
36 FILLETTE réalisé par Catherine Breillat, disponible en Blu-ray chez Le Chat qui fume.
Acteurs : Delphine Zentout, Étienne Chicot, Olivier Parnière, Jean-Pierre Léaud, Berta Domínguez D., Jean-François Stévenin, Diane Bellego…
Scénario : Catherine Breillat & Roher Salloch, d’après le roman de Catherine Breillat
Photographie : Laurent Dailland
Musique : Maxime Schmitt
Durée : 1h28
Date de sortie initiale : 1988
LE FILM
Lili, quatorze ans, passe ses vacances dans un camping avec ses parents et son frère. Un soir, elle rencontre Maurice, personnage cynique de quarante ans qui cherche à la séduire. Une relation ambiguë s’installe alors.

À cause de la faillite de son producteur, le premier long-métrage de Catherine Breillat, Une vraie jeune fille, tourné en 1975, ne pourra être distribué que près d’un quart de siècle plus tard. En 1979, sort sur les écrans Tapage nocturne, ou l’histoire d’une femme, mariée et mère d’une petite fille, qui recherche constamment l’amour fou et va d’aventure en aventure au rythme de deux ou trois rendez-vous par soirée, jusqu’au jour où elle tombe amoureuse jusqu’à la passion. On reconnaît bien là les thèmes, les obsessions de la réalisatrice. 180.000 spectateurs auront la curiosité d’aller voir ce second film. Après cela, Catherine Breillat officiera exclusivement comme scénariste, pour Lilaiana Cavani (La Peau), Marco Bellocchio (Les Yeux, la bouche), Maurice Pialat (Police), et ne fera son retour derrière la caméra qu’en 1988 avec 36 fillette. Rétrospectivement, ce dernier est assurément l’un des meilleurs opus de la cinéaste, qui se place dans la droite lignée d’Une vraie jeune fille, avec lequel 36 fillette partage de nombreux motifs, tout en prolongeant certains questionnements, notamment cette dichotomie entre le corps et l’esprit. Remarquablement interprété par Delphine Zentout et Étienne Chicot, 36 fillette n’est évidemment pas à mettre devant tous les yeux, mais s’avère un fascinant objet de cinéma pour les autres, doublé d’un passionnant sujet de réflexion.


Elle dit « je » tout le temps. Elle se parle à la première personne, elle regarde, elle soliloque, elle déteste tout et tout le monde, sauf les boîtes de nuit. Seulement quand on n’a que treize ans, faut demander la permission. 36 Fillette, c’est la taille de ses jambes, de ses épaules et de son corps, mais la poitrine c’est plutôt 90, et ça, elle aime pas. Elle s’habille que c’est un provocation ambulante. Et lui, qu’il ait trente, quarante ans c’est pareil, c’est tout de même qu’une saleté d’adulte. D’ailleurs elle a toujours raison, elle n’est responsable de rien. Qu’il se brûle, qu’il la promène, la caresse, l’emmène à l’hôtel, qu’il lui fasse tout, puisque c’est un homme, mais surtout pas jusqu’au bout. Ce serait un viol n’est-ce pas ? Ce serait pas sa faute à elle. Personne ne la comprend. Et puisque c’est comme ça, ils vont bien voir, eux tous !


Biarritz, où la violence des vagues semble influer sur celle des sentiments et des pulsions. Catherine Breillat y plante l’histoire de 36 fillette, évoque la légende la Chambre d’amour, romantique à souhait, tout en y montrant un couple forcément mal assorti, la (très) jeune femme masturbant un homme de près de trois fois son âge. Puis, elle rentre se coucher au camping auprès de ses parents et de son frangin, avec lesquels elle n’arrête pas de se prendre la tête. Nous sommes à la fin des années 1980, C’est comme ça des Rita Mitsouko explose dans les boîtes de nuit d’Anglet jusqu’à Bayonne, les vacances d’été passent mollement. Lili est à l’âge où les adolescents traversent une période tumultueuse, tout en étant systématiquement en désaccord avec ses géniteurs et son frangin. Une nuit, elle croise le chemin de Maurice, un homme au début de la quarantaine. Celui-ci initie Lili à l’univers des discothèques, puis l’invite à l’Hôtel du Palais où il a ses habitudes. Entre eux, une liaison complexe se tisse, fondée sur l’attrait et le rejet, le corps disant oui, mais la tête se refusant à cette liaison. Maurice devient impatient, mais prudent, tandis que Lili, vierge, s’effondre petit à petit face à cette scission qui la tiraille de plus en plus. Jusqu’où ira ce petit jeu, qui risque de traumatiser Lili à tout jamais, alors que Maurice n’y verra qu’un énième désir satisfait de plus ?


Catherine Breillat s’inspire là encore d’un de ses romans, édité en 1987. Elle bénéficie d’une distribution de choix avec l’impressionnant Étienne Chicot, qui sortait de Désordre d’Olivier Assayas et de Kamikaze de Didier Grousset, et campe ici un personnage monstrueux, mais comme toujours chez la cinéaste, à visage humain, pathétique donc, auquel le comédien apporte un background, une certaine fragilité, une fatigue, un ras-le-bol. Catherine Breillat ne justifie pas ses actes, mais la réalisatrice de dresser le portrait d’un être humain, dans toutes ses contradictions, ses combats permanents, luttant continuellement contre ses démons. Il en est évidemment de même pour Lili, même si les « arguments » ne sont pas les mêmes.


Merveilleusement et puissamment incarnée par Delphine Zentout, 16 ans au moment du tournage, Lili est comme celles de son âge, complètement paumée, en lutte contre tout et avant tout contre elle-même. Chamboulée chaque seconde par ses sentiments, par ce que lui dicte son corps, mais immédiatement rappelée à l’ordre par son cerveau (« d’accord il faut bien un premier, mais faut pas déconner » semble lui dicter sa conscience), Lili est tiraillée, écartelée, sur le point de craquer, se retient, pleure, évacue, parle mal et étrangement, ses « mots » ne paraissent jamais vulgaires. Si elle fera essentiellement sa carrière à la télévision, en particulier dans les séries TF1, Delphine Zentout explose l’écran pour sa première apparition dans 36 fillette.


Catherine Breillat regarde ses personnages avec un œil clinique, mais 36 fillette n’est pas un film froid. Le feu qui embrase Lili et Maurice est toujours présent, la photographie du talentueux Laurent Dailland (Didier, Ténor, Aline, Astérix & Obélix : Mission Cléopâtre) est l’une des plus belles du cinéma de Catherine Breillat et enveloppe les protagonistes dans un drap noir qui calfeutre ce qui se déroule durant les nuits biarrotes, tandis que résonne un jazz de Miles Davis. Tout cela est bien complexe, libre d’interprétation, intellectuel sûrement (l’aparté avec Jean-Pierre Léaud est sans doute le plus obscur), mais jamais pédant, incitant à la réflexion sur un sujet qui fâche et qui mérite toute l’attention du spectateur.


LE BLU-RAY
Le Chat qui fume continue son exploration du cinéma de Catherine Breillat et ce pour notre plus grand plaisir. Ainsi, après Une vraie jeune fille et Anatomie de l’enfer, que nous avons chroniqué, l’éditeur présente Sex is Comedy et 36 fillette en Haute-Définition et annonce également À ma sœur !, Abus de faiblesse, Une vieille maîtresse et Romance dans un proche avenir, en version restaurée. 36 fillette se présente sous la forme d’un boîtier Scanavo. Mention spéciale à la jaquette, très élégante, qui distingue ce titre des opus habituels du Chat qui fume. Un cachet « auteur » dirons-nous. Le menu principal est animé et musical. Première mondiale en Blu-ray.

Stéphane Bouyer est allé à la rencontre de Catherine Breillat, qui nous parle ici de 36 fillette (40’). Un entretien passionnant, qui revient longuement sur la genèse de ce troisième long-métrage comme réalisatrice de Catherine Breillat, qui parle aussi de ses comédiens (« Étienne Chicot était très macho, on se détestait »), des conditions de tournage, des thèmes du film et de son excellent accueil aux États-Unis, notamment au Festival de New York.

L’éditeur reprend aussi le making of d’époque (7’), déjà vu sur le DVD sorti en 2007 aux Éditions Montparnasse. C’est ici l’occasion de voir Catherine Breillat à l’oeuvre avec ses comédiens, qu’elle maquille d’ailleurs elle-même, et qu’elle n’épargne pas en déclarant « qu’il faut bien que les acteurs soient bousculés et payent de leur personne, car ils sont déjà bien payés pour faire ça ! Ce n’est pas courtois un film ! ». Ce à quoi la réalisatrice mesure quelque peu ses propos sur Étienne Chicot (elle sera plus franche après la sortie du film quant à leur mésentente), Delphine Zentout apparaît aussi et dit qu’elle a vraiment envie de faire du cinéma, tandis qu’Étienne Chicot déclare de son côté que « si ça avait été un mec derrière la caméra, ça se serait vraiment très mal passé et je lui aurai mis un pain dans la tronche » pour évoquer les prises de vue. Des images de plateau viennent également enrichir ce module.







L’éditeur propose également un formidable livret de 12 pages, comprenant une analyse très intéressante du film, réalisée par Murielle Joudet, critique de cinéma et auteure en 2023 d’une biographie sur Catherine Breillat.
L’Image et le son
Restauration 4K réalisée à partir des éléments originaux. La copie affiche une propreté digne de ce nom, impressionnante, indéniable, une clarté des séquences diurnes fort plaisante, un piqué mordant à plusieurs reprises et un grain cinéma respecté sans aucun lissage excessif. La stabilité est de mise, le confort de visionnage est total, les contrastes sont de bonne tenue. Les plans sombres ou nocturnes tirent systématiquement profit de cette élévation HD.

La piste DTS HD Master Audio Mono 2.0 est de fort bon acabit et délivre les dialogues avec fluidité et vivacité. Le timbre grave d’Étienne Chicot s’impose sans mal, la musique est excellemment restituée et les effets annexes précis. En revanche, pas de sous-titres français destinés au public sourd et malentendant.


Crédits images : © Le Chat qui fume / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr