Test DVD / Les Hommes du feu, réalisé par Pierre Jolivet

LES HOMMES DU FEU réalisé par Pierre Jolivet, disponible en DVD chez Studiocanal le 7 novembre 2017

Acteurs :  Roschdy Zem, Émilie Dequenne, Michael Abiteboul, Grégoire Isvarine, Guillaume Labbé, Guillaume Douat…

Scénario : Pierre Jolivet

Photographie : Jérôme Alméras

Durée : 1h30

Date de sortie initiale : 2017

LE FILM

Philippe, 45 ans, dirige une caserne dans le Sud de la France. L’été est chaud. Les feux partent de partout et il se pourrait qu’ils soient l’oeuvre d’un pyromane. Arrive Bénédicte, adjudant-chef, même grade que Xavier, un quadra aguerri : tension sur le terrain, tensions aussi au sein de la brigade… Plongée dans la vie de ces grands héros : courageux face au feu, mais aussi en 1ère ligne de notre quotidien.

Les Hommes du feu est le seizième long métrage de Pierre Jolivet, réalisé en 32 ans de carrière. Même s’il n’a jamais connu les cimes du box-office, le réalisateur a pu compter sur quelques succès d’estime à l’instar de Ma petite entreprise (1999) et Je crois que je l’aime (2007), tous les deux avoisinant les 850.000 entrées. Nombreux de ses films ont également été boudés par le public, mais Pierre Jolivet a toujours persisté dans ses portraits de petites gens confrontés aux aléas de la vie (Fred, La Très très grande entreprise, Jamais de la vie) et surtout trouvé des financements envers et contre tous. Les Hommes du feu est une nouvelle chronique sociale. Attachant, mais bancal, très bien interprété, le nouvel opus de Pierre Jolivet ne manque pas d’atouts, mais pèche par sa facture télévisuelle et son approche semi-documentaire qui l’emporte sur la fiction.

Bénédicte, adjudant-chef, intègre une caserne de pompiers dans le sud de la France, dirigée par Philippe. Une région ravagée par de nombreux incendies, criminels ou non. Lors d’une mission pour un accident de la route, Bénédicte ne voit pas une victime qui reste dans le coma à l’hôpital. Touchée, elle pense à quitter la brigade alors que Philippe tente de la convaincre de rester.

Le projet des Hommes du feu remonte à 2012, des suites d’un fait divers survenu dans les Bouches-du-Rhône, au Plan d’Orgon, où un adolescent de 14 ans avait mis le feu à 400 hectares. Marqué par cet événement, ainsi que par un autre incendie qui s’était déclaré dans un village du Club Med où il résidait, Pierre Jolivet a ensuite entrepris des recherches auprès de psychologues, pour essayer de comprendre ce qui pouvait pousser un individu à déclencher volontairement un incendie. Ces études l’ont amené à rencontrer de nombreux pompiers, qui lui ont parlé de leur quotidien. Les Hommes du feu découle de ces cinq années de travaux réalisés en parallèle de ses derniers films. Malgré l’ambition du cinéaste, le film pèche par un récit mécanique qui aligne les interventions des pompiers, filmées comme un documentaire avec une caméra au plus près des personnages, avec les quelques moments de repos où les soldats du feu tentent d’avoir une vie « normale », puisqu’ils sont également mari, épouse, père ou mère.

Rien à redire sur les comédiens, qui tous convaincants. Roschdy Zem est impeccable dans la peau du capitaine de la caserne et signe par ailleurs sa sixième collaboration avec Pierre Jolivet. Dommage cependant que la quête de rédemption du personnage soit finalement prétexte, clichée et entraîne la scène la plus ratée – car trop écrite et au verbe pompier oh oh – du film dans le dernier acte. La toujours lumineuse Emilie Dequenne s’en tire également haut la main dans le rôle de Bénédicte, la nouvelle adjudant-chef, qui va devoir lutter pour s’imposer auprès de certains subalternes afin de se faire respecter. C’est le cas de Xavier, interprété par l’excellent Michaël Abiteboul, qui va se montrer froid et cynique, surtout après une erreur professionnelle de Bénédicte qui a failli coûter la vie à un accidenté, tout en mettant également en doute les compétences et l’avenir de la caserne.

Le quotidien est bien rendu, tout comme les interventions sur les accidents et incendies, spectaculaires, authentiques et évidemment supervisés par de véritables soldats du feu et capturés caméra à l’épaule. Le film est loin d’être désagréable et d’en-Jolivet (oh oh bis) la réalité, c’est juste qu’il est finalement assez (trop ?) commun, redondant et manque d’enjeux pour retenir l’attention sur 1h30. Si L.627 de Bertrand Tavernier lui servait de modèle pour l’immersion désirée, Pierre Jolivet se trouve quelque peu prisonnier de son dispositif et de ses intentions, au point où on finit par l’imaginer cocher chaque case du guide du « parfait pompier dans l’exercice de ses fonctions ». La solution aurait été de suivre de véritables pompiers pour un documentaire, plutôt que d’hésiter constamment, ce qui se ressent et donc ce qui en fait la faiblesse des Hommes du feu.

LE DVD

Un tout petit DVD pour Les Hommes du feu, disponible chez Studiocanal, qui ne bénéficie même pas d’une édition HD en raison de son échec dans les salles. Un menu fixe et muet d’un autre temps accueille le spectateur.

Heureusement, l’éditeur a quand même intégré un supplément, même s’il ne s’agit que d’un making of de 10 minutes. Classique, composé d’images de tournage et d’interventions de l’équipe, y compris des pompiers qui ont accueilli et conseillé le réalisateur et les comédiens, ce module s’attarde notamment sur la préparation des acteurs et le désir d’authenticité du réalisateur.

L’Image et le son

Même si Studiocanal a préféré faire l’impasse sur une édition Blu-ray, l’éditeur prend soin du film de Pierre Jolivet et livre un service après-vente tout ce qu’il y a de plus solide. Les partis-pris esthétiques du chef opérateur Jérôme Alméras (Retour à Montauk, Un homme à la hauteur) sont respectés et la colorimétrie habilement restituée. La clarté est de mise, tout comme des contrastes fermes et des noirs denses, un joli piqué et des détails appréciables sur l’ensemble des séquences en extérieur et du cadre large en général, y compris sur les gros plans des comédiens. Notons de sensibles pertes de la définition et des plans un peu flous, qui n’altèrent cependant en rien le visionnage. Un master SD élégant, propre et clair.

Studiocanal joint une piste Dolby Digital 5.1 qui instaure une spatialisation musicale indéniable, même si les basses manquent à l’appel. En dehors de cela, les ambiances naturelles et les effets annexes sont convaincants, surtout lors des séquences d’interventions, avec une très bonne balance frontales-latérales. De ce point de vue il n’y a rien à redire, les enceintes assurent tout du long, les dialogues étant quant à eux exsudés avec force par la centrale. La Stéréo n’a souvent rien à envier à la DD 5.1. Les sous-titres français destinés au public sourd et malentendant sont également de la partie, ainsi qu’une piste Audiodescription.

Crédits images : © 2.4.7. Films / Roger Arpajou / Studiocanal / Captures DVD : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

 

Test DVD / Manon, réalisé par Henri-Georges Clouzot

MANON réalisé par Henri-Georges Clouzot, disponible en DVD aux Editions Montparnasse le 3 octobre 2017

Acteurs :  Michel Auclair, Cécile Aubry, Serge Reggiani, Andrex, Raymond Souplex, André Valmy…

Scénario : Henri-Georges Clouzot, Jean Ferry d’après le roman L’Histoire du Chevalier des Grieux et de Manon Lescaut de l’abbé Prévost

Photographie : Armand Thirard

Musique : Paul Misraki

Durée : 1h42

Date de sortie initiale : 1949

LE FILM

Fin de la Seconde Guerre mondiale, dans un village français, la jeune Manon est accusée de collaboration avec les nazis. Sauvée du lynchage par le jeune Robert Dégrieux, les deux jeunes gens fuient à Paris où leur relation ne tarde pas à devenir orageuse suite au comportement de Manon…

Rien n’est sale quand on s’aime.

C’est un choc, c’est un chef d’oeuvre oublié. Tourné en 1948 et sorti sur les écrans en 1949, Manon est un opus central dans la filmographie d’Henri-Georges Clouzot. Après la projection et le triomphe de Quai des Orfèvres à la Mostra de Venise, le cinéaste est néanmoins amer, persuadé que son polar, présenté en version française non sous-titrée, aurait remporté bien plus que le Prix de la mise en scène s’il n’avait pas été aussi « bavard ». Clouzot décide alors de repenser sa façon de faire des films, en privilégiant le cadre, le montage, la photographie, tout en privilégiant le tournage en extérieur plutôt qu’en studio. Si le précipité final de ces expériences sera Le Salaire de la peur en 1953, Manon marque une première étape dans ce désir de remise en question. Ce quatrième long métrage, adapté du roman L’Histoire du Chevalier des Grieux et de Manon Lescaut de l’abbé Prévost, rompt alors avec ce que Clouzot avait fait précédemment. Manon est un immense film, souvent négligé quand on évoque le réalisateur. Il est temps aujourd’hui de le réhabiliter.

Une nuit, deux clandestins sont découverts dans la cale d’un bateau qui vient d’appareiller de Marseille à destination de la Palestine. Egalement à bord, des juifs rescapés du génocide, qui immigrent illégalement. Le capitaine et son second (un tout jeune Michel Bouquet dans l’une de ses premières apparitions au cinéma) reconnaissent l’homme grâce à la photographie d’un journal. Il s’agit de Robert Desgrieux, un assassin en fuite. Le capitaine envisage alors de les livrer à la police aussitôt la ville d’Alexandrie atteinte, mais se laisse attendrir par cette passion dévorante dont le jeune couple entreprend le récit. Tout commence dans une petite ville de Normandie, peu après la Libération, où Robert Desgrieux jeune maquisard, sauve l’envoûtante Manon Lescaut de la vindicte populaire, qui s’apprête à la lyncher pour avoir couché avec l’ennemi. Tous deux s’enfuient vers Paris et entament une liaison. Mais bientôt, ils se perdent dans de sordides histoires de prostitution et de meurtre. De plus, l’amour exclusif de Robert gêne Manon. Elle charge son frère, Léon d’éloigner son amant pendant qu’elle part avec un riche Américain qu’elle espère dépouiller.

« On va leur montrer que c’est possible d’être heureux ! » « A qui ? » « A ceux qui sont contre. »

Entre le prologue et son extraordinaire épilogue, Henri-Georges Clouzot narre son récit au moyen d’un long flashback étourdissant, sombre et puissant. Alors que Le Corbeau dressait le portrait d’une petite communauté française sous l’Occupation, le cinéaste montre ici la France de l’après-guerre. Comment se remettre de ces années de conflit ? Comment retrouver une vie normale ? Affamés, voulant rattraper les années perdues et une jeunesse qui s’est envolée, les personnages sont aussi démolis que l’église en ruine dans laquelle ils démarrent leur fatale idylle. Manon souhaite bien en profiter en mettant tous les atouts de son côté pour pouvoir sortir de la misère, quitte à mettre toute morale de côté. D’ailleurs, son frère Léon (vénéneux Serge Reggiani), continue de vivre de larcins sous les ordres d’un petit parrain notoire. Véritablement envoûté par Manon, Robert devient de plus en plus jaloux et possessif. Il se laisse entraîner malgré-lui par cette blonde à la moue enfantine, dans un monde violent et sans concessions, jusqu’à se laisser envahir par la colère et commettre l’irréparable.

Profondément pessimiste, Manon contient toute la sève du cinéma d’Henri-Georges Clouzot. Nappé de romantisme noir, son film plonge son personnage masculin dans des trafics toujours plus louches, afin de subvenir aux exigences insatiables de sa compagne. Afin d’incarner l’ambiguïté de Manon et de faire ressentir aux spectateurs une empathie faite de répulsion, Clouzot jette son dévolu sur la jeune Cécile Aubry, qui préférera abandonner le métier d’actrice assez tôt pour se consacrer à l’écriture pour enfants, avant de créer et de réaliser les séries Poly, puis Belle et Sébastien, avec son propre fils Mehdi El Glaoui dans le rôle principal. Dans Manon, elle est la parfaite garce, perdue dans le monde impitoyable des adultes, en ayant encore un pied dans l’adolescence. Manon veut le monde et Robert, impressionnant Michel Auclair, semble prêt à tout pour le lui offrir, quitte à se perdre lui-même. Manon est un film qui triture les méninges et les entrailles. Clouzot ne recule devant rien pour mettre le spectateur mal à l’aise, sans pour autant forcer le trait.

Le dernier acte montre les protagonistes débarquer clandestinement avec leurs compagnons d’infortune sur une plage discrète. Après une marche épuisante dans le désert, la petite troupe est attaquée par une troupe de Bédouins. Sans révéler son sulfureux dénouement, à la fois morbide et sensuel, Clouzot atteint ici les sommets et annonce la force graphique et hypnotique du Salaire de la peur en faisant déambuler ses personnages entre le paradis et l’enfer. Pas étonnant que le public ait été choqué par le jusqu’au-boutisme du réalisateur, qui n’hésite pas à jouer avec la censure. Mélodrame ambitieux et intense, moderne sur le fond comme sur la forme (mise en scène virtuose), ce quatrième film est immanquable, une pierre angulaire dans l’immense carrière d’un de nos plus grands auteurs et cinéastes. Manon se verra remettre le Lion d’or à la Mostra de Venise en 1949, ainsi que le Prix Méliès.

LE DVD

Après une première édition sortie en 2010 chez M6 Vidéo dans sa collection Les Classiques français SNC, Manon réapparaît sous la bannière des Editions Montparnasse. Le DVD est placé dans un boîtier classique transparent, glissé dans un surétui cartonné. Le menu principal est animé et musical.

Le seul supplément de cette édition, Manon, l’amour fou, croise les interventions de Chloe Folens (auteur de Les Métamorphoses d’Henri-Georges Clouzot), Bertrand Schefer (écrivain et réalisateur), Frédéric Mercier (critique cinéma) et Noël Herpe (commissaire de l’exposition Le mystère Clouzot à la Cinémathèque Française). A tour de rôle dans ce module de 13 minutes, chacun s’exprime sur Manon d’Henri-Georges Clouzot, avec une approche différente. Dommage que l’éditeur n’ait pas proposé l’intégralité de chaque intervention. Pour cela, il faudra vous diriger vers la chaîne YouTube des Editions Montparnasse. Toujours est-il que les propos tenus ici sont toujours intéressants, qu’ils replacent habilement Manon dans la filmographie de Clouzot et analysent à la fois le fond et la forme sur quatrième long métrage du cinéaste, à travers quelques séquences, en particulier son dénouement.

L’Interactivité se clôt sur un lot de bandes-annonces.

L’Image et le son

Restauré par Les Films du Jeudi, Manon bénéficie d’un nouveau master supérieur à celui précédemment édité par M6 Vidéo. Le résultat est plutôt bluffant. Généralement, un générique de film donne toujours le ton. Ici, le début du film est impressionnant : le Noir & Blanc offre des contrastes impeccables et les blancs sont lumineux. Les détails sont précis, tant sur les visages, les décors et les arrière-plans. La copie, 1.33 (4/3), est on ne peut plus propre, stable, dépoussiérée de la moindre impureté, tandis que le grain demeure parfaitement équilibré et géré.

Le mono d’origine restauré (par L.E. Diapason) offre un parfait rendu des dialogues, très dynamiques, et de la musique qui ne saturent jamais. Le niveau de détails est évident et les sons annexes, tels que les ambiances de rue et bruits de fond sont extrêmement limpides. Mauvais point en revanche pour l’absence des sous-titres français pour les spectateurs sourds et malentendants !

Crédits images : © Editions Montparnasse / Captures DVD : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

Test DVD / Le Carnaval des âmes, réalisé par Herk Harvey

LE CARNAVAL DES ÂMES (Carnival of Souls) réalisé par Herk Harvey, disponible en DVD chez Artus Films le 5 décembre 2017

Acteurs :  Candace Hilligoss, Frances Feist, Sidney Berger, Art Ellison, Stan Levit, Tom McGinnis, Forbes Caldwell…

Scénario : Herk Harvey, John Clifford

Photographie : Maurice Prather

Musique : Gene Moore

Durée : 1h14

Date de sortie initiale : 1962

LE FILM

Alors que des jeunes gens jouent à faire la course en voiture, l’auto des filles tombe dans une rivière et les passagères se noient. Seule Mary en réchappe, profondément choquée. Comme elle se rend dans l’Utah pour jouer de l’orgue dans une petite église, elle aperçoit un fantôme au visage cadavérique. Bientôt, elle le voit partout et sent son esprit vaciller. De plus, elle est irrésistiblement attirée par un parc d’attractions désaffecté…

Etrange destin pour un petit film – qui ne l’est pas moins – que celui du Carnaval des âmesCarnival of Souls, réalisé en deux semaines avec une poignée de dollars (30.000 exactement) par Herk Harvey (1924-1996), venu des spots institutionnels et publicitaires, sur un scénario de John Clifford. Aujourd’hui considéré comme une véritable référence du genre fantastique, ce film culte, seul long métrage de fiction du metteur en scène qui ne comptera à son actif que des courts-métrages et des documentaires, a tout d’abord connu un bide retentissant dans les salles – dans les drive-in plutôt – à sa sortie en 1962, avant que certains critiques et professionnels du cinéma ne le citent ouvertement, en particulier dans les années 1980 où il est redécouvert.

Arrêtés à un feu rouge, deux jeunes hommes défient trois jeunes femmes de faire une course improvisée. Les voitures s’élancent mais en passant en trombe sur un vieux pont, la conductrice perd le contrôle du véhicule. Mary est la seule jeune femme sur les trois passagères à s’en sortir miraculeusement. Traumatisée, elle quitte la ville pour rejoindre une église où elle a trouvé du travail en tant qu’organiste mais, sur la route, elle aperçoit un fantôme au visage cadavérique, interprété par Herk Harvey lui-même. Par ailleurs, elle ressent une attirance irrésistible pour un gigantesque parc d’attractions abandonné, qui exerce sur elle un pouvoir qu’elle ne comprend pas. Les apparitions surnaturelles se multiplient, Mary, qui semble être la seule à voir ces êtres étranges, se sent de plus en suivie, voire encerclée.

Film rapide, 74 minutes montre en main, Le Carnaval des âmes peut laisser perplexe tant on a l’impression qu’il ne s’y passe pas grand-chose. Certes, quelques scènes s’étirent trop en longueur, à l’instar des séquences où un type pas fin drague ouvertement Mary et qui se désespère de voir ses avances rejetées, mais on comprend pourquoi le film de Herk Harvey a su inspirer moult films de genre. Tout d’abord par son traitement brut, qui découle du manque de moyens mis à la disposition du réalisateur. Au-delà du N&B basique et pourtant très beau, la caméra portée insuffle un malaise crescendo, comme si une présence se manifestait constamment auprès de Mary. Harvey distille les apparitions de ses spectres tout au long du film, en surprenant constamment le personnage principal en même temps que les spectateurs. Les décors, en particulier celui du parc d’attractions délabré instaurent un vrai climat angoissant, tandis que Mary erre sans savoir pourquoi elle se sent littéralement appelée par cet endroit insolite.

Ce n’est pas spoiler de dire que la scène finale du bal des fantômes a inspiré le cinéma fantastique et continue de le faire. Et que dire de cet épilogue, avant-gardiste, qui a dû laisser de nombreux spectateurs perplexes et déroutés quand la dépanneuse parvient enfin à sonder le fond boueux de la rivière et à remonter la voiture des jeunes femmes décédées ! Le Carnaval des âmes vaut également pour la présence de la belle Candace Hilligos, dans sa première et par ailleurs rare apparition au cinéma. Attachante, troublante, la comédienne porte cette histoire oppressante sur ses épaules.

Sans effets ostentatoires, ni sang, ni effets chocs, mais usant habilement du langage cinématographique, aussi bien visuel que sonore lorsque Mary n’entend plus rien et ne parvient plus à se faire voir, pour créer un flottement éthéré (renforcé par l’envoûtante partition à l’orgue de Gene Moore) et une ambiance unique, Herk Harvey ne pensait sans doute pas que Le Carnaval des âmes bénéficierait aujourd’hui d’un tel culte. Des cinéastes tels que M. Night Shyamalan, George A. Romero, Stanley Kubrick, Tim Burton, John Carpenter, Christian Petzold et David Lynch n’ont eu de cesse de louer sa poésie macabre et ses mérites, au point de l’avoir cité au moins une fois dans l’un de leurs films. C’est dire son importance.

LE DVD

Après avoir été disponible chez Le Chat qui fume et Wild Side, Le Carnaval des âmes débarque une fois de plus dans les bacs, cette fois sous la houlette d’Artus Films, dans la collection Classiques. Le menu principal est fixe et musical.

La bande-annonce et un aperçu des autres titres disponibles chez Artus Films sont proposés comme suppléments.

L’Image et le son

Le master restauré tient toutes ses promesses et offre aux spectateurs de très belles conditions pour découvrir ce bijou. En dehors de quelques très légers défauts de pellicule qui ont échappé aux outils numériques, la copie est vraiment très propre. Exit les rayures, les tâches, les poussières et autres points noirs et blancs. On pourra sans doute déplorer la quasi-absence du grain original, mais la beauté du N&B subjugue, les contrastes sont équilibrés, la luminosité est admirable, les noirs denses et le rendu des visages est soutenu par un piqué acéré. Même les fondus enchaînés n’entraînent pas de décrochages ! Présenté dans son format 1.37 (16/9 compatible 4/3), Le Carnaval des âmes bénéficie d’une copie très soignée.

Le confort acoustique est largement assuré par la piste mono d’origine. Seule la version anglaise est disponible et il semble peu probable qu’un doublage français existe. Ce mixage affiche une ardeur et une propreté remarquables, créant un spectre phonique suffisant. Les effets et les ambiances sont nets, la musique mise en valeur, sans saturation. L’ensemble demeure homogène, sans souffle et les dialogues solides.

Crédits images : © Artus Films /  Captures DVD : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

Test Blu-ray / HHhH, réalisé par Cédric Jimenez

HHhH réalisé par Cédric Jimenez, disponible en DVD et Blu-ray chez TF1 Studio le 10 octobre 2017

Acteurs :  Jason Clarke, Rosamund Pike, Jack O’Connell, Jack Reynor, Mia Wasikowska, Stephen Graham, Céline Sallette, Gilles Lellouche…

Scénario : David Farr, Audrey Diwan, Cédric Jimenez, d’après le roman HHhH de Laurent Binet

Photographie : Laurent Tangy

Musique : Guillaume Roussel

Durée : 2h

Date de sortie initiale : 2017

LE FILM

L’ascension fulgurante de Reinhard Heydrich, bras droit d’Himmler et chef de la Gestapo, l’un des hommes les plus dangereux du régime. Lorsque Hitler le nomme à Prague pour diriger la Bohême-Moravie et élaborer un plan d’extermination définitif, deux jeunes soldats de la résistance, Jan Kubis et Jozef Gabcik se dressent face à lui. Leur mission : éliminer Heydrich.

HHhH, acronyme – jamais expliqué dans le film – pour Himmlers Hirn heißt Heydrich, qui signifie en allemand le cerveau d’Himmler s’appelle Heydrich, est l’adaptation du roman historique homonyme de Laurent Binet, publié en 2010 aux éditions Grasset, prix Goncourt du premier roman et traduit en vingt langues, relatant le véritable récit de l’Opération Anthropoid, durant laquelle deux résistants tchécoslovaques furent envoyés pour assassiner Reinhard Heydrich, chef de la Gestapo et des services secrets nazis. Le cinéaste français Cédric Jimenez (Aux yeux de tous, La French), s’empare de cette histoire romanesque à part entière et convoque un casting international pour son premier long métrage en langue anglaise.

Au début des années 1930, Reinhard Heydrich, militaire déchu renvoyé de la Reichsmarine, rejoint le nazisme sur la suggestion de sa femme Lina. Il devient alors le bras droit du chef de la SS naissante, Heinrich Himmler. Celui-ci le nomme en 1939 à la tête du RSHA, l’organe principal de police secrète et judiciaire du Reich, dont l’une des sections est la célèbre Gestapo. Principal adjoint de Himmler, il est l’un des hommes les plus puissants du régime. En septembre 1941, Hitler lui donne en complément les attributions de vice-gouverneur de Bohême-Moravie, la partie occupée de la Tchécoslovaquie : pour cela, il a des bureaux à Prague où il règne en maître, car le gouverneur en titre Konstantin von Neurath est vieillissant et malade. Comme Heydrich est resté chef du RSHA, il a aussi pour mission de mener à son terme le plan déjà entamé d’extermination des Juifs d’Europe : la « solution finale de la question juive ». Par ailleurs, ayant quitté la Tchécoslovaquie en 1939, le Tchèque Jan Kubiš et le Slovaque Jozef Gabčík sont engagés depuis 1940 aux côtés de la Résistance pour lutter contre l’occupation allemande. Après un entraînement prolongé en Grande-Bretagne, les deux jeunes soldats se portent volontaires pour une mission secrète aussi importante que risquée : éliminer le général de la police SS Heydrich. La veille de la Saint-Sylvestre 1941, ils sont parachutés à proximité de Prague et, pendant plusieurs mois, sont hébergés par des familles pragoises, dont les Moravec et les Novak. Jan fait ainsi la connaissance d’Anna Novak, mais il sait que sa mission doit passer avant l’amour.

A l’instar de ses deux précédents films, Cédric Jimenez fait preuve d’un véritable savoir-faire derrière la caméra. Sa mise en scène spectaculaire démontre un vrai sens visuel. Comme pour Aux yeux de tous et pour La French, la forme l’emporte malheureusement sur le fond et demeure glacial. L’ascension fulgurante de Reinhard Heydrich, militaire déchu, entraîné vers l’idéologie nazie par sa femme Lina est un sujet en or, mais HHhH apparaît finalement plus comme une démonstration technique, impressionnante certes, mais qui laisse quelque peu le spectateur en dehors. L’assassinat de Reinhard Heydrich avait déjà inspiré le cinéma, à l’instar de Fritz Lang avec son formidable Les Bourreaux meurent aussi, réalisé juste après la mort du Reich Protektor, ou bien encore Douglas Sirk pour Hitler’s Madman, également sorti en 1943 et même encore dernièrement Sean Ellis avec son Opération Anthropoid sorti en 2016, avec Jamie Dornan, Cillian Murphy et Charlotte Le Bon. Disposant d’un budget de près de 30 millions d’euros, Cédric Jimenez soigne chaque plan et semble finalement plus intéressé par ses effets de style (ralentis, atmosphère vaporeuse), que par l’histoire, ou plutôt les deux récits entrecroisés qu’il raconte.

Rien à redire sur les comédiens. Jason Clarke (Zero Dark Thirty, La Planète des Singes : L’Affrontement, Terminator: Genisys) joue admirablement de son regard polaire et de son terrifiant visage anguleux, tout en laissant transparaître l’homme derrière le monstre. Même chose pour Rosamund Pike avec son élégance ambigüe, dont on regrette le sacrifice du personnage à mi-temps, même si l’aura du couple principal plane sur le reste du film. Jack O’Connell (l’une des grandes révélations du cinéma britannique depuis dix ans), Jack Reynor (vu dans Detroit et Sing Street), la lumineuse Mia Wasikowska, sans oublier la participation des français Gilles Lellouche et Céline Salette, déjà présents dans La French, complètent un casting exceptionnel.

Si HHhH manque d’âme et croule sous la musique – pourtant belle – de Guillaume Roussel, l’histoire ne laisse pas indifférent, même si la seconde partie, celle consacrée aux résistants, n’a pas autant d’impact que celle centrée sur Heidrich. On se laisse finalement emporter par ce flux d’images et par des séquences d’action et d’affrontements efficaces et divertissantes.

LE BLU-RAY

Le test de l’édition Haute-Définition de HHhH, disponible chez TF1 Studio, a été réalisé à partir d’un check-disc. Le menu principal est animé et musical.

On commence les suppléments par un making of (22’) essentiellement constitué d’entretiens avec le réalisateur Cédric Jimenez (in english « in ze text »), les comédiens Jason Clarke, Rosamund Pike et Jack Reynor, mais aussi de quelques images de tournage. Le metteur en scène revient sur sa découverte du roman de Laurent Binet et sur la proposition du producteur Ilan Goldman de le transposer au cinéma. Plus basiques, les acteurs interviennent sur les personnages et leurs motivations.

A cela s’ajoute un formidable et passionnant entretien (46’) de Johann Chapoutot, professeur d’histoire contemporaine à la Sorbonne. Ce spécialiste du nazisme explore la vie, la personnalité, la carrière, l’ascension, la mort et ses conséquences de Reinhard Heydrich, les étapes successives (montrées ou non dans le film de Cédric Jimenez) et circonstances sociales et politiques qui l’ont conduit à rejoindre la SS. Si divers extraits de HHhH illustrent parfois trop longuement cette présentation, ce module très informatif est exposé brillamment. Dans la dernière partie, Johann Chapoutot évoque l’apparition du personnage d’Heydrich au cinéma et dans le domaine littéraire. Il donne également son avis sur le livre (qu’il encense) et le film HHhH, affirmant que ce dernier est digne du livre dont il est tiré.

L’Image et le son

TF1 Studio prend soin du service après-vente du film de Cédric Jimenez. Voici donc un très beau master HD. Respectueuse des volontés artistiques originales concoctées par Laurent Tangy, qui avait précédemment signé la photographie de La French, Radiostars et 20 ans d’écart, la copie de HHhH se révèle un petit bijou technique avec des teintes vives et malgré tout réalistes, un grain argentique palpable (tournage réalisé en 35mm), le tout soutenu par un encodage AVC solide. Le piqué, tout comme les contrastes, sont tranchants, les arrière-plans sont magnifiquement détaillés, le relief omniprésent et les détails foisonnants sur le cadre large. Malgré tout, signalons que les séquences en basse lumière manquent de définition par rapport au reste, mais rien de rédhibitoire. Le Blu-ray était l’écrin tout désigné pour découvrir ce film qui mérite une seconde chance après un résultat décevant dans les salles.

L’éditeur a également soigné le confort acoustique et livre deux mixages DTS-HD Master Audio 5.1 français et anglais, aussi probants dans les scènes d’action et de fusillades que dans les séquences plus calmes. Les pics de violence peuvent compter sur une balance impressionnante des frontales comme des latérales. Les effets annexes sont omniprésents et dynamiques, les voix solidement exsudées par la centrale, tandis que le caisson de basses souligne efficacement chacune des séquences au moment opportun. La spatialisation musicale est luxuriante avec un net avantage pour la version originale. L’éditeur joint également une piste Audiodescription ainsi que les sous-titres français destinés au public sourd et malentendant. Les sous-titres français sont imposés sur la version originale et le changement de langue verrouillé à la volée. 

Crédits images : © TF1 Studio / Mars Films / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

Test DVD / Le Chanteur de Gaza, réalisé par Hany Abu-Assad

LE CHANTEUR DE GAZA (Ya tayr el tayer) réalisé par Hany Abu-Assad, disponible en DVD chez TF1 Studio le 12 septembre 2017

Acteurs :  Tawfeek Barhom, Kais Attalah, Hiba Attalah, Ahmed Al Rokh, Abdel Kareem Barakeh, Nadine Labaki…

Scénario : Hany Abu-Assad, Sameh Zoabi

Photographie : Ehab Assal

Musique : Hani Asfari

Durée : 1h35

Date de sortie initiale : 2015

LE FILM

Un jeune Palestinien prend son destin en main pour réaliser son plus grand rêve : chanter.

Bon alors, même si Le Chanteur de Gaza demeure un film honnête et attachant, on pouvait s’attendre à mieux et surtout à plus ambitieux de la part du réalisateur néerlando-palestinien Hany Abu-Assad né à Nazareth en 1961. S’il fait aujourd’hui partie des réalisateurs contemporains importants de la Palestine, on se souvient notamment de son film le plus célèbre et controversé Paradise Now (2005) qui narrait l’histoire fictive de deux kamikazes palestiniens, depuis leurs recrutements jusqu’à l’attentat suicide à Tel Aviv, Hany Abu-Assad revient avec un film (trop) modeste sur la forme. Centré sur le véritable récit de Mohammad Assaf, chanteur palestinien qui à 23 ans a remporté le premier titre de la deuxième saison du programme de téléréalité Arab Idol en 2013, Le Chanteur de Gaza ne laisse évidemment pas indifférent par son sujet, mais déçoit par sa mise en scène scolaire et son montage franchement rudimentaire, même s’il s’agit du premier film tourné – limité à deux jours de tournage par les autorités israéliennes – dans la bande de Gaza depuis plus de 20 ans.

Elevé dans un camp de réfugiés à Gaza, le jeune Mohammed Assaf est passionné par le charme de la musique depuis son enfance lorsqu’il chantait déjà dans les mariages ou autres réceptions privées. Mais aujourd’hui âgé de vingt-cinq ans, le jeune homme ambitieux souhaite plus que tout réussir à concrétiser son plus grand rêve : devenir un grand chanteur. Aussi décide-t-il de voyager de la bande de Gaza jusqu’en Egypte afin de participer à l’émission télévisée « Arab Idol ». Sans passeport, il parvient à passer la frontière au cours d’un dangereux périple et à atteindre l’hôtel où se déroulent les auditions.

Paradise Now était le premier film palestinien à remporter le Golden Globe du meilleur film en langue étrangère, ainsi que le premier film représentant la Palestine à être nommé à l’Oscar dans la même catégorie. Autant dire que Le Chanteur de Gaza ne joue pas dans la même catégorie et que le metteur en scène Hany Abu-Assad semble ici peu inspiré, probablement confiant dans un sujet qu’il sait fort, engagé et à portée universelle. Largement inspiré par le Slumdog Millionaire de Danny Boyle et Loveleen Tandan, sans la frénésie et la virtuosité, ce film se contente la plupart du temps d’enchaîner les « passages obligés » d’un biopic, autrement dit l’enfance de Mohammad Assaf aux côtés de sa fratrie dans un camp de réfugiés, ses premiers cours de chant et prestations lors de mariages, ses progrès, le trauma qui sera à l’origine de son envie de chanter devant le monde entier (la perte de sa petite sœur), ses doutes, son succès, son triomphe international. Une aura importante qui lui permettra d’être nommé ambassadeur de bonne volonté pour la paix par l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient, ainsi qu’ambassadeur de la culture et des arts par le gouvernement palestinien.

Le Chanteur de Gaza est un « joli » film, mais il est dommage d’avoir confié le rôle de Mohammad Assaf (dans sa partie jeune adulte) au jeune comédien Tawfeek Barhom, peu convaincant, et que cette success story courageuse et optimiste tire un peu trop sur la corde sensible, ce dont elle pouvait aisément se passer.

LE DVD

Le test du DVD du Chanteur de Gaza, disponible chez TF1 Studio, a été réalisé à partir d’un check-disc. Le menu principal est animé et musical.

Aucun supplément sur cette édition et pas d’édition HD pour ce titre.

L’Image et le son

Hany Abu-Assad peut compter sur TF1 Studio pour le service après-vente du Chanteur de Gaza. En effet, l’éditeur livre un très beau master aux contrastes solides et à la luminosité constante. Le piqué est fort agréable, les ambiances diurnes chatoyantes, la colorimétrie est vive et saturée, et le relief probant aux quatre coins du cadre large. Seuls quelques petits fourmillements sur les arrière-plans viennent ternir quelque peu le visionnage, mais rien de bien méchant.

Seule la version originale est disponible en Stéréo et DD 5.1. Cette dernière piste aurait mérité d’être un peu plus dynamique, mais les latérales distillent quelques petites ambiances musicales et naturelles avec suffisamment de punch. Les dialogues sont précis, dynamiques, la balance frontale équilibrée et le caisson de basses accompagne doucement l’ensemble. La version Stéréo remplit aisément son contrat grâce à une réelle homogénéité entre les dialogues, la musique et les effets annexes. Les sous-titres sont incrustés directement sur l’image.

Crédits images : © La Belle CompanyCaptures DVD : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

 

Test Blu-ray / La Femme du boulanger, réalisé par Marcel Pagnol

LA FEMME DU BOULANGER réalisé par Marcel Pagnol, disponible en Blu-ray chez Compagnie Méditérranéenne de Films – Marcel Pagnol

Acteurs :  Raimu, Ginette Leclerc, Charles Moulin, Fernand Charpin, Robert Vattier, Alida Rouffe, Maximilienne, Robert Bassac, Édouard Delmont, Charles Blavette, Odette Roger, Paul Dullac, Julien Maffre, Marcel Maupi, Jean Castan…

Scénario : Marcel Pagnol, d’après un épisode de Jean le Bleu de Jean Giono

Photographie : Georges Benoît

Musique : Vincent Scotto

Durée : 2h14

Date de sortie initiale : 1938

LE FILM

Dans un village de Haute Provence, un boulanger récemment installé découvre un matin que sa jeune femme est partie avec un berger. Il décide de faire la grève du pain tant que sa femme n’est pas revenue. Le village se mobilise afin de retrouver sa boulangère.

« Ah ! Te voilà, toi ? Regarde, la voilà la pomponnette… Garce, salope, ordure, c’est maintenant, que tu reviens ? Et le pauvre pompon, dis, qui s’est fait un mauvais sang d’encre ! Il tournait, il virait, il cherchait dans tous les coins… Plus malheureux qu’une pierre, il était… Et elle, pendant ce temps-là avec ses chats de gouttières… Des inconnus, des bons à rien… Des passants du clair de lune. Qu’est-ce qu’ils avaient, dis, de plus que lui ? »

Réalisé en 1938 et se plaçant pour ainsi dire au beau milieu de sa filmographie, La Femme du boulanger est sans doute le plus grand et le plus émouvant film de Marcel Pagnol (1895-1974). Ce dixième long métrage, situé entre Le Schpountz (1938) et La Fille du puisatier (1940), condense toute la verve de son auteur et offre à l’immense Raimu le plus grand rôle de sa carrière.

Aimable Castanier, le nouveau boulanger du village de Sainte-Cécile, en Provence, n’a pas son pareil pour faire du bon pain. Sa jeune épouse Aurélie tient la caisse. Belle et toujours silencieuse, elle s’ennuie manifestement entre un trop vieux mari et de trop rares clients. Un jour, elle se laisse séduire par un avenant jeune homme, prénommé Dominique, le berger du marquis Castan de Venelles. N’y tenant plus, elle s’enfuit une nuit avec celui-ci. L’infortune du boulanger amuse tout d’abord le village, qui en fait des gorges chaudes. Mais Aimable, désespéré, s’enivre et veut se pendre. Du coup, les habitants s’inquiètent. Vont-ils être définitivement privés de bon pain ?

Si le scénario et les dialogues sont bel et bien signés Marcel Pagnol, l’histoire s’inspire librement d’un épisode de Jean le Bleu de Jean Giono. Le cinéaste adaptera quatre œuvres de l’écrivain, Jofroi de la Maussan pour Jofroi, Un de Baumugnes pour Angèle, Regain pour le film du même nom et donc cette Femme du boulanger. Certes, la mise en scène n’a rien d’exceptionnel et ne l’a jamais été chez Marcel Pagnol, mais c’est ici la quintessence de sa direction d’acteurs et de sa virtuosité des dialogues.

« Mais elle, si elle savait parler, ou si elle n’avait pas honte – ou pas pitié du vieux Pompon – elle me dirait : « ils étaient plus beaux. » Et qu’est-ce que ça veut dire, beau ? Et la tendresse alors, qu’est-ce que tu en fais ? Dis, tes ministres de gouttières, est-ce qu’ils se réveillaient, la nuit, pour te regarder dormir ? (La chatte, tout à coup, s’en va tout droit vers une assiette de lait qui était sur le rebord du four, et lape tranquillement.) Voilà. Elle a vu l’assiette de lait, l’assiette du pauvre Pompon. Dis, c’est pour ça que tu reviens ? Tu as eu faim et tu as eu froid ?… Va, bois-lui son lait, ça lui fait plaisir… Dis, est-ce que tu repartiras encore ? » 

A travers l’histoire de ce pauvre Aimable, quitté par sa femme beaucoup plus jeune que lui pour un bel étalon, c’est le portrait de toute une communauté que dresse le réalisateur. Le scénario est constitué de scènes qui s’apparentent à ses sketches entrelacés, avec une multitude de personnages qui gravitent autour d’Aimable, dont les conversations n’apportent pas grand-chose à l’intrigue centrale, mais qui lui donnent pourtant toute son âme. Si l’excuse des gens du village pour se mettre à la recherche d’Aurélie – Ginette Leclerc, toujours aussi provocante dans un rôle proposé à Joan Crawford ! – est de ne pas être privés de pain, la pudeur ne leur fera pas admettre qu’il s’agit aussi et surtout de sauver la bonne âme d’Aimable, qui arrive au bout du rouleau, au point de vouloir se suicider.

Avec une immense délicatesse, Raimu passe du rire aux larmes. Louis de Funès louait la capacité du comédien à jouer sur le fil tendu entre la comédie et la tragédie, tandis qu’Orson Welles le considérait comme le plus grand acteur du cinéma. Il est fantastique, capable de briller face caméra, mais aussi de mettre en valeur ses partenaires tels que Fernand Charpin, succulent dans le rôle du marquis Castan de Venelles, Robert Vattier, génial curé du village, Robert Bassac (l’instituteur), Alida Rouffe (Céleste, la bonne du curé), et tout un tas d’acteurs fidèles à Marcel Pagnol que l’on retrouve de film en film avec toujours le même plaisir. La Femme du boulanger est un film aussi simple qu’admirable, réalisé et joué avec un coeur immense.

LE BLU-RAY

Le Blu-ray de La Femme du boulanger, disponible chez Compagnie Méditérranéenne de Films – Marcel Pagnol, repose dans un slim-digipack élégant avec le profil de Raimu en guise de visuel. Le menu principal est animé sur une séquence du film.

Comme suppléments, l’éditeur joint uniquement une galerie de photographies, ainsi qu’un comparatif avant/après la restauration.

L’Image et le son

La Femme du boulanger a été restauré en 4K, image par image, à partir des bobines nitrate, par la compagnie Hiventy en 2016. Que les cinéphiles soient rassurés, la très longue attente de voir débarquer le chef d’oeuvre de Marcel Pagnol en DVD et même en Blu-ray est largement récompensée ! Le master au format d’origine 1.33 est superbe. La propreté est remarquable, le cadre stable, la clarté éloquente, le piqué aiguisé et surtout le grain préservé et excellement géré. Les quelques plans flous semblent d’origine et la restauration a voulu conserver les partis pris originaux. C’est superbe et le titre tire constamment profit de son upgrade en Haute-Définition.

Egalement restaurée, la piste DTS-HD Master Audio Mono 2.0 instaure un haut confort acoustique avec des dialogues percutants (peu de répliques chuintantes ou sourdes à déplorer) et une très belle restitution des ambiances annexes. Aucun souffle sporadique ni aucune saturation à l’horizon. L’éditeur joint également les sous-titres anglais et français destinés au public sourd et malentendant, ainsi qu’une piste Audiodescription.

Crédits images : © CMF-MPC / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

Test Blu-ray / Le Corbeau, réalisé par Henri-Georges Clouzot

LE CORBEAU réalisé par Henri-Georges Clouzot, disponible Blu-ray le 17 octobre 2017 chez Studiocanal

Acteurs :  Pierre Fresnay, Pierre Larquey, Micheline Francey, Ginette Leclerc, Noël Roquevert, Héléna Manson…

Scénario : Henri-Georges Clouzot, Louis Chavance

Photographie : Nicolas Hayer

Musique : Tony Aubin

Durée : 1h31

Date de sortie initiale : 1943

LE FILM

Médecin d’un petit village du cœur de la France , le docteur Rémy Germain est la victime d’un corbeau, qui l’accuse d’adultère et de pratique illégale de l’avortement. Rapidement, les lettres infamantes se multiplient et personne dans le village n’est épargné par les ragots qui engendreront alors cabales, drames et règlements de comptes. Seul contre tous, le docteur Germain va mener son enquête et découvrir, en même temps que le coupable, les bassesses et la mesquinerie dont peuvent être capables ses concitoyens.

« Vous êtes formidable, vous croyez que les gens sont tout bon ou tout mauvais, vous croyez que le bien c’est la lumière et que l’ombre c’est le mal. Mais où est l’ombre ? Où est la lumière ? Où est la frontière du mal ? Savez-vous si vous êtes du bon ou du mauvais côté ? »

Henri-Georges Clouzot rencontre le succès dès son premier long métrage, L’Assassin habite au 21, d’après le roman de Stanislas-André Steeman. Il enchaîne directement avec Le Corbeau, sur un scénario de Louis Chavance, d’après un fait divers authentique qui s’est déroulé à Tulle de 1917 à 1922, période durant laquelle 110 lettres anonymes avaient été envoyées à l’ensemble de la population. Tourné pour la société de production Continental-Films, active durant l’Occupation, et financée par des capitaux allemands, créée en 1940 par Joseph Goebbels dans un but de propagande et cependant dirigée par le francophile Alfred Greven qui tiendra peu compte des ordres politiques reçus de Berlin, Le Corbeau s’accompagne d’un parfum sulfureux et demeure la plus grande radiographie de la société française de l’époque.

Les notables de Saint-Robin, petite ville de province, commencent à recevoir des lettres anonymes signées « Le Corbeau », dont le contenu est calomnieux. Ces calomnies se portent régulièrement sur le docteur Rémi Germain, ainsi que sur d’autres personnes de la ville. Les choses se gâtent lorsque l’un des patients du docteur Germain se suicide, une lettre lui ayant révélé qu’il ne survivrait pas à sa maladie. Le docteur Germain enquête pour découvrir l’identité du mystérieux « Corbeau ». Tour à tour, plusieurs personnes sont soupçonnées et les lettres infamantes se multiplient.

Comme ce sera le cas dans l’ensemble de ses films, Henri-Georges Clouzot n’épargne personne dans Le Corbeau, et surtout pas les bourgeois. Ici, tout le village est touché. En 1943 (l’Occupation n’est pas mentionnée et d’ailleurs rien n’indique la date à laquelle se déroule le récit), il en faut peu pour que le fragile équilibre se délite. La suspicion règne et l’on passe facilement de victime à coupable suite aux commérages qui prolifèrent.

Le Corbeau rend compte de l’atmosphère irrespirable où tout le monde en venait à s’espionner, se craindre, au rythme des courriers qui se multiplient comme un virus contagieux qui se répand d’une maison à l’autre. Clouzot s’amuse avec un humour noir à regarder ses concitoyens avec l’oeil d’un entomologiste. Plongez des êtres humains dans une situation inexpliquée avec quelques informations diffamatoires, secouez un peu le tout, laissez agir puis analysez le précipité qui en découle. L’hystérie collective n’est pas loin. Ne reste plus qu’à Clouzot qu’à brosser le portrait de personnages, tout autant d’électrons qui s’agitent autour du noyau central interprété par l’immense Pierre Fresnay, tous remarquablement incarnés par une ribambelle de comédiens épatants tels Ginette Leclerc et son regard langoureux, Pierre Larquey, Micheline Francey, Noël Roquevert, Jeanne Fusier-Gir, qui pour la plupart reviendront d’un film à l’autre de Clouzot.

Résolument sombre et violent (même une petite fille tente de se suicider), Le Corbeau est le premier vrai tour de force d’Henri-Georges Clouzot, qui peint un portrait corrosif de la France, l’acide sulfurique remplaçant alors la gouache. À cela s’ajoute une photo très contrastée de Nicolas Hayer, Clouzot ayant été très souvent inspiré par l’expressionnisme allemand. Si le film est un triomphe à sa sortie, Henri-Georges Clouzot connaît la période la plus troublée de sa vie. A la Libération, le film est perçu par la résistance et par la presse communiste de l’époque comme antifrançais, comme si les patriotes pouvaient s’adonner à la délation, ce qui est inconcevable enfin ! Du pain béni pour les détracteurs de Clouzot qui n’hésitaient pas à déclarer que le réalisateur servait ainsi la propagande nazie. Accusé de dénigrer le peuple français, le cinéaste est littéralement banni à vie du métier de metteur en scène en France et le film est interdit. Ces deux interdictions seront heureusement levées dès 1947, après que Clouzot ait été soutenu par quelques grands noms du cinéma (Jacques Becker, Henri Jeanson). Son film peut enfin être redécouvert.

Le Corbeau est le premier chef d’oeuvre incontesté d’Henri-Georges Clouzot, référence du Whodunit et entraînera même un remake aux Etats-Unis, La Treizième LettreThe Thirteenth Letter, réalisé par Otto Preminger en 1951, avec Charles Boyer.

LE BLU-RAY

Le test du Blu-ray du Corbeau, disponible chez Studiocanal, a été réalisé à partir d’un check-disc. Le menu principal est sobre, animé sur quelques séquences du film.

L’éditeur joint un seul documentaire sur ce Blu-ray. Le Chef d’oeuvre maudit d’Henri-Georges Clouzot (26’), donne la parole à Pierre-Henri Gibert (réalisateur du Scandale Clouzot) et Claude Gauteur (historien, auteur de Henri-Georges Clouzot, l’oeuvre fantôme, chez LettMotif). Dans ces entretiens croisés, les intervenants dissèquent à la fois le fond (« un témoignage passionnant de la situation de la France durant l’ Occupation », le scénario inspiré d’un fait divers) et la forme, replacent Le Corbeau dans l’oeuvre du cinéaste (première fois qu’il détient les pleins pouvoirs sur un film), mais évoquent aussi et surtout les conditions de production (la Continental), sans oublier l’interdiction du film à la Libération et la sanction envers Clouzot qui à la base devait ne plus avoir le droit d’exercer son métier à vie ! Si ce module remplit bien son contrat, il est dommage que Studiocanal n’ait pas pu reprendre la présentation du Corbeau par Bertrand Tavernier et Jacques Siclier, disponible sur l’édition DVD sortie en 2003.

L’Image et le son

Le premier chef d’oeuvre d’Henri-Georges Clouzot nous apparaît en édition HD restaurée en 4K par le laboratoire Eclair, à partir du négatif original. Et voilà un Blu-ray qui en met souvent plein les yeux avec une définition qui laisse pantois. Le nouveau master HD au format 1080p/AVC ne cherche jamais à atténuer les partis pris esthétiques originaux. La copie se révèle souvent étincelante et pointilleuse en terme de piqué (les scènes en extérieur), de gestion de contrastes (noirs denses, blancs lumineux, richesse des gris), de détails ciselés et de relief. La propreté de la copie est sidérante, la stabilité est de mise, la photo retrouve une nouvelle jeunesse doublée d’un superbe écrin, et le grain d’origine a heureusement été conservé. Les fondus enchaînés sont vraiment les seuls moments où la définition décroche quelque peu, mais cela ne dure que quelques secondes. L’ensemble reste fluide et réellement plaisant. Il serait difficile de faire mieux sans que cela dénature les volontés artistiques.

L’éditeur est aux petits soins avec le film d’Henri-Georges Clouzot puisque la piste mono bénéficie d’un encodage en DTS HD-Master Audio. Si quelques saturations et chuintements demeurent inévitables, ainsi qu’un très léger souffle, l’écoute se révèle équilibrée. Aucun craquement intempestif ne vient perturber l’oreille des spectateurs, les ambiances sont précises. Si certains échanges manquent de punch et se révèlent moins précis, les dialogues sont dans l’ensemble clairs, dynamiques. Les sous-titres anglais et français destinés au public sourd et malentendant sont également disponibles.

Crédits images : © Studiocanal / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

Test Blu-ray / Paranoïaque, réalisé par Freddie Francis

PARANOIAQUE (Paranoiac !) réalisé par Peter Graham Scott, disponible en DVD et combo Blu-ray+DVD le 9 novembre 2017 chez Elephant Films

Acteurs :  Janette Scott, Oliver Reed, Sheila Burrell, Maurice Denham, Alexander Davion, Liliane Brousse…

ScénarioJimmy Sangster, d’après le roman de Josephine Tey – Brat Farrar

Photographie : Arthur Grant

Musique : Elisabeth Lutyens

Durée : 1h20

Date de sortie initiale : 1963

LE FILM

Depuis la mort de ses parents dans un accident, Simon Ashby, un jeune homme mentalement très dérangé, vit avec sa tante très attentionnée dans leur superbe demeure des environs de Londres. Lors d’un service funèbre en mémoire du couple disparu, Eleanor, la soeur de Simon, aperçoit la silhouette de leur frère Tony, qui s’est suicidé voilà sept ans. Sa tante et son frère n’accordent aucun crédit à ses déclarations et s’empressent de la croire folle. Le retour d’un Tony bien réel la sauve d’un internement. Tony explique avoir seulement disparu. Il est victime de nombreuses tentatives d’assassinat, alors même qu’il s’éprend de sa soeur…

Même si la Hammer Films demeure emblématique de l’épouvante et du fantastique au cinéma, celle-ci était pourtant loin de se cantonner aux genres qui lui ont donné ses lettres de noblesse. Des films de pirates et d’aventures sont nés également au sein de la Hammer, y compris des thrillers dramatiques et psychologiques, à l’instar de Paranoïaque (Paranoiac pour les puristes), réalisé par Freddie Francis en 1963, qui découle de deux des plus grands films de l’histoire du cinéma qui venaient alors de secouer la planète entière, Les Diaboliques d’Henri-Georges Clouzot (1955) et Psychose d’Alfred Hithcock (1960). Opus méconnu de la société de production britannique, Paranoïaque s’avère un film très étonnant, osé et moderne, emblématique de l’ambition et de l’éclectisme de la Hammer.

La famille Ashby est affectée par deux drames : la mort du père et de la mère, il y a onze ans, dans un accident d’avion, et celle de leur fils, il y a huit ans, suicidé à cause d’un mal de vivre qu’il traînait depuis leur disparition. Les autres enfants, Simon et Eleanore, furent placés sous la coupe de leur tante et, tous les ans, en commémoration de ce tragique événement, a lieu une messe. C’est au cours de celle-ci qu’Eleanore aperçoit un homme ressemblant à son frère décédé, Anthony. Taxée de folle, et Simon (alcoolique notoire) ne lui accordant aucune attention, négociant déjà l’héritage qu’il touchera dans trois semaines, la progéniture Ashby va mal.

Si Paranoïaque est une réussite de plus de la Hammer, cela est dû avant tout au choix du metteur en scène, Freddie Francis (1917-2007), qui est à l’époque un chef opérateur très convoité, à qui l’on doit les images inoubliables des Innocents de Jack Clayton (1961), qui avait auparavant travaillé Jack Cardiff sur Amants et filsSons and Lovers (1960), pour lequel il avait remporté l’Oscar de la meilleure photographie. Après cette récompense suprême, Freddie Francis décide de passer à la réalisation. Outre Paranoïaque, il signera L’Empreinte de Frankenstein, Dracula et les femmes, Hysteria et Meurtre par procuration, pour le compte de la Hammer. S’il mettra en scène d’autres films dans les années 1970-80, Freddie Francis réalisera également les inoubliables photographies d’Elephant Man, Dune et Une histoire vraie pour David Lynch, mais aussi celle du remake des Nerfs à vif par Martin Scorsese, ainsi que celle de Glory d’Edward Zwick, qui lui vaudra un second Oscar. Mais pour l’heure, Paranoïaque démontre tout son savoir-faire derrière la caméra.

Il fait tout d’abord appel au chef opérateur Arthur Grant, grand nom de la Hammer, qui réalise une splendide photographie N&B très contrastée. D’autre part, Freddie Francis se révèle être un formidable directeur d’acteurs, même si Oliver Reed (qui sortait de La Nuit du Loup-Garou et du Fascinant Capitaine Clegg) ne s’est jamais réellement fait « diriger ». Le comédien livre une prestation complètement dingue et son personnage de frangin déséquilibré, libidineux et porté sur la bibine – les verres qu’il s’envoie du début à la fin ne semblent pas contenir du jus de fruit – fait l’intérêt du film. Parallèlement, la trame faite de rebondissements en tous genres, flirte aussi avec la censure, qui avait déjà fait réécrire le film en raison, avec une double sous-intrigue incestueuse où une tante (géniale Sheila Burrell) entretient une évidente relation avec son neveu (Oliver Reed), tandis qu’une jeune femme (Janette Scott) s’éprend de celui qui dit être son frère (Alexander Davion), que tout le monde croyait mort.

Secrets de famille dissimulés derrière les belles façades d’une vieille demeure ancestrale de la campagne anglaise, perversion, inceste, usurpation d’identité, quasi-nécrophilie, cadavre dissimulé dans le placard (au sens propre comme au figuré), le panier est lourd, mais Freddie Francis et le scénariste Jimmy Sangster parviennent à rendre Paranoïaque miraculeusement divertissant, tout en flattant l’oeil et les désirs des cinéphiles.

LE BLU-RAY

Paranoïaque est disponible en DVD et combo Blu-ray/DVD chez Elephant Films. Cette édition contient également un livret collector de 20 pages, ainsi qu’une jaquette réversible avec choix entre facings « moderne » ou « vintage ». Le boîtier Blu-ray est glissé dans un fourreau. Le menu principal est animé et musical.

Bravo à Elephant Films qui nous livre ici l’une de ses meilleures présentations. On doit cette grande réussite à Nicolas Stanzick, auteur du livre Dans les griffes de la Hammer : la France livrée au cinéma d’épouvante. Dans un premier module de 10 minutes, ce dernier nous raconte l’histoire du mythique studio Hammer Film Productions. Comment le studio a-t-il fait sa place dans l’Histoire du cinéma, comment le studio a-t-il réussi l’exploit de susciter un véritable culte sur son seul nom et surtout en produisant de vrais auteurs ? Comment les créateurs du studio ont-ils pu ranimer l’intérêt des spectateurs pour des mythes alors tombés en désuétude ou parfois même devenus objets de comédies ? Nicolas Stanzick, érudit, passionnant, passe en revue les grands noms (Terence Fisher bien évidemment, Christopher Lee, Peter Cushing) qui ont fait le triomphe de la Hammer dans le monde entier, mais aussi les grandes étapes qui ont conduit le studio vers les films d’épouvante qui ont fait sa renommée. Voilà une formidable introduction !

Retrouvons ensuite Nicolas Stanzick pour la présentation de Paranoïaque (15’). Evidemment, ce module est à visionner après avoir vu ou revu le film puisque les scènes clés sont abordées. Comme lors de sa présentation de la Hammer, Nicolas Stanzick, toujours débordant d’énergie et à la passion contagieuse, indique tout ce que le cinéphile souhaiterait savoir sur la production de Paranoïaque. Le journaliste replace donc ce film dans l’histoire de la Hammer Films, au moment où le studio souhaitait s’orienter vers d’autres genres afin de ne pas rester enfermé dans le domaine de l’horreur gothique. Les triomphes des Diaboliques et surtout de Psychose donnent l’idée à la Hammer de mettre en route quelques thrillers psychologiques et horrifiques (le plus souvent en N&B), dont le film de Freddie Francis. La carrière de ce dernier, ainsi que le travail – et l’influence – du scénariste Jimmy Sangster, les démêlés avec la censure (qui considérait le premier scénario comme étant une « atroce immondice »), le casting, sont abordés avec intelligence et spontanéité.

L’interactivité se clôt sur un lot de bandes-annonces et une galerie de photos.

L’Image et le son

Franchement, nous ne nous attendions pas à un résultat aussi beau. Malgré quelques légères imperfections, ce nouveau master restauré HD (1080p, AVC) s’impose aisément comme l’une des plus belles surprises de cette fin d’année. Ce qui frappe d’emblée, mis à part le fantastique usage du cadre large, c’est la densité du N&B et la profondeur de champ qui est souvent admirable. La photo est formidablement nuancée avec une large palette de gris, un blanc lumineux et des noirs profonds. La gestion du grain est fort plaisante. La copie est lumineuse et le rendu des textures est très réaliste.

Le film est disponible en version originale ainsi qu’en version française DTS HD Master Audio mono d’origine. Sans surprise, la piste anglaise l’emporte haut la main sur son homologue, surtout du point de vue homogénéité entre les voix des comédiens, la musique et les effets sonores. La piste française est tantôt sourde, tantôt criarde, au détriment des ambiances annexes et de la partition de Elisabeth Lutyens. Dans les deux cas, point de souffle à déplorer, ni aucun craquement. Le changement de langue est possible à la volée et les sous-titres français non imposés.

Crédits images : © Elephant Films / Universal Pictures / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

 

Test Blu-ray / Le Salaire de la peur, réalisé par Henri-Georges Clouzot

LE SALAIRE DE LA PEUR réalisé par Henri-Georges Clouzot, disponible en Édition Digibook Collector Blu-ray + DVD + Livret le 24 octobre 2017 chez TF1 Studio

Acteurs :  Yves Montand, Charles Vanel, Peter van Eyck, Folco Lulli, Véra Clouzot, Dario Moreno, William Tubbs, Jo Dest, Antonio Centa, Darling Légitimus…

ScénarioHenri-Georges Clouzot, Jérôme Géronimi, d’après le roman de Georges Arnaud – Le Salaire de la peur

Photographie : Armand Thirard

Musique : Georges Auric

Durée : 2h32

Date de sortie initiale : 1953

LE FILM

En Amérique Centrale, une compagnie pétrolière propose une grosse somme d’argent à qui acceptera de conduire deux camions chargés de nitroglycérine sur 500 kilomètres de pistes afin d’éteindre un incendie dans un puits de pétrole. Quatre aventuriers sont choisis et entament un voyage long et très dangereux…

Suite à la déconvenue de Miquette et sa mère (1950), son unique comédie, Henri-Georges Clouzot revient à son genre de prédilection, le drame sombre et osons le dire désespéré sur la nature humaine, avec l’un de ses plus grands chefs d’oeuvre, Le Salaire de la peur. En se basant sur le postulat de départ du roman de Georges Arnaud (publié en 1950), le cinéaste trouve matière pour livrer une nouvelle étude du comportement des hommes mis face à une situation extrême. Oeuvre centrale dans la filmographie de son auteur, Le Salaire de la peur a secoué le cinéma mondial, au point de devenir une référence à laquelle moult réalisateurs se réfèrent encore aujourd’hui, à l’instar de William Friedkin qui en signera d’ailleurs un extraordinaire remake en 1977, Le Convoi de la peurSorcerer, ou bien encore Steven Spielberg qui a toujours évoqué le film comme l’un des plus grands chocs de sa vie. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que Le Salaire de la peur, énorme production dont le tournage s’est étalé sur une année entière en raison de problèmes météorologiques, n’a pas pris une ride plus de 65 ans après sa sortie et laisse le spectateur toujours aussi sonné.

L’action se déroule à Las Piedras, un village d’Amérique centrale. Quelques aventuriers européens, échoués là, attendent de gagner l’argent nécessaire pour repartir. Alors qu’un incendie ravage un puits de pétrole exploité par une société américaine situé à quelques centaines de kilomètres, la compagnie recherche quatre hommes pour transporter une cargaison de nitroglycérine, répartie en deux camions, afin d’éteindre le gigantesque brasier. Les Français Jo et Mario, ainsi que l’Italien Luigi et l’Allemand Bimba, sont embauchés. Contre une importante rémunération (2000 dollars par tête de pipe), ils s’engagent alors sur les routes dévastées du pays avec leur cargaison explosive.

Henri-Georges Clouzot se focalise sur une poignée d’hommes qui en fuyant leur passé, se retrouvent à croupir au milieu de nulle part, au milieu de la corruption, de la misère et de l’ennui, en attendant une illusoire échappatoire. Jusqu’à ce qu’une situation inespérée s’offre à eux et peu importe s’ils doivent mettre leur vie en péril, puisqu’ils n’ont absolument plus rien à perdre. Déjà condamnés, les personnages, merveilleusement interprétés par Yves Montand (l’une de ses meilleures incarnations), Charles Vanel, Peter ban Eyck, Folco Lulli et Véra Clouzot dans sa première apparition au cinéma, s’agrippent tout de même à cette dernière chance. Le cinéaste filme son paysage comme un enfer, la petite bourgade imaginaire de Las Piedras comme un résidu de Pandémonium, où les habitants et âmes en transit grillent sous un soleil ardent, en attendant que le temps passe ou qu’un petit boulot se libère. Henri-Georges Clouzot a toujours regardé ses congénères avec l’oeil d’un entomologiste. Pas étonnant que le film démarre par un gros plan sur des insectes, avant de présenter l’artère principale du village où tous les protagonistes vont nous être présentés un par un, avant leur inévitable confrontation.

Certes, l’exposition est longue (une heure), mais finalement ce rythme languissant ne fait qu’appuyer l’expérience physique des protagonistes, dont les corps fatigués, usés par le soleil, ne demandent qu’à se mouvoir, pour pouvoir enfin déguerpir de ce trou à rat. Film de terre et de feu, de poussière, où le pétrole, unique source locale de richesses, semble remplacer l’eau, Le Salaire de la peur est un road-movie existentiel (souvent un pléonasme) où des âmes damnées et déracinées bénéficient d’une dernière chance pour ressusciter et s’enfuir des Enfers. Clouzot filme le parcours de ses personnages comme un chemin de croix, au sens propre comme au figuré d’ailleurs puisque certains anciens ouvriers qui ont perdu la vie durant la construction de dangereux tronçons, ont été ensevelis le long de la voie empruntée. Les épreuves et péripéties se succèdent, certains perdent leur sang-froid, d’autres au contraire se révèlent beaucoup plus téméraires qu’ils ne le laissaient paraître.

Cinéaste fataliste, dont la noirceur n’a d’égale que celle du pétrole, Henri-Georges Clouzot crée une tension de chaque instant par l’intermédiaire du cadre savamment étudié, par un montage nerveux, la sécheresse des paysages (d’autant plus incroyable que le film a été intégralement tourné en extérieur en France, en Camargue plus précisément) par la photo incandescente d’Armand Thirard qui brûle les rétines et par l’absence quasi-totale de musique qui ne fait que renforcer l’aspect parfois documentaire de sa mise en scène. Une fois lancés dans cette aventure de la dernière chance, les personnages ne peuvent plus revenir en arrière, ou alors uniquement pour reprendre un élan qui leur permettra de traverser quelques chemins escarpés, presque en volant comme Icare au-dessus de la route « en tôle ondulée ». Mais ces ailes seront éphémères, brûlées même, puisque le destin n’aura de cesse de les rattraper, jusqu’à les ensevelir sous une nappe de pétrole, qui contrairement à un bain baptismal, se révélera en fait être leur extrême-onction.

Immense succès international à sa sortie (7 millions d’entrées en France), Le Salaire de la peur est récompensé par le BAFTA du Meilleur film en 1955, l’Ours d’or au Festival de Berlin en 1953, le prix d’interprétation masculine pour Charles Vanel et le Grand Prix (équivalent de la Palme d’Or qui n’était pas encore créée à l’époque) du Festival de Cannes la même année.

LE BLU-RAY

Le Blu-ray du Salaire de la peur est disponible chez TF1 Studio (collection Héritage), dans une édition Digibook Collector Blu-ray + DVD + Livret. Le livret retraçant l’histoire du film et présenté par Pascal Mérigeau (52 pages), ne nous a pas été envoyé.

Le premier supplément de cette édition est une rencontre (19’) entre le journaliste Samuel Blumenfeld (Le Monde) et Jean Ollé-Laprune (historien du cinéma). Les deux hommes reviennent sur la genèse du Salaire de la peur, replacent ce chef d’oeuvre dans la filmographie d’Henri-Georges Clouzot (après son film documentaire avorté sur le Brésil), la rencontre du cinéaste avec Véra Clouzot (sur laquelle les deux compères reviendront plus en détails sur l’édition HD des Diaboliques), le roman « très ampoulé, grotesque et qui a très mal vieilli » de Georges Arnaud qui a servi de point de départ pour le réalisateur. L’épopée du tournage en extérieur est ensuite longuement abordée avec la reconstitution de l’Amérique du Sud en Camargue, le tout ponctué par quelques anecdotes de production (les prises de vue ont été interrompues pendant sept mois), ou en mentionnant le retard sur le plan de travail dû à des pluies diluviennes. Ensuite, Samuel Blumenfeld et Jean Ollé-Laprune se penchent un peu plus sur le fond, notamment à partir de la scène emblématique du film, celle du passage du camion dans la nappe de pétrole. Le remake de William Friedkin, que le journaliste adore, au contraire de l’historien du cinéma, est évidemment évoqué, tout comme le méconnu Violent Road de Howard W. Koch, réalisé en 1958, qui s’inspire également du film de Clouzot.

Ne manquez pas l’intervention du brillant réalisateur-scénariste Xavier Giannoli (21’). Posément, le metteur en scène de Quand j’étais chanteur, A l’origine et Marguerite revient sur sa découverte du cinéma d’Henri-Georges Clouzot, avant de disséquer son style, ses personnages et ses thèmes de prédilection, pour ne pas dire ses obsessions. Se dessinent alors les formidables portraits d’un homme complexe et d’un artiste aussi ambitieux que perfectionniste.

Xavier Giannoli laisse ensuite sa place à l’un de ses confrères, le cinéaste sud-coréen Bong Joon-ho (17’). Le réalisateur de Memories of Murder, The Host ou bien encore Snowpiercer, le Transperceneige et Okja, aborde cet entretien en indiquant que Le Salaire de la peur est l’une de ses plus grandes influences, tout en se remémorant la première fois qu’il a vu le film à l’âge de 10 ans. Un traumatisme toujours présent, intact, « une expérience primitive » à laquelle il se réfère constamment. Ensuite, longuement, le réalisateur s’exprime sur la séquence du camion dans la nappe de pétrole et de la jambe broyée du personnage interprété par Charles Vanel. Une scène qu’il revit tout en en parlant. Bong Joon-ho compare Henri-Georges Clouzot au cinéaste japonais Shōhei Imamura, dans leur sens commun d’observation sur les êtres humains, tels des entomologistes, tout en indiquant trouver Clouzot « vraiment cruel, mais d’une cruauté attirante ».

Faisons maintenant un petit tour du côté du laboratoire Hiventy, spécialisé dans la restauration de films, en compagnie de Benjamin Alimi, directeur commercial. Ce dernier nous propose une visite de leurs locaux, tout en abordant chacune des étapes de la restauration du Salaire de la peur. Au total, 500 heures de restauration, à la main, plan par plan, image par image, auront été nécessaires afin de redonner à l’image son éclat original, tout en préservant sa nature argentique et en équilibrant l’étalonnage, les contrastes et la densité du N&B, sous la supervision du chef opérateur Guillaume Schiffman, grand admirateur et connaisseur du travail d’Armand Thirard, directeur de la photographie du chef d’oeuvre d’Henri-Georges Clouzot.

TF1 Studio a également mis la main sur deux documents d’archives (1970 et 1988), dans lesquels Yves Montand s’exprime sur Le Salaire de la peur (3’).

L’interactivité se clôt sur la bande-annonce.

L’Image et le son

Le Salaire de la peur a été restauré en 4K, à partir du négatif original nitrate, scanné en immersion. L’étalonnage a été supervisé par le chef opérateur Guillaume Schiffman (The Artist, les deux opus d’OSS 117), mandaté par TF1 Studio. Le Salaire de la peur renaît littéralement devant nos yeux ébahis, malgré certains contrastes légers et un N&B qui aurait pu être encore plus affirmé, malgré des blancs luminescents. Seul le générique apparaît peut-être moins aiguisé, mais le reste affiche une stabilité exemplaire ! Les arrière-plans sont bien gérés, le grain original est respecté, le piqué est souvent dingue et les détails regorgent sur les visages des comédiens (voir la scène de l’immersion dans le pétrole). La restauration du film est ébouriffante. Aucune rayure, déchirure, aucun éclat de gélatine, scratch, rien ne parasite l’écran. Tout a été éradiqué par le scalpel numérique, l’encodage AVC consolide l’ensemble avec brio du début à la fin, les séquences nocturnes sont certes plus légères, surtout sur les séquences tournées en transparence, mais le relief des matières reste palpable. La photo du chef opérateur Armand Thirard n’a jamais été aussi resplendissante et le cadre au format respecté 1.37, brille de mille feux.

Egalement restaurée à partir d’un contretype sonore, la piste DTS-HD Dual Mono instaure un haut confort acoustique avec des dialogues percutants (peu de répliques chuintantes ou sourdes à déplorer) et une très belle restitution des ambiances annexes. Aucun souffle sporadique ni aucune saturation à l’horizon. L’éditeur joint également les sous-titres français destinés au public sourd et malentendant, ainsi qu’une piste Audiodescription.

Crédits images : © TF1 Studio / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

 

Test Blu-ray / Song to Song, réalisé par Terrence Malick

SONG TO SONG réalisé par Terrence Malick, disponible en DVD et Blu-ray le 1er décembre 2017 chez Metropolitan Vidéo

Acteurs :  Michael Fassbender, Ryan Gosling, Rooney Mara, Natalie Portman, Cate Blanchett, Holly Hunter, Bérénice Marlohe, Val Kilmer, Lykke Li, Iggy Pop, Patti Smith, John Lydon…

ScénarioTerrence Malick

Photographie : Emmanuel Lubezki

Musique : Christopher Bezold

Durée : 2h09

Date de sortie initiale : 2017

LE FILM

Une histoire d’amour moderne, sur la scène musicale d’Austin au Texas, deux couples – d’un côté Faye et le chanteur BV, et de l’autre un magnat de l’industrie musicale et une serveuse – voient leurs destins et leurs amours se mêler, alors que chacun cherche le succès dans cet univers rock’n’roll fait de séduction et de trahison.

Alors que 20 ans séparaient Les Moissons du ciel et La Ligne rouge, Terrence Malick a pris un nouvel envol depuis le triomphe de The Tree of Life (Palme d’or au Festival de Cannes en 2011) puisque seulement deux ans ont séparé les sorties de ce dernier et A la merveille, soit l’écart le plus court entre deux films pour Terrence Malick. Premier opus d’une trilogie « sur la vie », le film reprenait les motifs merveilleusement installés dans The Tree of Life, sans jamais parvenir à retrouver la magie qui s’en dégageait. Sorti en 2015, Knight of Cups était encore plus hermétique et les fans du cinéaste de la première heure commençaient sérieusement à désespérer de le voir à nouveau inspirer. Certains ont même commencé à lui tourner le dos et à prendre la poudre d’escampette. Après un documentaire intitulé Voyage of time : au fil de la vie, narré par Brad Pitt dans la version IMAX et par Cate Blanchett dans la version 35-millimètres, le nouveau Terrence Malick est arrivé dans les salles avec beaucoup d’appréhensions. Il s’agit de Song to Song, qui a changé de titres au fil du tournage (Lawless, Weightless), dont les prises de vue avaient démarré en 2012 et qui se sont étendues sur deux années. C’est un miracle. La réaction chimique qui se créait en visionnant The Tree of Life, est là. Alors qu’A la merveille et Knight of Cups faisaient penser à un montage de « scènes coupées » de The Tree of Life, Song to Song semble être le film que recherchait Terrence Malick à travers ses deux films précédents. Si Song to Song reste indéniablement lié sur le fond (la foi, le souvenir, la passion qui se délite, la solitude, la mélancolie) comme sur la forme aux deux films précédents, il y a en plus ce dont ils étaient dépourvus, l’émotion.

Ça été long, mais nous voilà bien récompensés ! En effet, Song to Song est non seulement une nouvelle expérience sensorielle, mais également un rollercoaster d’émotions, celles qui nous avaient tant subjugués dans The Tree of Life. Puzzle visuel, voix-off qui s’entrelacent, caméra en apesanteur, décors sublimes filmés en lumière naturelle, Song to Song respecte le cahier des charges établi par le cinéaste lui-même avec sa Palme d’Or, tout en s’affranchissant de toutes les autres règles, mais parvient enfin à faire exister ses personnages, dont on se désintéressait totalement dans ses deux derniers longs métrages. Terrence Malick reprend la même structure patchwork poétique, pudique, sensible et lyrique, ainsi que sa caméra légère, aérienne, qui virevolte et caresse les personnages. Alors certes l’usage de plusieurs voix-off demeure franchement dispensables, mais contrairement à A la merveille et surtout à Knight of Cups, celles-ci ne sont en aucun cas mielleuses et indigentes.

Terrence Malick livre une (probable) dernière réflexion sur l’amour dans tous ses états à travers un triangle amoureux, voire un carré de personnages. Des amants qui se perdent en s’aimant, s’effleurent, se murmurent des choses à l’oreille, avec pour la première fois chez Malick, une once de sexualité. Même si le tournage a commencé en 2012, année où elle a véritablement explosé dans Millénium : Les Hommes qui n’aimaient pas les femmes de David Fincher, Song to Song peut se voir comme une ode à la comédienne Rooney Mara. Visiblement fasciné par le visage, la voix, la beauté de l’actrice, le cinéaste la filme sous tous les angles, comme s’il essayait lui-même de percer le mystère hypnotique qu’elle dégage à l’écran. Ses partenaires, Ryan Gosling qui promène son spleen habituel avec son regard de cocker triste, Michael Fassbender tout en mâchoires serrées pour représenter un producteur musical assoiffé de réussite, Natalie Portman solaire, sans oublier les apparitions de Cate Blanchett, Holly Hunter, Bérénice Marlohe, Val Kilmer, mais aussi les chanteurs Lykke Li, Iggy Pop, Patti Smith ont beau marqué le film de leur présence et de leur charisme, Rooney Mara crève une fois de plus l’écran. Terrence Malick semble réellement inspiré par la comédienne, comme un peintre par son modèle et l’empathie se crée, comme si la sensibilité du réalisateur se servait de ce personnage comme d’un vecteur, afin de transmettre ses émotions à l’audience qui voudra bien lui accorder deux heures de leur vie.

Malgré son intrigue improvisée dans la ville d’Austin, célèbre pour ses festivals de musique folk-rock, ses 40 jours de tournage étalés sur deux ans, l’émotion est là, fragmentée comme un coeur en miettes, elle provient des regards, des gestes esquissés ou retenus, chaque plan semble savamment photographié, étudié, superbe, extraordinaire même. C’est une orgie de sens aussi dingue qu’inespérée de la part d’un cinéaste constamment à la recherche du renouvellement, à tâtons, par coups de pinceaux successifs, conscient d’avoir livré des esquisses (A la merveille et Knight of Cups donc), pour enfin livrer la toile convoitée.

LE BLU-RAY

Le Blu-ray de Song to Song est disponible chez Metropolitan Vidéo. Le visuel reprend celui de l’affiche française. Le menu principal est très coloré, lumineux, animé et musical.

Même si la jaquette ne le mentionne pas, ce Blu-ray contient quelques (petits) suppléments. Cependant, ne rêvez pas, Terrence Malick n’apparaît pas une seule seconde malgré les images de tournage glanées ici et là.

Le premier module de deux minutes donne brièvement la parole aux producteurs Sarah Green et Ken Kao, ainsi qu’aux comédiens Natalie Portman et Michael Fassbender, qui évoquent le travail du réalisateur, l’histoire du film, le tournage à Austin, la participation de stars de la chanson et les personnages.

S’ensuit un module de cinq minutes, regroupant quelques instantanés de tournage et du plateau, filmés de loin, donc avec des propos inaudibles voire carrément muets.

Les interviews suivantes de Natalie Portman (4’) et de Michael Fassbender (4’), reprennent certains propos déjà entendus dans le premier supplément et ne présentent guère d’intérêt, d’autant plus que les questions ont été coupées et non reprises sous forme de cartons. Par conséquent, on ne comprend pas parfois de qui ou de quoi l’acteur est en train de parler.

Finalement, nous préférerons nous reporter sur le livret de 56 pages joint à cette édition, sur un texte de Nicolas Rioult et superbement illustré. Vous apprendrez ici ce qu’il faut savoir sur la longue production de Song to Song, la genèse, les conditions de tournage, le montage, les titres envisagés, les chansons entendues dans le film, sans oublier une brillante et passionnante analyse de ce neuvième long métrage de Terrence Malick.

L’Image et le son

L’univers visuel foisonnant de Terrence Malick sied à merveille au support Blu-ray, d’autant plus que le cinéaste a utilisé moult sources diverses, Arri Alexa, Arricam, Arriflex, GoPro, Red Epic, qui se marient comme par magie. Metropolitan livre un magnifique master HD. Les sublimes partis pris esthétiques du chef opérateur Emmanuel Lubezki (Gravity, Les Fils de l’homme, Knight of Cups) passent remarquablement le cap du petit écran et les détails foisonnent aux quatre coins du cadre large. Les contrastes affichent une densité impressionnante, le piqué est tranchant comme un scalpel y compris sur les scènes sombres habituellement plus douces. La profondeur de champ demeure abyssale, les détails se renforcent et abondent en extérieur jour, la colorimétrie est vive, bigarrée et étincelante dès la première séquence, le relief demeure palpable tout du long. Un transfert estomaquant de beauté, un léger grain cinéma respecté, une clarté voluptueuse, le tout conforté par un encodage AVC solide comme un roc, voilà un nouveau Blu-ray de démonstration. Le label rouge Metropolitan en quelque sorte.

Expérience cinématographique sensorielle et hypnotique, la palette d’émotions est aussi instaurée par le son dans Song to Song. Autant dire que les mixages DTS-HD Master Audio 5.1 anglais et français remplissent aisément leur contrat, même si la version originale l’emporte sur son homologue du point de vue homogénéité des dialogues, effets et musique (plus perçante en v.o.), ainsi que du point de vue spatialisation et ardeur. En anglais, l’immersion se fait plus palpable avec une intégration plus limpide des voix, tandis qu’en français les échanges des comédiens prennent souvent le dessus par rapport aux effets annexes. Dans les deux cas, le confort acoustique est largement assuré, la balance frontales-latérales demeure brillante et quelques basses se révèlent frappantes. A noter que la version originale dispose également d’une piste DTS-HD Master Audio 2.0.

Crédits images : © Metropolitan FilmExport / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr