À COUPS DE CROSSE réalisé par Vicente Aranda, disponible en Blu-ray depuis décembre 2022 chez Le Chat qui fume.
Acteurs : Fanny Cottençon, Bruno Cremer, Francisco Algora, Berta Cabré, Ian Sera, Paca Gabaldón, Eduardo MacGregor, Joaquim Cardona…
Scénario : Vicente Aranda, d’après le roman Prótesis d’Andreu Martín
Photographie : Juan Amorós
Musique : Manel Camp
Durée : 1h31
Date de sortie initiale : 1984
LE FILM
L’inspecteur Andrés Gallego noue une relation passionnée avec Fanny, une prostituée délinquante qu’il a récemment arrêté à Barcelone. Il espère ainsi pouvoir approcher Manuel, l’amant de la jeune femme, et obtenir quelques informations concernant ses activités douteuses, notamment son stock important d’armes à feu. Après avoir finalement décidé d’abattre l’homme, Fanny retrouve Andrés quelques années plus tard avec la ferme intention de venger la mort de Manuel…
L’affiche montrant le colosse Bruno Cremer, un léger sourire aux lèvres, agrippant par le col la diaphane Fanny Cottençon, en petite culotte et le flingue à la main donne sérieusement envie. Même si l’on ne sait rien du film, À coups de crosse n’est assurément pas une comédie et une vilenie se dégage instantanément de ce visuel alléchant. En effet, nous sommes ici en plein polar psychologique, réalisé par un certain Vicente Aranda (1926-2015). Ce dernier n’est pas inconnu des amateurs de cinéma d’exploitation, puisque c’est à lui que l’on doit l’immense classique de l’âge d’or du cinéma d’épouvante espagnol, La Mariée sanglante – La Novia ensangrentada, un opus érotique, gore, fantastique, cruel, mystérieux, qui aujourd’hui encore n’a rien perdu de sa force hypnotique. Avec À coups de crosse, nous sommes loin de ce chef-d’oeuvre et film emblématique du genre ibérique doublé d’une parabole sur la libération sexuelle, même si le thriller qui nous intéresse est tout aussi bien photographié, mis en scène et interprété, parcouru également par un féminisme appuyé. À coups de crosse dresse le portrait d’une jeune femme dont on ne saura pas grand-chose, à fleur de peau, animée par une violence intrinsèque, qui va devoir se confronter à un monstre tout aussi atteint qu’elle, autoritaire et brutal, qui va l’entraîner sur un terrain qu’on imagine inexploré. Une perversité traverse le film de bout en bout. Volontiers troublant, mais toujours inscrit dans un contexte social et mental réaliste, À coups de crosse, adaptation d’un roman d’Andreu Martín (Prothèse – Pròtesis) se focalise sur la part sombre et les démons qui sommeillent en chaque individu, peut-être le thème récurrent de l’oeuvre de Vicente Aranda. S’il n’est pas totalement dénué de défauts, le résultat est néanmoins particulièrement éprouvant.
Fanny, 25 ans, a des attaches dans le « milieu ». André, 40 ans, est inspecteur de la P.J. Fanny est la maîtresse d’André parce qu’il lui plaît et qu’il la tient en la faisant chanter. Au cours d’une filature, André tue un ami de Fanny qui, dès lors, refuse de continuer leur liaison. Pour se venger, André lui casse les dents « à coups de crosse ». Après le meurtre, André est expulsé de la police. Trois ans ont passé. André est devenu convoyeur de fonds. Ayant retrouvé sa trace, pour se venger, Fanny, avec des complicités, organise un hold-up. C’est un succès. Fanny et André sont face à face.
Si comme l’auteur de ces mots, vous étiez tombés amoureux de Fanny Cottençon dans À gauche en sortant de l’ascenseur d’Édouard Molinaro, dans lequel son merveilleux sourire faisait craquer Pierre Richard, vous risquez d’être décontenancés, car nous ne l’avions jamais vu comme dans À coups de crosse. Visage fermé, yeux perçants soulignés de khôl, moue grimaçante (la comédienne en fait même un peu trop), rude, sauvage, Fanny Pelopaja (qui au passage est le titre espagnol du film) semble traverser l’existence en étant pressée de vivre, se retournant souvent comme si elle était suivie ou un passé lourd pesait encore sur son destin. Nous ne saurons rien sur ses origines, nous la prenons brute de décoffrage, même si le récit sera en réalité un flashback et le générique dévoilera d’emblée le dénouement. L’important n’est pas la destination, mais le voyage disait Robert Louis Stevenson, mais en l’occurrence celui de Fanny ne sera absolument pas des plus faciles et chaleureux. Tout va basculer quand Andrés, policier de son état, marié et père de deux enfants, va s’immiscer dans son quotidien. Les deux individus vont alors entretenir une relation sadomasochiste, puis Andrés utilisera Fanny pour piéger un trafiquant d’armes, Julian, qui n’est autre que l’amant de Fanny. Par jalousie ou par intérêt, peut-être les deux, Andrés flingue froidement Julian…aussi impassiblement, Fanny, qui a donc une dent, même plusieurs (ayant eu le râtelier massacré à coups de crosse par Andrés dans un accès de rage) contre l’assassin de celui qu’elle aimait, prépare sa vengeance.
En dépit d’un rythme en dents de scie, d’une mauvaise postsynchronisation et d’une absence quasi-totale d’empathie pour les personnages, À coups de crosse interpelle par son décor « exotique », le film se déroulant à Barcelone, mais aussi par sa noirceur crépusculaire, encore plus marquée sur le montage espagnol. Bruno Cremer n’avait pas son pareil pour rendre ses personnages inquiétants et nombreux sont les « ogres » psychotiques qu’il aura incarnés durant sa carrière. Si l’on peut penser à l’Épervier dans L’Alpagueur, Andrés Gattino est plus toxique, maléfique, malsain, nuisible, sinistre et perfide, une vraie bombe à retardement. Tel un croquemitaine, ce flic corrompu fait vivre un enfer à sa famille, qu’il humilie systématiquement. Sa rencontre avec Fanny va tout bouleverser.
À coups de crosse est un film complexe, qui ne cherche sûrement pas à caresser le spectateur dans le sens du poil et qui ne craint pas de le mettre mal à l’aise, doublé aussi d’un film de casse original, ou comment s’emparer directement d’un fourgon blindé. On ressort usé par ce venin instillé durant 1h30, jusqu’à l’emballement d’une fureur incontrôlable dans la dernière partie. Âmes (et oreilles, en raison de dialogues très « fleuris ») sensibles s’abstenir.
LE BLU-RAY
Il existait un DVD d’À coups de crosse, sorti en 2010 chez LCJ Editions. Mais ça c’était avant. Le Chat qui fume sort à nouveau les griffes et dégaine une édition HD pour le film de Vicente Aranda. Le disque repose dans un Digipack à trois volets, glissé dans un fourreau cartonné liseré bleu, au visuel percutant. Le menu principal est animé et musical. Version intégrale. Édition limitée à 1000 exemplaires.
Que bonheur d’écouter la belle Fanny Cottençon nous parler d’À coups de crosse ! (13’). Cet entretien est sans doute un peu court, mais c’est déjà ça de pris. La comédienne revient tout d’abord sur son parcours, de ses débuts au théâtre et devant la caméra, tout en évoquant ses premiers rôles marquants dans L’Étoile du Nord de Pierre Granier-Deferre, Tête à claques de Francis Perrin, Femmes de personne de Christopher Frank et Golden Eighties de Chantal Akerman. Elle aborde tout naturellement À coups de crosse dans un second temps. Son admiration (et même son amour) pour Bruno Cremer, les intentions (« ce n’est pas qu’un polar, c’est aussi une histoire d’amour ») et les partis-pris (« un vrai film de genre ») du réalisateur Vicente Aranda, la psychologie des personnages (ou son absence plutôt en ce qui concerne « la monomaniaque » Fanny) et les conditions (joyeuses) de tournage sont les sujets passés au peigne fin au cours de cette interview.
L’éditeur propose enfin le montage espagnol d’À coups de crosse (1h41). Les scènes coupées (ou alternatives) pour l’exploitation française sont réintégrées et présentées en version espagnole sous-titrée. Les rajouts sont peu nombreux, mais percutants. Alors que dans le film que nous connaissons, Fanny accroche un flingue sur sa cuisse à l’aide d’un ruban adhésif, elle l’enduit ici de vaseline pour se l’enfoncer directement dans…vous voyez non ? Nous assistons aussi à la préparation du fixe de Julian, ainsi qu’à l’injection de la dope dans ses veines, le tout filmé en gros plan. Plus tard, Andrés est montré un peu plus dans son quotidien avec sa famille, notamment quand il rentre chez lui, s’en prend aux siens verbalement, puis se met à la recherche de l’adresse où est hébergée Fanny, avant de débarquer chez ceux qui lui ont offert leur toit…Andrés débarque alors et la séquence qui s’ensuit, celle du gun enfoncé dans les parties intimes de l’amie de Fanny, est beaucoup plus brutale, explicite et sanglante.
L’Image et le son
Si les contrastes affichent une densité impressionnante (les noirs apparaissent un peu bouchés ceci dit), le piqué n’est pas aussi ciselé sur les scènes sombres et certaines séquences apparaissent un peu douces avec des visages légèrement cireux. En dehors de cela, la profondeur de champ demeure fort appréciable, les détails se renforcent et abondent en extérieur jour, le cadre est idéalement exploité, la propreté est irréprochable, la copie stable et la colorimétrie froide (bleus et verts électriques) est très bien rendue. La définition est solide, l’ensemble reste la plupart du temps probant et restitue avec classe les partis pris de la photographie signée Juan Amorós (Entre les jambes), y compris le beau grain argentique, toujours flatteur pour les mirettes, bien que parfois très rugueux. Un transfert immaculé.
Le mixage français DTS-HD Master Audio Mono 2.0 instaure un confort acoustique suffisant. Ceci étant, tous les dialogues ont vraisemblablement été repris en postsynchronisation et manquent d’ardeur, de clarté, ainsi que de naturel. La propreté est éloquente, les effets concrets et les silences denses, sans aucun souffle. La composition de Manuel Camp dispose d’un très bel écrin. Dommage de ne pas disposer de la version espagnole, qui comme nous l’avons constaté paraît plus percutante. Absence de sous-titres français destinés au public sourd et malentendant.