobarbus, sait cependant qu’Octavia ne pourra jamais le satisfaire après Cléopâtre. En Egypte, la reine apprend le mariage d’Antoine avec Octavia et se venge furieusement du messager qui lui apporte la nouvelle. Elle ne se contente que lorsque ses courtisans lui assurent qu’Octavia est une femme quelconque. Avant la bataille, les triumvirs parlent avec Sextus Pompée, et lui offrent une trêve. Il peut conserver la Sicile et la Sardaigne, mais il doit les aider à débarrasser la mer des pirates. Après quelques hésitations, Pompée accepte. Ils se livrent à une fête sur la galère de Sextus. Menas suggère à ce dernier de tuer les trois triumvirs et de se rendre souverain de la République romaine, mais il refuse. Après qu’Antoine quitte Rome pour Athènes, Octavius et Lepidus rompent leur trêve avec Sextus et font la guerre contre lui. Énobarbus exhorte Antoine à se battre sur terre, où il a l’avantage, au lieu de par mer, où la marine d’Octave est plus légère, plus mobile et mieux équipée. Antoine décline, puisqu’Octavius l’a défié de se battre en mer. Cléopâtre promet sa flotte pour aider Antoine. Cependant, pendant la bataille d’Actium au large de la côte ouest de la Grèce, Cléopâtre s’enfuit avec ses soixante navires, et Antoine la suit, laissant ses forces en ruine. Honteux de ce qu’il a fait pour l’amour de Cléopâtre, Antoine lui reproche d’avoir fait de lui un lâche, mais met aussi cet amour profond au-dessus de tout. Finalement, il pardonne à Cléopâtre et s’engage à mener une autre bataille pour elle, cette fois sur terre.
Dans Antoine et Cléopâtre, Charlton Heston est donc très fidèle à la longue trame de William Shakespeare et se permet uniquement de mettre en scène des batailles, évoquées dans la pièce originale, afin de contenter son public qui toutes ces années l’a suivi dans ses grands spectacles épiques. Ces scènes d’affrontements sont néanmoins le seul reproche réel que l’on puisse faire à ce premier coup d’essai derrière la caméra de l’acteur, puisqu’elles s’avèrent assez platement filmées (malgré des effets sanglants inattendus), sans véritable souffle et ne profitant guère du cadre large, pourtant superbe et par ailleurs magnifiquement photographié par le chef opérateur Rafael Pacheco. Charlton Heston se révèle beaucoup plus inspiré quand il utilise le format 2.35 pour créer un espace scénique, tout en évitant de tomber dans la théâtralité toute faite, et en se sert de la grammaire cinématographique pour repenser la place des protagonistes dans le cadre, ainsi que de l’apport des gros plans sur les séquences les plus dramatiques. Et puis, n’oublions pas la partition très inspirée du compositeur John Scott.
Ainsi, l’ultime partie du film, après la défaite d’Antoine, quand ce dernier décide de tuer Cléopâtre pour l’avoir trahi, l’action se resserre sur l’intime et se concentre sur un décor unique, celui du monument où la reine d’Egypte s’est réfugiée et où elle décidera de se tuer, seul moyen selon elle de regagner l’amour d’Antoine, en prononçant son nom lors de son dernier souffle. Le spectateur retient le sien au cours de ces scènes, essentiellement portées par l’incroyable Hildegard Neil, grande actrice shakespearienne que Charlton Heston avait repérée pour sa prestation dans le rôle de Lady Macbeth dans le Macbeth monté par Ewan Hooperion au Greenwich Theatre en février 1971. Si elle deviendra un visage récurrent de la télévision anglaise et américaine, Hildegard Neil trouve probablement ici le rôle de sa vie au cinéma avec son regard bleu azur dont le léger strabisme hypnotise à la fois les personnages et les spectateurs. Sans surprise, ses scènes avec Charlton Heston sont les meilleures du film, qui se clôt sur un événement évidemment connu de tous les cinéphiles, mais qui n’en demeure pas moins bouleversant et intense.
Le reste du casting composé d’Eric Porter (Énobarbus), de John Castle (Octavius Caesar), de Fernando Rey (Lepidus), de Freddie Jones (Pompée) et bien d’autres, ont été intelligemment choisis par Charlton Heston, dont l’embrasement pour ce projet, et ce en dépit d’un budget revu à la baisse de façon drastique, imprègne le film du début à la fin. C’est entre autres cette indéniable sensibilité et cette ivresse contagieuse pour le texte, les protagonistes et le romanesque de la tragédie historique de William Shakespeare, qui font la réussite d’Antoine et Cléopâtre et l’attachement que l’on peut avoir pour cette adaptation.
LE BLU-RAY
Quasiment deux ans après l’édition en DVD et Blu-ray du Jules César de Stuart Burge, Rimini Editions nous gratifie de celle d’Antoine et Cléopâtre de Charlton Heston, également en édition Standard, ainsi qu’en Haute-Définition. Cette dernière se présente sous la forme d’un élégant boîtier classique de couleur noire, glissé dans un surétui cartonné. Comme la plupart du temps chez l’éditeur, le visuel est très soigné et flattera la rétine des cinéphiles. Le menu principal est animé sur la belle musique de John Scott.
A l’instar de ses visuels, Rimini Editions a toujours concocté des suppléments qui enrichissent les connaissances des cinéphiles curieux d’en savoir plus sur le film qu’ils viennent de (re)découvrir. C’est encore une fois le cas pour cette édition HD d’Antoine et Cléopâtre, pour laquelle l’éditeur a redemandé à Sarah Hatchuel, professeure en études cinématographiques et audiovisuelles, université Paul-Valéry, Montpellier 3, qui était déjà intervenue sur l’édition de Jules César, de nous présenter le film de Charlton Heston. Comme nous l’écrivions dans notre précédente chronique, Sarah Hatchuel est aussi pétillante que passionnante, et nous propose une intervention (enregistrée durant le confinement en novembre 2020) divisée en deux modules. Le premier est centré sur la pièce Antoine et Cléopâtre de William Shakespeare (16’), tandis que le second (disponible uniquement sur le Blu-ray) se focalise sur l’adaptation qui nous intéresse aujourd’hui (27’). L’invitée de Rimini Editions propose une fois de plus une formidable présentation et un retour détaillé sur l’oeuvre de William Shakespeare, ses sources (Plutarque, Ovide), les premières représentations, les personnages, les thèmes (une pièce fondée sur un érotisme, mais sans scènes intimes, épique, mais sans scènes de batailles, déchirante, mais avec des éléments comiques qui démystifient les personnages), les différentes adaptations au cinéma, le casting sont longuement abordés ici, sans aucun temps mort, au cours de ces deux segments. Moult informations sont également donnés sur la production du film, comme sur l’investissement de Charlton Heston, grand passionné de Shakespeare, ainsi que sur l’échec cuisant d’Antoine et Cléopâtre.
L’interactivité se clôt sur la bande-annonce.
L’Image et le son
Rien à redire sur la propreté de la copie présentée, souvent impressionnante, surtout que le film de Charlton Heston a été découpé, éclaté, resserré, bref mutilé à plusieurs reprises. Néanmoins, certaines séquences apparaissent étonnamment lisses, à tel point que les acteurs ressemblent parfois à des statues de cire. La texture argentique est malmenée, parfois plus appuyée (ou au contraire totalement absente) sur des stock-shots (provenant de La Tunique de Henry Koster, du Cléopâtre de Joseph L. Mankiewicz et même de certaines chutes de Ben-Hur de William Wyler), y compris au cours d’une même séquence. Comme si Antoine et Cléopâtre avait été raccommodé avec plusieurs sources diverses. La définition est donc aléatoire, même si ce Blu-ray nous gratifie de certains plans de toute beauté, notamment au niveau des couleurs et de la profondeur de champ. Merci au cadre large !
Jules César est disponible en version originale Dual Mono DTS-HD. Une piste qui instaure un confort acoustique plaisant avec une délivrance suffisante des dialogues, des effets annexes convaincants et surtout une solide restitution de la superbe musique de John Scott. Quelques craquements ont été constatés, ainsi que des échanges plus altérés. Les sous-titres français ne sont pas imposés.