Test DVD / Un Condé, réalisé par Yves Boisset

UN CONDÉ réalisé par Yves Boisset, disponible le 4 juin 2019 en DVD et Blu-ray chez ESC Editions

Acteurs : Michel Bouquet, Françoise Fabian, Gianni Garko, Michel Constantin, Anne Carrère, Rufus, Théo Sarapo, Henri Garcin, Pierre Massimi, Bernard Fresson, Adolfo Celi…

Scénario : Yves Boisset, Sandro Continenza, Claude Veillot

Photographie : Jean-Marc Ripert

Musique : Antoine Duhamel

Durée : 1h35

Année de sortie : 1970

LE FILM

Alors qu’il enquête sur une affaire de drogue, un inspecteur est abattu par un truand. Son collègue, l’Inspecteur Favenin, est chargé d’élucider ce crime. Il est prêt à tout pour sauver l’honneur de son collègue, y compris à outrepasser la loi.

Le métier de flic ça consiste à fouiller dans les poubelles…

Né en 1939, Yves Boisset commence sa carrière au cinéma en tant qu’assistant réalisateur en Italie auprès de Sergio Leone (Le Colosse de Rhodes), Vittorio De Sica et Riccardo Freda (Roger La Honte, Coplan ouvre le feu à Mexico), ainsi qu’en France avec Jean-Pierre Melville sur L’Aîné des Ferchaux et Claude Sautet sur L’Arme à gauche. Un sacré palmarès qui lui donne évidemment l’envie de mettre en scène son premier long métrage. En 1968, il saisit sa chance et succède à Riccardo Freda pour une nouvelle adaptation au cinéma des aventures du héros de Paul Kenny, Coplan sauve sa peau. Si le film fonctionne nettement moins bien que les précédents opus, la maîtrise et le talent d’Yves Boisset sont remarqués. Le cinéaste passe la seconde avec Cran d’arrêt, qui sort en janvier 1970 et témoigne de son goût pour le thriller. La même année, Yves Boisset livre son troisième long métrage, Un Condé, avec lequel il prend définitivement son envol. Accompagné d’un parfum de scandale puisque le ministre de l’Intérieur Raymond Marcellin avait alors tout fait pour l’interdire, ce qui a d’ailleurs profité au film en lui faisant une belle publicité gratuite, Un Condé obtient un beau succès populaire avec 1,3 million d’entrées. Avec ce polar sombre et violent, un grand cinéaste est né.

Barnero est un flic amer travaillant dans une ville qu’il juge pourrie. Il assiste écœuré à la montée en puissance de Tavernier dit le Mandarin, implanté dans l’immobilier depuis son retour d’Indochine. Ce dernier est un fasciste doublé d’un truand. Il commence une carrière politique locale et en sous main, il développe le racket et le trafic de drogue, sans pour autant être inquiété car il ne se mouille pas directement et dispose d’appuis. Ses hommes de mains, dirigés par Beausourire, exercent des pressions sur Dassa, le propriétaire d’une boîte, afin que celui-ci accepte d’ouvrir son établissement à la vente de drogue. Dassa est agressé une première fois et son ami Dan Rover lui offre de l’aider. Dassa ne craint pas les pressions du Mandarin qu’il sous-estime. Quand Dassa est exécuté, son ami Dan se reproche de n’avoir pas su le convaincre. Hélène, la sœur de Roger Dassa, arrive de Londres. Elle refuse de rencontrer Dan, car elle l’accuse d’être le responsable des ennuis de son frère. Barnero reçoit la visite de Favenin, un flic aigri, muté pour son indiscipline et avec lequel il a travaillé. L’un et l’autre partagent le même désir : lutter contre la corruption.

A sa sortie, Un Condé agit comme une véritable grenade dégoupillée dans le cinéma français. Né du désir de contester l’abus de pouvoir des forces de l’ordre et les violentes répressions post-mai 68, ce thriller oscille entre le western urbain et le vigilante, pour au final lancer le néo-polar hexagonal. Yves Boisset a retenu quelques éléments chers à Jean-Pierre Melville, bien digérés, malaxés, pour se les approprier et dresser un constat implacable contre la police. Sur des dialogues percutants signés Claude Veillot et une musique d’Antoine Duhamel qui participe au malaise distillé comme du poison, Un Condé démontre que la frontière entre la police et le monde des truands n’existe pour ainsi dire que dans l’esprit de celui qui arbore ou pas un insigne de flic.

Après le désistement de Lino Ventura, Yves Boisset a l’idée de génie de proposer le rôle-titre à un comédien inattendu, Michel Bouquet. Lui-même hésitant car peu certain d’être crédible une arme à la main et tabassant des malfrats, l’immense acteur alors âgé de 44 ans accepte malgré tout. Sa prestation demeure ébouriffante. Froid comme l’acier, le regard noir, le personnage de Favenin est comme un serpent, la plupart du temps immobile, économisant ses gestes et prêt à bondir sur sa proie sur laquelle il se jette ensuite pour ne plus la lâcher.

Yves Boisset invite le spectateur à entrer dans un monde suintant. Tout n’est pas rose après mai 68. L’action n’est pas focalisée sur « Paris », puisque la ville où se déroule l’histoire n’est jamais citée. Le cinéaste filme des rues sans identité, pour mieux ancrer son récit dans un contexte général et toucher à l’universel. Les personnages ont la plupart du temps perdu leurs prénoms et s’appellent Beausourire (Henri Garcin, carnassier), Dassa, Villetti (Michel Constantin, sublime), Barnero (l’animal Bernard Fresson), Favenin, Rover (le légendaire Gianni Garko), comme s’ils avaient perdu leur véritable identité et seule la femme, Hélène (magnifique Françoise Fabian), a su conserver le sien dans ce monde de brutes, d’assassins et de mafieux.

Le cinéaste mélange flics et truands, qui ont recours aux mêmes méthodes, qui brouillent les pistes. Les exécutions sont sauvages, sèches, brutales, les coups de feu résonnent avant la fin des pseudo-sommations, la torture est présente au sein même des commissariats, même si de ce point de vue, le réalisateur s’est vu obliger de revoir sa copie et de retourner une séquence entière où le personnage de Gianni Garko apparaissait couvert de sang et à moitié nu après avoir été passé à tabac par les flics. Cela ne change en rien la portée du film, car Un Condé, presque cinquante après sa sortie, demeure probablement l’un des plus grands films policiers de l’histoire du cinéma français. C’est un véritable tournant, une date, une pierre angulaire, un film culte, un chef d’oeuvre.

LE DVD

Douze ans après sa première édition en DVD chez Opening, Un Condé refait surface chez ESC Editions. Ce titre rejoint ainsi Légitime violence, dont nous vous parlions au mois de mai dernier (https://homepopcorn.fr/test-blu-ray-legitime-violence-realise-par-serge-leroy/) et intègre la collection Polar de l’éditeur. Le menu principal est animé sur une séquence du film.

Chez Homepopcorn.fr, on adore François Guérif. Le critique de cinéma, éditeur et directeur de la collection Rivages/Noir était tout indiqué pour évoquer Un Condé d’Yves Boisset (30’). En revanche, le film n’a pas été adapté d’après le roman La Mort d’un condé de Pierre Lesou, puisque le livre aura été écrit d’après le long métrage d’Yves Boisset, comme ce dernier l’indique au cours de son entretien. La genèse d’Un Condé, ses partis pris, les intentions du réalisateur, sa place dans le cinéma français dit contestataire (après La Bande à Bonnot de Philippe Fourastié, Z de Costa-Gavras et Solo de Jean-Pierre Mocky) et les films du même genre sont également abordés. L’invité d’ESC Editions se penche ensuite sur le casting et explore les thèmes du film, tout en revenant sur la polémique avant la sortie d’Un Condé (qui sera analysée plus en détails dans les autres suppléments) ainsi que sur la scène coupée et retournée pour son exploitation dans les salles françaises, présente en bonus sur le DVD. Mention spéciale à la petite anecdote sur Jean-Luc Godard à qui Yves Boisset envoie une petite pique dans Un Condé à travers une plaque de médecin qui indique « Docteur Godard, maladie des yeux ».

L’éditeur reprend ensuite les suppléments réalisés en 2007 et déjà disponibles sur le DVD Opening, à savoir :

Un Condé, au fil de la censure (14’30), ou un entretien indispensable avec Yves Boisset qui revient point par point sur son troisième long métrage, en le replaçant dans son contexte historique et politique. La genèse du film, la situation de la France après mai 68, l’écriture d’Un Condé, ses intentions, les démêlés avec la censure (la scène où un petit garçon surprend son père se faire tabasser, la séquence où Gianni Garko se fait violenter au commissariat), le casting, la sortie du film repoussée pendant six mois sont passés en revue pour le plus grand plaisir des fans du cinéaste, qui en profite pour tacler le financement des films par les chaînes de télévision. Un procédé qu’il compare à un moyen de censure « habile, car incolore et inodore ».

Censure et politique (9’) donne la parole à Jean-Pierre Jeancolas, historien du cinéma. Disparu en 2017, soit dix ans après cet entretien, l’intervenant dresse ici un historique de la censure au cinéma en France, en revenant notamment sur le cas célèbre de La Religieuse de Jacques Rivette. Sujet déjà évoqué lors deux précédents modules, Un Condé a dû également affronter le ministre de l’Intérieur Raymond Marcellin, qui désirait purement et simplement interdire le film d’Yves Boisset. Nous en apprenons un peu plus sur cette confrontation.

Décédé en 2014, le compositeur Antoine Duhamel était également interviewé en 2007 sur son travail sur Un Condé (10’). Après avoir collaboré avec François Truffaut (Baisers volés, La Sirène du Mississippi, Domicile conjugal, L’Enfant sauvage) et Jean-Luc Godard (Pierrot le fou, Made in USA, Week-end), Antoine Duhamel est engagé par Yves Boisset pour Un Condé. Assis devant son piano, dont il martèle les touches avec passion, Antoine Duhamel se remémore les étapes de la création du thème principal du film qui nous intéresse. Une musique quasi-expérimentale qui laissait sceptique la productrice Vera Belmont. Cet entretien se clôt sur une note amère où le compositeur déclare avoir été déçu quant à l’utilisation de sa création à l’écran, comme si Yves Boisset avait censuré son travail.

L’interactivité se clôt sur la séquence de l’interrogatoire, présentée dans sa version non-censurée, tirée d’une copie d’exploitation destinée à l’Italie (6’). Les sous-titres français ne sont pas disponibles, mais ce supplément reste une vraie curiosité et permet de comparer les différences avec la scène finalement retournée pour la sortie française.

L’Image et le son

Superbe restauration ! Même si nous n’avons pas pu mettre la main sur l’édition HD, ce DVD ne déçoit jamais et permet de (re)voir le chef d’oeuvre d’Yves Boisset dans les meilleures conditions techniques possibles. La photographie sombre et bleutée de Jean-Marc Ripert est admirablement retranscrite avec des contrastes denses, des noirs profonds, un teint de peau naturel. Ajoutons également que la copie affiche une propreté remarquable et que les divers plans flous sont d’origine. Le grain argentique est fin et excellemment géré, tout comme la stabilité. Superbe DVD.

Les dialogues sont clairs et distincts sur cette piste Mono qui fait également la part belle à l’environnement musical d’Antoine Duhamel. En revanche, il est dommage de ne pas trouver de sous-titres français pour les spectateurs sourds et malentendants…

Crédits images : © ESC Distribution / Captures DVD : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

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