AMOK réalisé par Fédor Ozep, disponible en Combo Blu-ray + DVD Edition limitée le 18 octobre 2023 chez Pathé.
Acteurs : Marcelle Chantal, Jean Yonnel, Valéry Inkijinoff, Jean Servais, Pierre Magnier, Hubert Daix, Madeleine Guitty, Fréhel…
Scénario : André Lang & H.R. Lenormand, d’après la nouvelle de Stefan Zweig
Photographie : Curt Courant
Musique : Karol Rathaus
Durée : 1h28
Date de sortie initiale : 1934
LE FILM
Dr. Holk mène une vie isolée dans une petite colonie hollandaise sous les tropiques. Ses compagnons sont l’alcool et son travail qui l’amène dans les villages ravagés par la fièvre, la saleté et une étrange maladie qui jette des gens paisibles et innocents dans la folie : Amok. Un jour, il reçoit la visite d’une jeune et belle femme : Hèlène Haviland.
Amok ? Forme de folie homicide observée chez les Malais ; individu qui en est atteint. C’est aussi et surtout le titre d’une nouvelle de Stefan Zweig, Amok ou le Fou de Malaisie, parue en 1922, portée cinq fois à l’écran entre 1927 et 1992. L’adaptation qui nous intéresse aujourd’hui est celle de 1934, mise en scène par Fédor Aleksandrovich Otcep alias Fédor Ozep (1895-1949). Réalisateur et scénariste russe, ce dernier quitte son pays pour l’Allemagne à la fin des années 1920, avant de se réfugier en France en 1933, où il signe plusieurs longs-métrages, parmi lesquels La Dame de pique avec Pierre Blanchar, Gibraltar avec Viviane Romance et donc le fameux Amok, illuminé par le regard hypnotique de la cantatrice et comédienne Marcelle Chantal. Il n’est pas étonnant qu’elle rende les hommes fous d’elle dans Amok, où elle interprète une femme du monde, dont l’époux est absent depuis un an, demeurant chez elle avec leur petite fille, entretenant une relation avec un homme plus jeune, dont elle est secrètement enceinte. Elle va alors se renseigner auprès du docteur Holk sur un éventuel avort…non, le mot n’est jamais dit dans le film. Cependant, celui-ci s’éprend à son tour de cette madame Haviland, dont il tombe instantanément amoureux. Là-dessus, Hélène apprend que son mari est sur le point de rentrer à la maison…Sur un scénario d’André Lang (Les Misérables et Les Croix de bois de Raymond Bernard) et du dramaturge (et critique) Henri-René Lenormand, Fédor Ozep s’empare de l’oeuvre de Stefan Zweig et livre un film exceptionnel sur l’amour fou, toujours aussi spectaculaire sur le plan technique (la scène d’ouverture en plan-séquence est même dingue, mettant en valeur – via un travelling ahurissant – les décors de la jungle créés par Alexandre Trauner) et furieusement romanesque.
Dans une petite colonie néerlandaise, au cœur de la jungle malaise, le docteur Holk, grâce à son travail et à beaucoup d’alcool, arrive à survivre malgré le climat, la pestilence des marais, la solitude par l’absence de compatriotes, la folie meurtrière qui frappe parfois certains naturels. Il reçoit la visite d’une riche femme du monde, Hélène de Haviland qui, enceinte de son jeune amant, Jan, veut avorter avant le retour de son mari parti plusieurs mois au-delà des mers. Le docteur refuse mais atteint de folie amoureuse, amok, subjugué par la beauté hautaine de cette femme il déclare qu’il est prêt à pratiquer l’intervention si elle se donne à lui. Elle ne l’écoute pas davantage et dans sa limousine décapotable conduite par Maté elle retourne dans sa luxueuse demeure où elle va retrouver Jan pour lui annoncer qu’elle veut rompre. Décidée de ne pas mener à terme sa grossesse, elle se rend dans un bouge où elle rencontre un praticien chinois qui se charge de l’affaire.
