Test DVD / Les Hommes du feu, réalisé par Pierre Jolivet

LES HOMMES DU FEU réalisé par Pierre Jolivet, disponible en DVD chez Studiocanal le 7 novembre 2017

Acteurs :  Roschdy Zem, Émilie Dequenne, Michael Abiteboul, Grégoire Isvarine, Guillaume Labbé, Guillaume Douat…

Scénario : Pierre Jolivet

Photographie : Jérôme Alméras

Durée : 1h30

Date de sortie initiale : 2017

LE FILM

Philippe, 45 ans, dirige une caserne dans le Sud de la France. L’été est chaud. Les feux partent de partout et il se pourrait qu’ils soient l’oeuvre d’un pyromane. Arrive Bénédicte, adjudant-chef, même grade que Xavier, un quadra aguerri : tension sur le terrain, tensions aussi au sein de la brigade… Plongée dans la vie de ces grands héros : courageux face au feu, mais aussi en 1ère ligne de notre quotidien.

Les Hommes du feu est le seizième long métrage de Pierre Jolivet, réalisé en 32 ans de carrière. Même s’il n’a jamais connu les cimes du box-office, le réalisateur a pu compter sur quelques succès d’estime à l’instar de Ma petite entreprise (1999) et Je crois que je l’aime (2007), tous les deux avoisinant les 850.000 entrées. Nombreux de ses films ont également été boudés par le public, mais Pierre Jolivet a toujours persisté dans ses portraits de petites gens confrontés aux aléas de la vie (Fred, La Très très grande entreprise, Jamais de la vie) et surtout trouvé des financements envers et contre tous. Les Hommes du feu est une nouvelle chronique sociale. Attachant, mais bancal, très bien interprété, le nouvel opus de Pierre Jolivet ne manque pas d’atouts, mais pèche par sa facture télévisuelle et son approche semi-documentaire qui l’emporte sur la fiction.

Bénédicte, adjudant-chef, intègre une caserne de pompiers dans le sud de la France, dirigée par Philippe. Une région ravagée par de nombreux incendies, criminels ou non. Lors d’une mission pour un accident de la route, Bénédicte ne voit pas une victime qui reste dans le coma à l’hôpital. Touchée, elle pense à quitter la brigade alors que Philippe tente de la convaincre de rester.

Le projet des Hommes du feu remonte à 2012, des suites d’un fait divers survenu dans les Bouches-du-Rhône, au Plan d’Orgon, où un adolescent de 14 ans avait mis le feu à 400 hectares. Marqué par cet événement, ainsi que par un autre incendie qui s’était déclaré dans un village du Club Med où il résidait, Pierre Jolivet a ensuite entrepris des recherches auprès de psychologues, pour essayer de comprendre ce qui pouvait pousser un individu à déclencher volontairement un incendie. Ces études l’ont amené à rencontrer de nombreux pompiers, qui lui ont parlé de leur quotidien. Les Hommes du feu découle de ces cinq années de travaux réalisés en parallèle de ses derniers films. Malgré l’ambition du cinéaste, le film pèche par un récit mécanique qui aligne les interventions des pompiers, filmées comme un documentaire avec une caméra au plus près des personnages, avec les quelques moments de repos où les soldats du feu tentent d’avoir une vie « normale », puisqu’ils sont également mari, épouse, père ou mère.

Rien à redire sur les comédiens, qui tous convaincants. Roschdy Zem est impeccable dans la peau du capitaine de la caserne et signe par ailleurs sa sixième collaboration avec Pierre Jolivet. Dommage cependant que la quête de rédemption du personnage soit finalement prétexte, clichée et entraîne la scène la plus ratée – car trop écrite et au verbe pompier oh oh – du film dans le dernier acte. La toujours lumineuse Emilie Dequenne s’en tire également haut la main dans le rôle de Bénédicte, la nouvelle adjudant-chef, qui va devoir lutter pour s’imposer auprès de certains subalternes afin de se faire respecter. C’est le cas de Xavier, interprété par l’excellent Michaël Abiteboul, qui va se montrer froid et cynique, surtout après une erreur professionnelle de Bénédicte qui a failli coûter la vie à un accidenté, tout en mettant également en doute les compétences et l’avenir de la caserne.

Le quotidien est bien rendu, tout comme les interventions sur les accidents et incendies, spectaculaires, authentiques et évidemment supervisés par de véritables soldats du feu et capturés caméra à l’épaule. Le film est loin d’être désagréable et d’en-Jolivet (oh oh bis) la réalité, c’est juste qu’il est finalement assez (trop ?) commun, redondant et manque d’enjeux pour retenir l’attention sur 1h30. Si L.627 de Bertrand Tavernier lui servait de modèle pour l’immersion désirée, Pierre Jolivet se trouve quelque peu prisonnier de son dispositif et de ses intentions, au point où on finit par l’imaginer cocher chaque case du guide du « parfait pompier dans l’exercice de ses fonctions ». La solution aurait été de suivre de véritables pompiers pour un documentaire, plutôt que d’hésiter constamment, ce qui se ressent et donc ce qui en fait la faiblesse des Hommes du feu.

LE DVD

Un tout petit DVD pour Les Hommes du feu, disponible chez Studiocanal, qui ne bénéficie même pas d’une édition HD en raison de son échec dans les salles. Un menu fixe et muet d’un autre temps accueille le spectateur.

Heureusement, l’éditeur a quand même intégré un supplément, même s’il ne s’agit que d’un making of de 10 minutes. Classique, composé d’images de tournage et d’interventions de l’équipe, y compris des pompiers qui ont accueilli et conseillé le réalisateur et les comédiens, ce module s’attarde notamment sur la préparation des acteurs et le désir d’authenticité du réalisateur.

L’Image et le son

Même si Studiocanal a préféré faire l’impasse sur une édition Blu-ray, l’éditeur prend soin du film de Pierre Jolivet et livre un service après-vente tout ce qu’il y a de plus solide. Les partis-pris esthétiques du chef opérateur Jérôme Alméras (Retour à Montauk, Un homme à la hauteur) sont respectés et la colorimétrie habilement restituée. La clarté est de mise, tout comme des contrastes fermes et des noirs denses, un joli piqué et des détails appréciables sur l’ensemble des séquences en extérieur et du cadre large en général, y compris sur les gros plans des comédiens. Notons de sensibles pertes de la définition et des plans un peu flous, qui n’altèrent cependant en rien le visionnage. Un master SD élégant, propre et clair.

Studiocanal joint une piste Dolby Digital 5.1 qui instaure une spatialisation musicale indéniable, même si les basses manquent à l’appel. En dehors de cela, les ambiances naturelles et les effets annexes sont convaincants, surtout lors des séquences d’interventions, avec une très bonne balance frontales-latérales. De ce point de vue il n’y a rien à redire, les enceintes assurent tout du long, les dialogues étant quant à eux exsudés avec force par la centrale. La Stéréo n’a souvent rien à envier à la DD 5.1. Les sous-titres français destinés au public sourd et malentendant sont également de la partie, ainsi qu’une piste Audiodescription.

Crédits images : © 2.4.7. Films / Roger Arpajou / Studiocanal / Captures DVD : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

 

Test DVD / Manon, réalisé par Henri-Georges Clouzot

MANON réalisé par Henri-Georges Clouzot, disponible en DVD aux Editions Montparnasse le 3 octobre 2017

Acteurs :  Michel Auclair, Cécile Aubry, Serge Reggiani, Andrex, Raymond Souplex, André Valmy…

Scénario : Henri-Georges Clouzot, Jean Ferry d’après le roman L’Histoire du Chevalier des Grieux et de Manon Lescaut de l’abbé Prévost

Photographie : Armand Thirard

Musique : Paul Misraki

Durée : 1h42

Date de sortie initiale : 1949

LE FILM

Fin de la Seconde Guerre mondiale, dans un village français, la jeune Manon est accusée de collaboration avec les nazis. Sauvée du lynchage par le jeune Robert Dégrieux, les deux jeunes gens fuient à Paris où leur relation ne tarde pas à devenir orageuse suite au comportement de Manon…

Rien n’est sale quand on s’aime.

C’est un choc, c’est un chef d’oeuvre oublié. Tourné en 1948 et sorti sur les écrans en 1949, Manon est un opus central dans la filmographie d’Henri-Georges Clouzot. Après la projection et le triomphe de Quai des Orfèvres à la Mostra de Venise, le cinéaste est néanmoins amer, persuadé que son polar, présenté en version française non sous-titrée, aurait remporté bien plus que le Prix de la mise en scène s’il n’avait pas été aussi « bavard ». Clouzot décide alors de repenser sa façon de faire des films, en privilégiant le cadre, le montage, la photographie, tout en privilégiant le tournage en extérieur plutôt qu’en studio. Si le précipité final de ces expériences sera Le Salaire de la peur en 1953, Manon marque une première étape dans ce désir de remise en question. Ce quatrième long métrage, adapté du roman L’Histoire du Chevalier des Grieux et de Manon Lescaut de l’abbé Prévost, rompt alors avec ce que Clouzot avait fait précédemment. Manon est un immense film, souvent négligé quand on évoque le réalisateur. Il est temps aujourd’hui de le réhabiliter.

Une nuit, deux clandestins sont découverts dans la cale d’un bateau qui vient d’appareiller de Marseille à destination de la Palestine. Egalement à bord, des juifs rescapés du génocide, qui immigrent illégalement. Le capitaine et son second (un tout jeune Michel Bouquet dans l’une de ses premières apparitions au cinéma) reconnaissent l’homme grâce à la photographie d’un journal. Il s’agit de Robert Desgrieux, un assassin en fuite. Le capitaine envisage alors de les livrer à la police aussitôt la ville d’Alexandrie atteinte, mais se laisse attendrir par cette passion dévorante dont le jeune couple entreprend le récit. Tout commence dans une petite ville de Normandie, peu après la Libération, où Robert Desgrieux jeune maquisard, sauve l’envoûtante Manon Lescaut de la vindicte populaire, qui s’apprête à la lyncher pour avoir couché avec l’ennemi. Tous deux s’enfuient vers Paris et entament une liaison. Mais bientôt, ils se perdent dans de sordides histoires de prostitution et de meurtre. De plus, l’amour exclusif de Robert gêne Manon. Elle charge son frère, Léon d’éloigner son amant pendant qu’elle part avec un riche Américain qu’elle espère dépouiller.

« On va leur montrer que c’est possible d’être heureux ! » « A qui ? » « A ceux qui sont contre. »

Entre le prologue et son extraordinaire épilogue, Henri-Georges Clouzot narre son récit au moyen d’un long flashback étourdissant, sombre et puissant. Alors que Le Corbeau dressait le portrait d’une petite communauté française sous l’Occupation, le cinéaste montre ici la France de l’après-guerre. Comment se remettre de ces années de conflit ? Comment retrouver une vie normale ? Affamés, voulant rattraper les années perdues et une jeunesse qui s’est envolée, les personnages sont aussi démolis que l’église en ruine dans laquelle ils démarrent leur fatale idylle. Manon souhaite bien en profiter en mettant tous les atouts de son côté pour pouvoir sortir de la misère, quitte à mettre toute morale de côté. D’ailleurs, son frère Léon (vénéneux Serge Reggiani), continue de vivre de larcins sous les ordres d’un petit parrain notoire. Véritablement envoûté par Manon, Robert devient de plus en plus jaloux et possessif. Il se laisse entraîner malgré-lui par cette blonde à la moue enfantine, dans un monde violent et sans concessions, jusqu’à se laisser envahir par la colère et commettre l’irréparable.

Profondément pessimiste, Manon contient toute la sève du cinéma d’Henri-Georges Clouzot. Nappé de romantisme noir, son film plonge son personnage masculin dans des trafics toujours plus louches, afin de subvenir aux exigences insatiables de sa compagne. Afin d’incarner l’ambiguïté de Manon et de faire ressentir aux spectateurs une empathie faite de répulsion, Clouzot jette son dévolu sur la jeune Cécile Aubry, qui préférera abandonner le métier d’actrice assez tôt pour se consacrer à l’écriture pour enfants, avant de créer et de réaliser les séries Poly, puis Belle et Sébastien, avec son propre fils Mehdi El Glaoui dans le rôle principal. Dans Manon, elle est la parfaite garce, perdue dans le monde impitoyable des adultes, en ayant encore un pied dans l’adolescence. Manon veut le monde et Robert, impressionnant Michel Auclair, semble prêt à tout pour le lui offrir, quitte à se perdre lui-même. Manon est un film qui triture les méninges et les entrailles. Clouzot ne recule devant rien pour mettre le spectateur mal à l’aise, sans pour autant forcer le trait.

Le dernier acte montre les protagonistes débarquer clandestinement avec leurs compagnons d’infortune sur une plage discrète. Après une marche épuisante dans le désert, la petite troupe est attaquée par une troupe de Bédouins. Sans révéler son sulfureux dénouement, à la fois morbide et sensuel, Clouzot atteint ici les sommets et annonce la force graphique et hypnotique du Salaire de la peur en faisant déambuler ses personnages entre le paradis et l’enfer. Pas étonnant que le public ait été choqué par le jusqu’au-boutisme du réalisateur, qui n’hésite pas à jouer avec la censure. Mélodrame ambitieux et intense, moderne sur le fond comme sur la forme (mise en scène virtuose), ce quatrième film est immanquable, une pierre angulaire dans l’immense carrière d’un de nos plus grands auteurs et cinéastes. Manon se verra remettre le Lion d’or à la Mostra de Venise en 1949, ainsi que le Prix Méliès.

LE DVD

Après une première édition sortie en 2010 chez M6 Vidéo dans sa collection Les Classiques français SNC, Manon réapparaît sous la bannière des Editions Montparnasse. Le DVD est placé dans un boîtier classique transparent, glissé dans un surétui cartonné. Le menu principal est animé et musical.

Le seul supplément de cette édition, Manon, l’amour fou, croise les interventions de Chloe Folens (auteur de Les Métamorphoses d’Henri-Georges Clouzot), Bertrand Schefer (écrivain et réalisateur), Frédéric Mercier (critique cinéma) et Noël Herpe (commissaire de l’exposition Le mystère Clouzot à la Cinémathèque Française). A tour de rôle dans ce module de 13 minutes, chacun s’exprime sur Manon d’Henri-Georges Clouzot, avec une approche différente. Dommage que l’éditeur n’ait pas proposé l’intégralité de chaque intervention. Pour cela, il faudra vous diriger vers la chaîne YouTube des Editions Montparnasse. Toujours est-il que les propos tenus ici sont toujours intéressants, qu’ils replacent habilement Manon dans la filmographie de Clouzot et analysent à la fois le fond et la forme sur quatrième long métrage du cinéaste, à travers quelques séquences, en particulier son dénouement.

L’Interactivité se clôt sur un lot de bandes-annonces.

L’Image et le son

Restauré par Les Films du Jeudi, Manon bénéficie d’un nouveau master supérieur à celui précédemment édité par M6 Vidéo. Le résultat est plutôt bluffant. Généralement, un générique de film donne toujours le ton. Ici, le début du film est impressionnant : le Noir & Blanc offre des contrastes impeccables et les blancs sont lumineux. Les détails sont précis, tant sur les visages, les décors et les arrière-plans. La copie, 1.33 (4/3), est on ne peut plus propre, stable, dépoussiérée de la moindre impureté, tandis que le grain demeure parfaitement équilibré et géré.

Le mono d’origine restauré (par L.E. Diapason) offre un parfait rendu des dialogues, très dynamiques, et de la musique qui ne saturent jamais. Le niveau de détails est évident et les sons annexes, tels que les ambiances de rue et bruits de fond sont extrêmement limpides. Mauvais point en revanche pour l’absence des sous-titres français pour les spectateurs sourds et malentendants !

Crédits images : © Editions Montparnasse / Captures DVD : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr