UN SILENCE réalisé par Joachim Lafosse, disponible en DVD le 21 mai 2024 chez Blaq Out.
Acteurs : Daniel Auteuil, Emmanuelle Devos, Matthieu Galoux, Jeanne Cherhal, Louise Chevillotte, Nicolas Buysse, Karim Barras, Larisa Faber…
Scénario : Chloé Duponchelle, Paul Ismael, Joachim Lafosse, Thomas Van Zuylen, Sarah Chiche, Valérie Graeven & Matthieu Reynaert
Photographie : Jean-François Hensgens
Musique : Ólafur Arnalds
Durée : 1h35
Année de sortie : 2024
LE FILM
Silencieuse depuis 25 ans, Astrid la femme d’un célèbre avocat voit son équilibre familial s’effondrer lorsque ses enfants se mettent en quête de justice.
Chaque film du réalisateur belge Joachim Lafosse est pour ainsi dire un événement. Nombreux sont ceux qui sont restés dans la mémoire des cinéphiles à l’instar d’À perdre la raison (2012), L’Économie du couple (2016) et dernièrement Les Intranquilles (2021). Ce ne sera probablement pas le cas pour Un silence, son dernier opus en date, inspiré par un fait divers réel, l’affaire Hissel. En 2007, Victor Hissel, ancien avocat (très présent dans les médias) des familles des victimes de Marc Dutroux, avait été inculpé pour détention de pédopornographie en 2007. Il sera condamné à 10 mois de prison. Deux ans plus tard, Roman, le fils de Hissel, poignarde son père, ancien symbole de la lutte contre les violences sexuelles en Belgique, à plusieurs reprises en 2009, le blessant grièvement. Alors pourquoi cela ne fonctionne pas cette-fois ci ? Sans doute parce qu’on a furieusement l’impression d’avoir déjà vu ce genre d’histoire et que le récit (pourtant écrit par sept scénaristes, dont le fidèle Thomas Van Zuylen) n’est guère aidé par une mise en scène non seulement redondante (toutes les scènes en voiture…), mais qui manque surtout d’originalité. Nous sommes ici entre L’Adversaire (2002) et le cinéma austère de Michael Haneke, un univers froid comme la glace, tranchant, sec, peu empathique, difficile d’accès pour certains. En fait, le problème d’Un silence est – contre toute attente – la présence de Daniel Auteuil. Si ce dernier est évidemment excellent, le comédien renvoie immédiatement au film de Nicole Garcia susmentionné, dans lequel il donnait déjà la réplique à Emmanuelle Devos, et son rôle n’est pas sans rappeler celui qu’il campait dans Au nom de ma fille (2016) et dans Le Mensonge (2020), tous les deux signés Vincent Garenq. Pas ou peu de surprises dans Un silence, où le spectateur navigue à vue, anticipe le déroulement des scènes (un long flashback, la scène finale en fondu en noir après lequel nous laissons la justice faire son travail), ainsi que les réactions (ou leur absence plutôt) des personnages, pour lesquels nous n’avons aucun attachement. Demeure le boulot de Joachim Lafosse, qui lui aussi paraît peu inspiré sur ce coup-là, joue avec les plans-séquences, le non-dit, le hors-champ et le ressenti, mais en manquant sa cible. Dommage.
On commence à connaître ce type de partis-pris récurrents d’un genre de cinéma français (ou belge ici en l’occurrence), avec une caméra qui suit les protagonistes dans leurs déplacements, de dos (ou dans un reflet, comme le visage d’Astrid visible dans le rétroviseur, qui symbolise le regard en arrière auquel on ne peut échapper), capturant une attente, un tourment, une inéluctabilité. Cette grammaire attendue dessert le film, apporte un caractère artificiel à l’ensemble, dénature la tension, parce qu’elle se voit constamment plutôt que d’aller dans le sens des émotions, de s’y fondre. C’est ainsi pendant plus de 90 minutes, où le premier acte décontenance en perdant le spectateur, en l’incluant dans une famille emmerdante, constamment distante, pour laquelle il n’est pas aisé de ressentir la moindre émotion ou une once d’intérêt. Les acteurs font ce qu’ils peuvent, ils le font bien, en particulier Emmanuelle Devos, qui n’a sans doute pas le rôle le plus facile et qui apporte à Astrid une ambiguïté beaucoup plus marquante que François Schaar, finalement repoussant avant que son histoire soit révélée.
L’autre mauvais point d’Un silence est le choix du jeune Matthieu Galoux pour interpréter Raphaël, le fils des Schaar, qui s’avère peu convaincant, surtout dans le dernier tiers qu’il porte laborieusement sur ses épaules. Alors oui Un silence est une œuvre glaçante et sordide sur la honte, le déni et enfin la culpabilité, très bien photographiée par le talentueux Jean-François Hensgens (Normale, Sage-homme, Les Intranquilles) et marquée par de solides seconds rôles (Jeanne Cherhal en impose dans la peau du Commissaire Colin, Louise Chevillotte confirme une fois de plus tout le bien que l’on pense d’elle depuis son apparition dans L’Amant d’un jour de Philippe Garrel), mais rien à faire, ça ne prend pas (en dehors de la scène de la triple garde à vue) et ce en dépit de l’immense affection que l’on peut avoir pour le cinéaste et ses têtes d’affiche.
LE DVD
Après Les Intranquilles, c’est encore une fois Blaq Out qui se charge de la sortie en DVD (pas de sortie HD) du dernier film en date de Joachim Lafosse, Un silence. Le visuel de la jaquette, glissée dans un boîtier Amaray classique, reprend celui de l’affiche du film, de même que le surétui cartonné qui accueille l’ensemble. Le menu principal est fixe et musical.
Dans un premier supplément, Joachim Lafosse commente deux scènes d’Un silence, dont celle où Astrid, filmée dans sa voiture, au bord des larmes, s’entretient par téléphone avec Pierre (4’30). Le cinéaste indique qu’Emmanuelle Devos a été capable d’évoquer les trente ans de silence de son personnage à travers son regard. « Sur le papier, c’est trois lignes » dit Joachim Lafosse en admiration devant sa comédienne, subjugué par la manière avec laquelle celle-ci représente la détresse de son personnage. Dans l’autre séquence abordée, le metteur en scène parle de la recherche de la maison qui sert de décor principal.
L’autre bonus est une rencontre avec Joachim Lafosse. Pendant près d’une demi-heure, le cinéaste revient sur la genèse d’Un silence (la découverte du fait divers, l’affaire Hissel donc, « j’ai été très ému par cet adolescent qui est passé à l’acte »), les thèmes (« un film autour de la libération de la parole […] montrer comme il faut être solide pour sortir du silence, ce qui n’est pas à la portée de tout le monde »), tout en mettant en parallèle Un silence avec l’un de ses premiers longs-métrages, Élève libre, « qui était très autobiographique, ce qui n’avait pas été remarqué et dont j’espérais à l’époque qu’on le devine ». Le choix des points de vue, l’écriture des personnages et du scénario à plusieurs mains, la préparation du film, le casting (Emmanuelle Devos a d’abord dit non à la proposition, Daniel Auteuil était loin d’être le premier choix de Joachim Lafosse, la révélation Jeanne Cherhal), la rencontre avec les acteurs, l’importance des décors (en particulier celui de la maison familiale), les partis-pris (« j’avais envie de sobriété ») sont les points abordés durant cette interview passionnante, même si le film peut laisser perplexe. Enfin, le réalisateur clôt ce face-à-face en déclarant « je souhaitais traiter de la façon avec lesquels les interdits universels sont intégrés, comment on porte collectivement ces interdits civilisationnels ».
L’Image et le son
Blaq Out prend soin du film de Joachim Lafosse et livre un service après-vente tout ce qu’il y a de plus solide. Les partis-pris esthétiques du chef opérateur Jean-François Hensgens sont respectés et la colorimétrie sombre habilement restituée. La clarté est de mise sur les scènes diurnes, les contrastes sont fermes, le piqué acéré et les détails appréciables sur l’ensemble des séquences en extérieur, y compris sur les très présents gros plans des comédiens. Notons de sensibles pertes de la définition, qui n’altèrent cependant en rien le visionnage. Un master SD élégant.
L’éditeur joint une piste Dolby Digital 5.1 qui instaure une spatialisation musicale indéniable. Les ambiances naturelles et les effets annexes sont plutôt rares et la scène acoustique reste essentiellement frontale. De ce point de vue il n’y a rien à redire, les enceintes avant assurent tout du long, les dialogues étant quant à eux exsudés avec force par la centrale. La Stéréo n’a souvent rien à envier à la DD 5.1. Les sous-titres français destinés au public sourd et malentendant sont également de la partie, ainsi qu’une piste Audiodescription.