LA FILLE DU DIABLE réalisé par Henri Decoin, disponible en Édition Collector Blu-ray + DVD le 30 mars 2022 chez Pathé.
Acteurs : Pierre Fresnay, Fernand Ledoux, Thérèse Dorny, Andrée Clément, Pierre Juvenet, Robert Seller, Paul Frankeur, Nicolas Amato, André Wasley…
Scénario : Alex Joffé, Henri Decoin & Marc-Gilbert Sauvajon
Photographie : Armand Thirard
Musique : Henri Dutilleux
Durée : 1h39
Année de sortie : 1946
LE FILM
Célèbre criminel en fuite, Saget est pris en voiture par Ludovic Mercier, un homme qui revient dans son village natal après 25 ans d’exil fructueux aux Etats-Unis. Mais Mercier est ivre et le véhicule dérape. Si l’automobiliste meurt dans l’accident, Saget survit et décide d’usurper l’identité du mort. Accueilli en fanfare par tous les villageois, il trompe ses compatriotes à l’exception de la mystérieuse Isabelle, surnommée « Fille du Diable »…
Les films d’Henri Decoin (1890-1969) se suivaient et ne se ressemblaient pas. Cet éclectisme a longtemps été sa force et sa faiblesse, puisque la critique, bien plus que les cinéphiles, ne savait pas comment « cataloguer » ce réalisateur, qui aura signé une cinquantaine de longs-métrages en un peu plus de trente ans, en terminant sa carrière en 1964 sur Nick Carter va tout casser! avec Eddie Constantine. Nous avons déjà parlé de la filmographie riche, précieuse, impressionnante, attachante, élégante et sans fin d’Henri Decoin, à travers nos chroniques d’Au grand balcon, Les Amoureux sont seuls au monde, Non coupable, Charmants garçons, le metteur en scène connaissant depuis quelques années, à l’instar de Gilles Grangier, une nouvelle reconnaissance de la part de la critique qui lui avait souvent échappé, grâce à la restauration des films mentionnés précédemment, auxquels nous pouvons ajouter Maléfices (1962) avec Juliette Gréco, Le Masque de fer (1962) avec un Jean Marais truculent, Pourquoi viens-tu si tard… (1959) avec Michèle Morgan, L’Affaire des poisons (1955) avec Danielle Darrieux (alors son épouse), Razzia sur la chnouf (1955) avec Jean Gabin et Lino Ventura, Les Inconnus dans la maison (1941) avec Raimu…et là le passionné de cinéma de se dire « Ah mais c’est de lui aussi ça ? ». C’est dire si l’on redécouvre sans cesse l’oeuvre d’Henri Decoin, où l’on déniche de véritables trésors, à l’instar de La Fille du diable, également connu sous le titre La Vie d’un autre, qui sort sur les écrans le 17 avril 1946. Précipitez-vous sur ce drame teinté de thriller, dans lequel s’opposent les immenses Pierre Fresnay et Fernand Ledoux.
CHARMANTS GARÇONS réalisé par Henri Decoin, disponible en édition Digibook – Blu-ray + DVD + Livret le 18 mars 2022 chez Coin de Mire Cinéma.
Acteurs : Zizi Jeanmaire, Daniel Gelin, Henri Vidal, François Perier, Gert Fröbe, Yves Barsacq, Marie Daems, Renaud Mary, Jacques Berthier, Gil Vidal, Jacques Dacqmine, Jean-Pierre Marielle, Madeleine Lambert…
Scénario : Dominique Fabre, Étienne Périer & Charles Spaak
Photographie : Pierre Montazel
Musique : Georges Van Parys
Durée : 1h47
Date de sortie initiale : 1957
LE FILM
Lulu, chanteuse et danseuse dans un grand cabaret parisien, a de nombreux admirateurs… mais ses aventures amoureuses la déçoivent. Ainsi, Robert, le jeune industriel et homme marié, Edmond, le financier d’âge mûr persuadé que son argent lui donne un sex-appeal infaillible, Jo, le boxeur qui préfère le sport à la tendresse, Alain, le gentleman cambrioleur qui reste malhonnête même en amour, et Charles, l’impresario à tendance misogyne. Tous de charmants garçons avec de vilains défauts ! Lulu se demande si l’homme idéal existe… Quand un soir, un inconnu sort du lot…
Pour les jeunes spectateurs, le nom de Zizi Jeanmaire (1924-2020) ne leur dira probablement rien, et même sans doute à certains trentenaires ou quadra. Pourtant, elle fut l’une de nos plus grandes et de nos plus belles danseuses de ballet. Également chanteuse et meneuse de revue, ancien petit rat de l’École de danse de l’Opéra de Paris, l’artiste, de son vrai nom Renée Marcelle Jeanmaire, a bien sûr été appelée par le cinéma et ce dès 1952, année où elle tourne son premier long-métrage, Hans Christian Andersen et la Danseuse, sous la direction de Charles Vidor, interprété par Danny Kaye et surtout produit par Howard Hugues, à l’affût pour repérer les donzelles qui affolent le public. Son complice (qui sera son compagnon de toujours) Roland Petit se charge des chorégraphies. Elle donne ensuite la réplique à Bing Crosby et Donald O’Connor dans Quadrille d’amour – Anything Goes (1956) de Robert Lewis. De retour en France, Zizi Jeanmaire et Roland Petit se marient, ont une fille, puis s’inspirent de leur expérience américaine pour leurs nouveaux shows parisiens. Elle revient devant la caméra pour Folies-Bergère, mis en scène par Henri Decoin, dans lequel elle a pour partenaire le très populaire Eddie Constantine. Résultat des courses, le film est un immense succès dans les salles avec 3,5 millions d’entrées, se classant à la dixième place du box-office en 1957. Lé star du music-hall, future interprète de Mon truc en plumes remet le couvert dès l’année suivante avec le même réalisateur, pour Charmants garçons, qui est plus ou moins envisagé comme un pendant féminin de la comédie Adorables créatures de Christian-Jaque, sortie cinq ans auparavant. S’il ne s’agit pas d’une suite, d’ailleurs Daniel Gélin, présent dans les deux films, joue deux personnages différents, Charmants garçon, écrit par le même Charles Spaak, fait un petit clin d’oeil à Adorables créatures dans la dernière scène, en convoquant un personnage du nom d’André Noblet, héros du film de Christian-Jaque. S’il aura moins d’engouement que Folies-Bergère en attirant deux fois moins de français au cinéma, Charmants garçons n’en demeure pas moins une belle réussite, dans laquelle le visage mutin mis en valeur par sa légendaire coupe à la garçonne et la gouaille de Zizi Jeanmaire fonctionnent parfaitement, rappelant souvent le jeu et le charisme d’Annie Girardot ou d’Arletty, tandis que ses partenaires masculins, Daniel Gélin, Henri Vidal, François Périer et Gert Froebe, ainsi qu’un jeune débutant du nom de Jean-Pierre Marielle, se disputent ses faveurs, dans une comédie menée à cent à l’heure et dont le charme perdure encore.
NON COUPABLE réalisé par Henri Decoin, disponible en Édition Digibook Blu-ray + DVD + Livret le 22 mai 2019 chez Coin de mire Cinéma
Acteurs : Michel Simon, Jany Holt, Jean Debucourt, Jean Wall, Georges Brehat, François Joux, Robert Dalban, Charles Vissières, Henri Charrett, Pierre Juvenet, Ariane Murator, Christian Delacroix, Emile Chopitel, Max Trejean…
Scénario : Marc-Gilbert Sauvajon
Photographie : Jacques Lemare
Musique : Marcel Stern
Durée : 1h42
Date de sortie initiale : 1947
LE FILM
Installé dans une petite ville de province française, le Docteur Ancelin est un médecin raté et alcoolique. Pourtant, il sent en lui une certaine supériorité… Un soir, un stupide accident d’automobile la lui révèlera, Il sait maintenant en quoi il est plus fort que tous les autres : il porte en lui le génie de tuer. Il y résistera mais les événements et son orgueil seront plus forts que lui…
Grand sportif, il a notamment été champion de France de natation, ancien officier de cavalerie et d’aviation pendant la Première Guerre mondiale, chef d’escadrille, Henri Decoin (1890-1969) se reconvertit ensuite dans l’écriture et devient journaliste. Puis, il se tourne vers le théâtre et tout naturellement vers le cinéma, en devenant assistant-réalisateur à la fin des années 1920. Il passe ensuite derrière la caméra en 1933 pour son premier long métrage, Toboggan. Il rencontre Danielle Darrieux, qu’il épouse et qu’il suit à Hollywood à la fin des années 1930. Cette expérience lui permet d’assimiler les méthodes américaines. A son retour en France, Henri Decoin s’évertuera à appliquer ses acquis dans son propre travail, en variant les genres, passant du polar (Razzia sur la Chnouf) au film d’espionnage, en passant par les films historiques et drames psychologiques.