Avant de s’installer aux États-Unis à l’arrivée de la Seconde Guerre mondiale, Fédor Ozep, nourri de plusieurs influences, apporte au cinéma français un expressionnisme notable via la photographie de Curt Courant, l’un des chefs opérateurs du somptueux La Femme sur la Lune – Frau Im Mond (1929) de Fritz Lang, qui la même année qu’Amok travaillera également avec Alfred Hitchcock sur la première version de L’Homme qui en savait trop – The Man Who Knew Too Much, avant d’enchaîner avec La Bête humaine de Jean Renoir et Le Jour se lève de Marcel Carné. Autant dire qu’il est l’un des atouts majeurs d’Amok, créant ainsi un climat étonnant et rare dans la production hexagonale du moment, tout en reflétant à travers ses partis-pris la folie qui étrangle le docteur Hock. L’acteur Jean Yonnel (Marianne de ma jeunesse de Jean Delannoy, Un Drôle de paroissien de Jean-Pierre Mocky), Sociétaire de la Comédie-Française, dont le charisme s’apparente à un croisement entre Rufus et Peter Cushing, rend très bien le trouble qui envahit son personnage, même si certains tics d’interprétation ont forcément vieilli, tout comme cette emphase récurrente des dialogues, qui demeurent pourtant toujours aussi percutants.
Les plus cinéphiles reconnaîtront le jeune Jean Servais (Au service du diable, L’Homme de Rio, Chasse à la mafia, La Roue), alors au début de sa carrière au cinéma, ici dans le rôle de Jan, l’amant d’Hélène. Amok n’échappe pas à une certaine théâtralité dans le face-à-face qui oppose Holk et Hélène, mais le côté oppressant se fait sans cesse ressentir, ainsi que la fièvre qui brûle l’âme du toubib, désormais fermement résolu à sauvegarder l’honneur de cette femme. Quitte à donner sa vie pour cela. Et c’est magnifique.
LE BLU-RAY
C’est un monument qui rejoint le désormais gigantesque catalogue Pathé. Amok intègre donc l’anthologie Pathé Présente, en Édition Limitée Blu-ray + DVD, Digipack, limitée à 3000 exemplaires avec fourreau. Le menu principal est animé et musical.
L’interactivité se divise en trois modules, créés par Cécile Dubost, Fédor Ozep, cinéaste nomade (8’), Amok, un film aux accents slaves (23’) et Amok, un film féminin (15’30), dans lesquels se joint également Pierre Murat, critique de cinéma. Différentes approches sont présentées avec des arguments à la pelle, des photos de tournage diverses. Le portrait du réalisateur russe est aussi dressé, son parcours détaillé, la psychologie des personnages est passée au peigne fin, les thèmes récurrents de Fédor Ozep exposés, l’adaptation de la nouvelle de Stefan Zweig analysée, les décors mis en relief, le casting disséqué. L’ensemble est parfois ralenti par de trop nombreux extraits d’Amok, mais l’ensemble demeure passionnant.
L’Image et le son
La restauration 4K d’Amok a été confiée aux bons soins du laboratoire L’Image Retrouvée, Paris-Bologne, à partir des négatifs originaux nitrates. Ces derniers présentaient des manques importants et des parties inexploitables qui ont été comblés par un marron standard de 1ère génération. A l’instar de ses précédentes sorties en Haute Définition, ce Blu-ray Pathé en met souvent plein les yeux dès le générique d’ouverture avec une définition qui laisse pantois. Ce nouveau master HD au format 1080p/AVC ne cherche jamais à atténuer les partis pris esthétiques originaux. L’aspect flouté et ouaté de certains plans résulte des choix des prises de vues et de l’utilisation de filtres. La copie se révèle étincelante, avec un piqué cependant aléatoire (plus ciselé sur les scènes en extérieur), des noirs denses, des blancs lumineux, de détails acérés et de relief. La propreté est sidérante, la stabilité est de mise, le grain d’origine a heureusement été conservé. Les fondus enchaînés spécifiques sont vraiment les seuls moments où l’ensemble chancelle quelque peu, mais cela ne dure que quelques secondes. C’est fluide et réellement plaisant. Il serait difficile de faire mieux sans que cela dénature les volontés artistiques. Cette édition HD ressuscite l’oeuvre de Fédor Ozep.
La bande-son a également été restaurée à partir des meilleurs éléments disponibles. La piste DTS-HD Master Audio Mono trouve un équilibre convenable. Certains dialogues demeurent sensiblement étouffés, chuintants. Un léger souffle se fait entendre, l’ensemble manque parfois d’ardeur et de clarté, mais le confort acoustique est suffisant. L’éditeur joint une piste Audiovision, ainsi que les sous-titres anglais et français pour les spectateurs sourds et malentendants.
Crédits images : © Pathé / Captures du Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr