UN PACTE AVEC LE DIABLE (Alias Nick Beal) réalisé par John Farrow, disponible en DVD le 16 juin 2020 chez Sidonis Calysta.
Acteurs : Ray Milland, Audrey Totter, Thomas Mitchell, George Macready, Fred Clark, Geraldine Wall, Henry O’Neill, Darryl Hickman…
Scénario : Jonathan Latimer
Photographie : Lionel Lindon
Musique : Franz Waxman
Durée : 1h29
Date de sortie initiale : 1949
LE FILM
Frankie Faulkner, dont les activités sont liées au jeu, propose au procureur Joseph Foster de l’aider à devenir gouverneur. Foster refuse et, grâce au mystérieux Nick Beal, il obtient les livres de comptes qui lui permettent de faire condamner Hanson, un joueur. Cette condamnation conforte la notoriété de Foster à qui Nick Beal propose de l’argent pour sa campagne. Martha, la femme de Foster, lui demande de refuser, mais Foster rencontre Donna Allen, qui le séduit et le conduit à certaines compromissions…
Bien que méconnu en France, le réalisateur américain d’origine australienne John Farrow (1904-1963), né John Villiers Farrow, également scénariste, producteur et comédien, est l’auteur d’un des plus grands mélodrames issus des studios de la RKO, Quels seront les cinq ? – Five came back (1939), co-écrit par Dalton Trumbo. Le cinéaste signera lui-même un remake de son propre film en 1956, Les Echappés du néant – Back from Eternity, avec Robert Ryan, Anita Ekberg et Rod Steiger. Eclectique, érudit, John Farrow aura touché à tous les genres, du film policier au western, en passant par le film historique, les récits de guerre, le film d’aventure et le thriller. Californie, terre promise, est son premier western, mais aussi sa première collaboration avec le comédien britannique Ray Milland (1907-1986), avec lequel il fera quatre films, dont La Grande horloge – The Big Clock (1948), Un pacte avec le diable – Alias Nick Beal (1949) et Terre damnée – Copper Canyon (1950). Aujourd’hui, c’est leur troisième et plus étrange association qui nous intéresse. A la fois film noir, drame politique et film fantastique, Un pacte avec le diable est ce qu’on pourrait qualifier un film de genre, puisque le scénario de Jonathan Latimer (le créateur du personnage de Bill Crane), collaborateur de John Farrow sur une bonne dizaine de longs-métrages, place le personnage de Lucifer, du Malin, du prince des ténèbres, de Belzébuth, de Satan ou comme vous voudrez l’appeler, au milieu d’hommes politiques, en particulier un, sur lequel il a jeté son dévolu. Un pari pour lui puisque l’individu en question est un modèle d’intégrité, d’impartialité, de vertu et de probité. Autant dire que ce n’est pas gagné d’avance mais c’est l’enjeu du diable et où le jeu de Ray Milland prend toute son ampleur. L’acteur se délecte dans ce rôle suintant et tiré à quatre épingles, manipulant les êtres humains comme des pions sur un échiquier dans un seul but, anéantir les valeurs de l’homme le plus honnête du monde, pour mieux s’approprier son âme. Un pacte avec le diable est une sacrée découverte à situer entre Tous les biens de la terre – The Devil and Daniel Webster (1941) de William Dieterle et Angel Heart : Aux portes de l’enfer (1987) d’Alan Parker.
Procureur et homme politique honnête, Joseph Foster veut devenir gouverneur pour attaquer le monde criminel mais paraît incapable d’incriminer le chef de la mafia Frankie Faulkner. Un jour, un mystérieux étranger, un certain Nick Beal, lui rend visite et lui propose un marché pour lutter contre le crime. Séduit par une prostituée, Donna, qui n’est d’autre que la complice de Beal, Foster accepte son offre mais, peu à peu, il se rend compte qu’il a pactisé avec le Diable. Ce dernier désire placer ses suppôts diaboliques aux postes clés de l’équipe du gouverneur fraîchement élu.
Faust en film noir. Il y a tous les codes du genre dans Un pacte avec le diable : une photo crépusculaire et par ailleurs superbe du chef opérateur Lionel Lindon (Le Dahlia bleu, Un crime dans la tête), une manipulation, un chantage et la domination d’un homme sur un autre, la cupidité et la réussite en ligne de mire, sans oublier bien sûr la femme fatale. Cette dernière, formidablement interprétée par Audrey Totter (Le Facteur sonne toujours deux fois de Tay Garnett, Nous avons gagné ce soir de Robert Wise) l’est bien malgré-elle, car également sous l’emprise du dénommé Nick Beal, qui l’a pour ainsi dire ramassée sur le trottoir, une âme perdue parmi tant d’autres, mais facile à manoeuvrer pour le bon déroulement de son plan machiavélique. Ray Milland est la star d’Un pacte avec le diable. Tout juste auréolé par l’Oscar du meilleur acteur et du Prix d’interprétation au Festival de Cannes pour Le Poison de Billy Wilder, son interprétation dans Alias Nick Beal est à se damner. Ses entrées inopinées, comme ses sorties d’ailleurs, ses regards enflammés, sa façon d’anticiper les réactions et même les propos de ceux qu’il souhaite asservir, sont absolument remarquables.
Toutefois, le comédien n’éclipse pas son partenaire Thomas Mitchell, irréprochable dans le rôle de Lionel Lindon, l’honnête candidat politique qui vend son âme au diable sans le savoir. Formidable acteur habitué aux seconds rôles vu chez Leo MacCarey, Franck Capra, John Ford (Oscar du meilleur acteur dans un second rôle pour La Chevauchée fantastique), Howard Hawks, bref tous les grands noms du cinéma de l’époque, Thomas Mitchell est élégant et très attachant face à Ray Milland. Leurs scènes en commun sont d’ailleurs les plus réussies du lot avec notamment des répliques excellemment écrites.
Après avoir longtemps disparu des écrans, Un pacte avec le diable – Alias Nick Beal bénéficie enfin d’un regain de popularité dans le monde entier, ce qui permet en parallèle de reconsidérer l’oeuvre de John Farrow, cinéaste trop souvent oublié des livres consacrés au septième art.
LE DVD
Jusqu’alors disponible en DVD dans un coffret spécial Film noir édité chez Sidonis Calysta en décembre 2018, Un pacte avec le diable est proposé en DVD individuel depuis le 16 juin 2020. Le titre intègre logiquement la collection Film Noir de l’éditeur. Le menu principal est animé et musical.
Trois présentations d’Un pacte avec le diable sont proposées en guise de suppléments. Comme d’habitude, c’est Bertrand Tavernier (39’) qui se taille la part du lion, en raison de la durée de son intervention, mais aussi et surtout par la qualité des arguments avancés et de ses diverses analyses. Pour lui, Un pacte avec le diable est l’un des chefs d’oeuvre de John Farrow. La filmographie de ce dernier est passée au peigne fin, ainsi que ses thèmes récurrents, ses recherches stylistiques et visuelles, notamment ses plans-séquences très longs qui duraient parfois plus de dix minutes et qui donnaient du fil à retordre à ses comédiens, ainsi qu’à son équipe technique. Bertrand Tavernier dresse le portrait de cet homme ambigu, à la fois tyran sur le plateau et altruiste dans la vie, avant d’en venir plus précisément au film qui nous intéresse. Le fond et la forme se croisent constamment au fil de cet entretien absolument passionnant, qui aborde aussi le casting, le travail sur le N&B et qui se clôt sur une anecdote liée à la mort de Hugh Hefner. Mais pour en savoir le teneur, il vous faudra acquérir ce DVD !
François Guérif (8’) et Patrick Brion (6’) arrivent après la bataille. Ces interventions font donc souvent redondance avec celle de Bertrand Tavernier, même si le premier évoque un peu plus la collaboration entre John Farrow et le scénariste Jonathan Latimer. Toujours est-il que les trois invités de Sidonis Calysta sont unanimes sur la très grande réussite d’Un pacte avec le diable, sur lequel ils ne tarissent pas d’éloges.
L’interactivité se clôt sur une version radiophonique Screen Director’s Playhouse (NBC, 1949, 55’) d’Un pacte avec le diable, dans laquelle Ray Milland reprend son rôle, cette fois face à Jan Sterling.
L’Image et le son
Cette édition Standard possède encore quelques poussières, des tâches, des rayures, des points et même des raccords de montage. La restauration n’est pas de première jeunesse, mais l’ensemble sort bien avec une compression solide, surtout sur les scènes se déroulant sur le port embrumé. La texture argentique est présente, les contrastes sont fort acceptables, en dépit d’un piqué souvent émoussé.
Pas de version française, Un pacte avec le diable est uniquement proposé en anglais avec sous-titres français non verrouillés. Aucune fausse note avec ce mixage Dolby Digital 2.0 aux dialogues clairs, propres et suffisamment dynamique.