Non coupable fait partie de cette dernière catégorie, mais teinté cette fois de thriller. Sombre et inattendu dans la carrière d’Henri Decoin, Non coupable apparaît à mi-parcours dans la longue carrière (de 1931 à 1964) éclectique et prolifique du réalisateur des Inconnus dans la maison, Les Amoureux sont seuls au monde, Au grand balcon, La Vérité sur Bébé Donge, L’Affaire des poisons et du Masque de fer avec Jean Marais. Henri Decoin signe ici un film détonnant, qui tranche singulièrement avec le reste de sa filmographie et qui offre à Michel Simon un rôle de monstre humain à la fois empathique et pathétique. En un mot, indispensable.
Michel Ancelin est un médecin qui a plongé dans l’alcoolisme. Dans sa déchéance, plus il subit le regard moqueur des gens, plus il se hait… jusqu’à cette nuit où conduisant en état d’ivresse, il renverse et tue un motocycliste, devant les yeux effarés de Madeleine Bodin, sa jeune amie et maîtresse. Il maquille le méfait en déplaçant le cadavre et la moto puis en enlevant l’ampoule du phare, pour faire croire à un banal et malheureux accident de la route. Il efface les traces de freinage de la voiture. Tout fonctionne à merveille, et la police classe l’affaire sans suite. Un détail anodin, la perte d’une bague en or que portait Madeleine, va venir tout bousculer dans ce couple apparemment sans histoires, et une série de drames vont s’ensuivre.
Dans les années 1940, qui d’autre que Michel Simon aurait pu incarner ce médecin de province, méprisé par ses confrères et même par sa compagne (qui le trompe), qui se découvre des talents de tueur et donc une raison d’être, tout en inspirant une indéniable sympathie ? D’emblée, le spectateur est invité à suivre son quotidien, autrement dit ses soirées noyées dans l’alcool, dans le but d’oublier une vie gâchée. A la suite d’un accident qui a causé la mort d’un homme, ce docteur Ancelin (à la fois Jekyll et Hyde) va alors se créer un personnage romanesque, celui d’un tueur qui met à mal l’enquête d’un inspecteur envoyé de Paris dans cette petite bourgade d’Indre-et-Loire. Henri Decoin filme justement cette ville oubliée de province, mise sous les feux des projecteurs, en raison de la « popularité » de ce criminel que tout le monde recherche. Les journalistes du coin s’affolent, les habitants soupçonnent les voisins. Et pendant ce temps, Ancelin jubile car le tueur est considéré comme un « artiste », un « génie », qui arrive à passer à travers les mailles du filet.
En 1947, Henri Decoin et Michel Simon tourneront deux films ensemble. Les Amants du pont de Saint-Jean et ce Non coupable, œuvre charbonneuse dans lequel le cinéaste exploite à merveille la gueule incroyable du comédien. A travers un N&B fuligineux, Henri Decoin place son antihéros dans l’ombre de ses méfaits, alors que son désir premier est d’être placé dans la lumière et de briller aux yeux du monde, voulant également se prouver à lui-même qu’il n’est pas le raté décrit par tous. Fort de son impunité, il multiplie alors les assassinats, en écoutant la réaction de ses voisins et connaissances. Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon d’Elio Petri (1970) n’est pas loin !
Henri Decoin filme malgré tout l’histoire d’un perdant, qui, sans dévoiler le dénouement imparable et virtuose, parviendra même à manquer sa sortie. Michel Simon, immense, récompensé par le Prix de la meilleure interprétation masculine au Festival de Locarno, suinte l’alcool et la suffisance, mais également la tristesse et la solitude. Parmi ses partenaires, on reconnaîtra l’indispensable Robert Dalban en patron de café (un de ses rôles récurrents à l’époque) et Jean Debucourt, grand comédien de la Comédie-Française, dont la voix est passée à la postérité pour avoir été celle de Jésus dans Don Camillo. Il est ici impérial en inspecteur de police.
Il serait temps de reconsidérer l’oeuvre d’un des plus grands artisans du cinéma français de l’après-guerre. Non coupable, dont Christophe Gans voulait réaliser un remake avec Albert Dupontel, en est d’ailleurs le parfait exemple. Heureusement, Henri Decoin connaît depuis peu un regain de popularité grâce à l’édition de ses films en DVD et Blu-ray. Il n’est donc jamais trop tard.
LE DIGIBOOK
Coin de Mire Cinéma est de retour ! Pour en savoir plus sur cette collection unique, reportez-vous à notre présentation réalisée lors du premier test consacré à Archimède le clochardhttps://homepopcorn.fr/test-blu-ray-archimede-le-clochard-realise-par-gilles-grangier/. Pour cette nouvelle salve de la collection « La Séance », l’éditeur reprend le même principe. Non coupable d’Henri Decoin, un temps disponible en DVD chez LCJ, est le premier titre de cette vague, qui comprend également Le Cas du docteur Laurent de Jean-Paul Le Chanois (1958), Rue des prairies de Denys de La Patellière (1959), Le Train de John Frankenheimer (1964), La Grosse caisse de Alex Joffé (1965) et L’Affaire Dominici de Claude Bernard Aubert (1973). Inédits en Blu-ray, ces titres seront édités à 3000 exemplaires. Chaque titre est annoncé au tarif de 32€, disponible à la vente sur internet et dans certains magasins spécialisés à l’instar de Metaluna Store tenu par l’ami Bruno Terrier, rue Dante à Paris.
Le livret de 24 pages de cette édition contient également la filmographie de Henri Decoin avec le film qui nous intéresse mis en surbrillance afin de le distinguer des autres titres, de la reproduction en fac-similé des matériels publicitaires et promotionnels de l’époque, des photos promotionnelles françaises et italiennes, du programme illustré des cinémas Balzac Helder Scala Vivienne, d’un article de la revue Ciné-Miroir d’octobre 1947 et d’un article de Calypso. Le menu principal est fixe et musical.
Comme sur tous les titres de la collection, nous trouvons les actualités liées à la semaine de sortie du film qui nous intéresse. Ici, place aux infos de la 39e semaine de l’année 1947 (11’). Quelques images montrent l’arrivée imminente d’un ouragan tropical sur la Floride, les ravages de la guerre d’indépendance de l’Inde, une visite du général De Gaulle à Lyon où il est acclamé par 20.000 personnes sur la place Bellecour, le voyage pour les Etats-Unis des Petits Chanteurs à la croix de bois, l’exploration de l’abîme de la Henne Morte (à moins 450 mètres), etc.
Place ensuite aux réclames publicitaires de l’année 1947 (4’30) avec un tout nouveau réfrigérateur dernier cri, un shampooing à base de moelle de bœuf et la nouvelle cire de la marque Le Drapeau !
Autre supplément, nous trouvons également une fin alternative du film Non coupable (3’), restaurée à partir du négatif nitrate, présentée également à la suite de l’oeuvre d’Henri Decoin. A l’instar de La Belle équipe et Les Amoureux sont seuls au monde, un épilogue maladroit (et plus optimiste) a heureusement été rejeté et donnait une autre signification à l’histoire.
L’Image et le son
Non coupable a été restauré en 4K à partir du négatif image nitrate. Les travaux numériques et photochimiques ont été réalisés par le laboratoire Hiventy. Quelques fourmillements sont constatés sur le générique d’ouverture, ainsi que divers points, tâches et flous sporadiques. Ce master HD trouve ensuite son équilibre avec des noirs denses, une texture argentique élégante, plus appuyée sur les gros plans. Les contrastes profitent de cette promotion Haute-Définition, les détails sont très appréciables, la propreté ne déçoit pas et au final ce Blu-ray permet (re)découvrir Non coupable dans les meilleures conditions techniques.
Aucun souci acoustique constaté sur ce mixage DTS-HD Master Audio Mono 2.0. Le confort phonique de cette piste unique est indéniable, les dialogues sont clairs et nets. Si quelques saturations demeurent inévitables, la musique est joliment délivrée et aucun craquement intempestif ne vient perturber l’oreille des spectateurs. L’éditeur joint également les sous-titres français destinés au public sourd et malentendant.
AU GRAND BALCON réalisépar Henri Decoin,disponible en combo DVD/Blu-ray le 7 novembre 2018 chez Pathé
Acteurs : Georges Marchal, Pierre Fresnay, André Bervil, Félix Oudart, Janine Crispin, Paul Azaïs, Germaine Michel, Abel Jacquin, Clément Thierry…
Scénario : Joseph Kessel, Marcel Rivet
Photographie : Nicolas Hayer
Musique : Joseph Kosma
Durée : 1h56
Année de sortie : 1949
LE FILM
Tous les habitants de la pension de famille toulousaine Au Grand Balcon sont possédés par le goût de l’aventure. Carbot, chef de l’Aéropostale de Toulouse, veut prolonger la ligne vers l’Amérique…
En introduction et sur un montage d’images d’archives, la voix inimitable de l’immense Pierre Fresnay indique qu’Au grand balcon n’a pas pour vocation de relater les faits réels avec une précision documentaire, mais de rendre avant tout hommage aux pionniers de l’aviation civile française, « la plus belle, la plus grande, en date, en sacrifice, en légendes, en étendue ». Très empathique et sincère, ce prologue indique d’emblée le soin tout particulier apporté à cette histoire par le cinéaste Henri Decoin (1890-1969), orthographié ici Henry. Ancien pilote de l’Escadrille des Cigognes pendant la guerre 14-18, le réalisateur signe ici l’un de ses films les plus personnels. Ecrit avec Joseph Kessel (lui-même ancien aviateur et l’auteur d’une biographie sur Jean Mermoz en 1939), Au grand balcon s’inspire de la véritable histoire de la création de l’Aéropostale et de ses deux grandes figures, Didier Daurat, directeur des Lignes aériennes Latécoère, et l’aviateur Jean Mermoz, appelés Carbot et Fabien dans le film, interprétés ici par Pierre Fresnay et Georges Marchal. Sorti en 1949, ce long métrage n’a rien perdu de son charme et reste un formidable moment, animé par la passion de son metteur en scène.
Les années 1920, à Toulouse. Carbot, responsable de l’aéropostale, rêve de prolonger sa ligne en traversant l’Atlantique. Dur à lui-même et aux autres, il exige une discipline aveugle pour un rendement maximum. Un ancien pilote de guerre, Fabien, est tenu à l’écart par Carbot jusqu’au jour où un pilote meurt accidentellement : Fabien, en pleine tempête de neige, transportera le courrier. Il échoue lui aussi et n’est sauvé que de justesse. Pour donner une leçon à tous, c’est Carbot lui-même qui prend le courrier. Fabien sera le chef d’un relais en Afrique et « la ligne » se développera de jour en jour. Chaque soir, les jeunes pilotes intrépides logent au « Grand Balcon » au milieu de fonctionnaires, de retraités et de petits rentiers. Une pension de famille tenue par Adeline et Françoise, deux soeurs qui adoptent leurs turbulents locataires et qui bousculent tout ce petit monde.
Un film à la gloire de l’Aéropostale, mais aussi un portrait des locataires du Grand balcon, le quartier général de ces jeunes pilotes travaillant au développement des liaisons aériennes. Ils sont sous les ordres de Carbot, qui ne vit que pour « la ligne » et qui impose une stricte discipline à ses hommes. Il se soucie peu – du moins en apparence – des existences sacrifiées à son idéal. Jean Fabien, héros de la guerre de 1914, tient tête à Carbot et se heurte constamment à lui. Même si les deux personnages principaux ne s’appellent pas comme cela dans le film, les spectateurs passionnés par le sujet de l’Aéropostale reconnaîtront Daurat et Mermoz. Pierre Fresnay, impérial, droit comme un i, la voix imposante et sèche, campe un Carbot-Daurat impitoyable, strict et dur, guidé par son rêve, prêt à tout pour le concrétiser. Georges Marchal est parfait dans cette représentation de Mermoz aka Fabien dans Au grand balcon. Sa stature, ses épaules sculptées, son charisme rappellent évidemment « l’Archange » disparu accidentellement en 1936 à l’âge de 34 ans.
Ancien sportif, nageur et joueur de water-polo, champion de France du 500m nage libre dans les années 1910, Henri Decoin connaît la persévérance et l’obstination. Officier de cavalerie, de zouaves puis d’aviation durant la Première Guerre mondiale, il devient également chef d’escadrille. Aimant le défi, le risque et le danger, le cinéaste du merveilleux Les Amoureux sont seuls au monde (1947) a voulu faire le plus brillant des éloges à ses modèles et inspirations. Formidablement mis en scène, Au grand balcon compte moult personnages, tous animés par cette envie irrépressible de voler, d’aller toujours plus loin, toujours plus haut. S’ils ont conscience de risquer leur vie chaque fois qu’ils quittent le plancher des vaches, ces jeunes hommes chevronnés entre 20 et 30 ans ne manqueraient jamais l’occasion de prendre place dans un cockpit et de s’envoler.
Les dialogues signés Joseph Kessel rendent compte de ce feu ardent qui les consume à chaque instant, tandis qu’Henri Decoin, qui avait déjà abordé le thème de l’aviation dans Les Bleus du ciel en 1933, soigne le cadre (très belle photo de Nicolas Hayer) et privilégie les séquences intimistes aux scènes aériennes (quasi-absentes), avec en fond la composition romanesque de Joseph Kosma. Au grand balcon est un grand film d’aventures, une épopée humaniste, passionnante et très attachante.
LE BLU-RAY
Les deux disques de ce combo Pathé reposent dans un Digipack à deux volets, glissé dans un surétui cartonné au visuel très élégant. Le menu principal est animé sur la musique de Joseph Kosma.
Tout d’abord et c’est devenu une habitude, Pathé nous gratifie de trois petits modules tirés de ses archives. Les sujets d’actualité sont évidemment en rapport avec le film qui nous intéresse puisque nous y voyons l’inauguration des premières lignes postales aériennes françaises (2’30), la disparition de Jean Mermoz et de ses compagnons (2’45) et les pionniers de la poste aérienne (2’50). Des images toujours impressionnantes à découvrir.
Le bonus le plus conséquent est l’entretien croisé avec l’écrivain Didier Decoin, fils du réalisateur Henri Decoin, et d’Olivier Margot, journaliste et auteur avec Benoît Heimermann de L’Aéropostale publié chez Broché en 2010 (45’). Ce module propose un formidable portrait du cinéaste Henri Decoin, l’homme et l’artiste, le père, le mari, l’ancien aviateur et metteur en scène, qui a mis beaucoup de lui-même dans son film Au grand balcon. Olivier Margot propose également un retour sur l’histoire et les étapes déterminantes de l’Aéropostale française, tout en louant la reconstitution d’Henri Decoin, ainsi que la représentation à peine dissimulée dans le film de Jean Mermoz et de Didier Daurat, sans oublier celle des autres pionniers de l’air. Lent, mais maîtrisé, ce documentaire est aussi informatif qu’attachant, surtout lorsque Didier Decoin, 73 ans, évoque la passion de l’aviation de celui qu’il appelle encore très affectueusement « papa ».
L’Image et le son
La restauration numérique 4K a été réalisée par le laboratoire L’Immagine Ritrovata à partir du négatif original. Le nouveau master HD de Au grand balcon au format 1.37 respecté impressionne par son piqué, par la gestion des contrastes (noirs denses, blancs lumineux), ses détails ciselés (voir les nombreux gros plans) et son relief. La propreté de la copie est souvent sidérante, même chose pour sa stabilité, la profondeur de champ est éloquente, et la superbe photo signée par le grand et pourtant souvent oublié Nicolas Hayer (Le Corbeau, Orphée, Le Doulos) retrouve une nouvelle jeunesse doublée d’un superbe écrin, avec un grain d’origine heureusement été préservé. Les fondus enchaînés sont également fluides et n’occasionnent pas de décrochages. Les stockshots utilisés pour le prologue sont plus marqués par les affres du temps. Notons également un fil en bord de cadre qui a visiblement donné quelques suées aux magiciens de la restauration, ainsi qu’une séquence à la définition étrangement chancelante, celle où Fabien tente de s’en sortir après son crash dans les Pyrénées (à 1h07).
La piste mono restaurée bénéficie d’un encodage en DTS HD-Master Audio. Si quelques saturations et chuintements demeurent inévitables, l’écoute se révèle fluide, équilibrée, limpide. Aucun craquement intempestif ne vient perturber l’oreille des spectateurs, les ambiances sont précises et les dialogues clairs. Les sous-titres anglais et français destinés au public sourd et malentendant sont également disponibles, ainsi qu’une piste Audiovision.