Test DVD / Opération Re Mida (Lucky l’intrépide), réalisé par Jess Franco

OPÉRATION RE MIDA – LUCKY L’INTRÉPIDE (Lucky, el intrépido) réalisé par Jess Franco, disponible en DVD le 2 février 2021 chez Artus Films.

Acteurs : Ray Danton, Barbara Bold, Dante Posani, Dieter Eppler, María Luisa Ponte, Rosalba Neri, Beba Loncar, Teresa Gimpera…

Scénario : José Luis Martínez Mollá, Julio Buchs, Remigio Del Grosso & Jess Franco

Photographie : Fulvio Testi

Musique : Bruno Nicolai

Durée : 1h26

Année de sortie : 1967

LE FILM

Une organisation criminelle dirigée par Goldglasses inonde le monde de faux billets. Alors qu’il se trouve à une soirée costumée, l’agent Lucky Mulligan est contacté par la société secrète Archange qui lui demande de mener l’enquête. Epaulé par la plantureuse Michèle, Lucky va remonter la piste et se rendre en Albanie pour neutraliser le réseau.

En visionnant cette incroyable série B qu’est Opération Re Mida (Lucky l’intrépide) – Lucky, el intrépido, on se rend compte à quel point Mike Myers n’a rien inventé pour sa trilogie Austin Powers et surtout que la parodie d’espionnage existait déjà dans les années 1960. S’il s’inspire ouvertement de la saga James Bond, dont le succès international battait son plein depuis cinq ans, Opération Re Mida (Lucky l’intrépide), sorti la même année qu’On ne vit que deux foisYou Only Live Twice, cinquième opus de la franchise 007 interprété par Sean Connery, ne peut évidemment pas rivaliser avec l’agent secret le plus célèbre au service de sa Majesté, et d’ailleurs ne prétend pas pouvoir lui arriver à la cheville, mais s’avère un divertissement tout aussi réussi. Quand il entame Lucky, el intrépido, l’ancien assistant d’Orson Welles sur Falstaff, Jesús Franco Manera dit Jess Franco (1930-2013) en est déjà à près d’une quinzaine de films réalisés en un peu plus de dix ans, passant sans complexe de la comédie (Tenemos 18 años, Certains l’aiment noire) au film d’horreur (L’Horrible docteur Orloff, son premier succès, Le Sadique Baron Von Klaus, Le Diabolique docteur Z, Les Maîtresses du Docteur Jekyll, Dans les griffes du maniaque), sans oublier le western (Le Jaguar). Toujours à l’affût des nouvelles modes et des goûts des spectateurs, ce bon vieux Jess décide de prendre le train en marche du courant cinématographique connu sous le nom de l’Euro Spy, où lers ersatz du personnage créé par Ian Fleming fleurissaient un peu partout à travers des coproductions entremêlant diverses nationalités, permettant ainsi aux personnages d’agents secrets venus des quatre coins du monde de se rendre dans plusieurs pays au fil de leurs enquêtes respectives. Ainsi, Jess Franco, qui avait déjà tâté du polar avec Agent 077, opération JamaïqueLa Muerte silba un blues (1964), entrait de plain-pied dans cette branche du cinéma Bis avec deux opus interprétés par Eddie Constantine, Cartes du tableCartas boca arriba (coécrit avec Jean-Claude Carrière) et Ça barde chez les mignonnesResidencia para espia, tous deux réalisés en 1966. Ou comment allier espionnage et humour, tout en jouant sur le côté carte postale et celui décontracté de son personnage principal. Après trois films mis en scène en 1966, Jess Franco enchaîne directement avec le film qui nous intéresse aujourd’hui, Opération Re Mida, immense spectacle, hilarant, mais aussi génialement mis en scène, mené sur un rythme effréné, sans aucun temps mort, bourré d’imagination et de rebondissements.

Dans une chambre d’hôtel de Londres, un homme est assassiné par un tueur tuberculeux. Ce dernier vole sa valise pleine de dollars et met le feu au contenu. Une société secrète aux implications financières mondiales, nommé L’Archange, demande à l’agent secret Lucky Mulligan de retrouver les responsables de l’apparition de faux dollars sur les marchés du monde entier. Ce plan machiavélique est fomenté par une bande organisée, dirigée par un certain Lunettes d’Or, qui veut inonder le marché financier de fausse monnaie pour ruiner les pays capitalistes. Épaulé par son collègue Michele, Lucky se rend en Albanie où se trouve l’usine qui fabrique le papier servant de matière première aux faussaires. L’avion qui les emmène est abattu mais le duo d’espions survit et gagne la papeterie. Mais Lucky comprend qu’il ne s’agit pas qu’une affaire de faux monnayeurs car il doit affronter une organisation nazie menée par son ami Michele et une jolie danseuse…

Tu te prends pour qui ? James Bond ?

C’est qui ce James Bond ?

Tout, il y a absolument tout ce qui fait une vraie et bonne parodie dans Opération Re Mida, avec évidemment au centre un redoutable espion (Ray Danton, sourire en coin et brushing parfait), polyglotte (il parle le serbe et l’albanais avec un léger accent yougoslave, ou l’espagnol avec un accent péruvien), la clope toujours plantée au bec, bref, l’homme « le plus audacieux de tous les temps » devant lequel toutes les femmes (Rosalba Neri, Beba Loncar) tombent en pâmoison. Rapide comme l’éclair, pop, acidulé, psychédélique, Lucky, el intrépido est grandiose, un chef-d’oeuvre du genre, tourné avec des moyens limités mais avec des idées à la pelle, qui enchaîne les morceaux de bravoure à vitesse grand V, avec un cadre soigné tout du long, une musique de Bruno Nicolai (rien que ça) qui souligne chaque séquence avec autant de sérieux que d’humour, des décors exotiques, des séquences d’action rudement menées, sans oublier bien sûr des belles poupées, des maquettes, des transparences et des stock-shots qui se voient comme le nez au milieu de la figure (et c’est pour ça que c’est bon), n’en jetez plus c’est trop de bonheur. Et de ce point de vue, Ray Danton (1931-1992), comédien américain vu dans La Chute d’un caïdThe Rise and Fall of Legs Diamond (1960) de Budd Boetticher et Le Dompteur de femmesThe George Raft Story (1961) de Joseph M. Newman, s’en donne véritablement à coeur joie. Comme il l’avait déjà démontré dans les deux aventures de Sandokan, Sandokan alla riscossa (1964) et Sandoka contro il leopardo di Sarawak (1964) de Luigo Capuano, le comédien est bondissant, charismatique, très à l’aise dans les scènes d’action (où pas un cheveu ne dépasse bien entendu) et de séduction. Dans les années 1960, il enchaîne les rôles de super agents dans Corrida pour un espion (1965) de Maurice Labro, New York appelle Superdragon New York chiama Superdrago (1966) de Giorgio Ferroni, Ballata da un miliardo (1967) de Gianni Puccini et Si muore solo una volta (1967) de Giancarlo Romitelli, où il a comme noms Jeff Larson, Bryan Cooper (aka Super Dragon), Big Joe Martin et Mike Gold. Opération Re Mida est comme qui dirait un premier adieu à cette vague de « James Bond Like » et l’acteur semble prendre beaucoup de plaisir à se moquer de lui-même. Il est en tout cas aussi crédible dans les séquences d’action acrobatiques (où il saute comme un cabri), toujours armé de son pistolet infaillible, que dans les scènes de pure comédie.

Véritable film BD (ou fumetti ici) frappadingue, qui n’hésite pas à figer certains plans et à coller des phylactères typiques du neuvième art afin d’y révéler les pensées de ses personnages, assumant totalement son côté décalé (le marché aux secrets), Opération Re Mida, emmène les spectateurs des « froides nuits de la mystérieuse ville de Londres, dans un quartier à la mauvaise réputation », au Carnaval du Luxembourg, sans oublier de faire quelques escales à Rome et surtout en Albanie, « un petit et étrange pays à la mauvaise réputation aussi ». Notre guide n’est autre que l’espion Lucky le phénomène, ou l’Agent secret LK pour les intimes, qui se déguise en lui-même lors d’une fête costumée, quelque peu imbu de lui-même, et qui aurait bien voulu profiter de quelques jours de repos incognito (autrement dit en retirant son masque), même si tout le monde le reconnaît quand il entre dans un hôtel. Mais c’était sans compter une fois de plus sur une mission qu’on lui confie à la dernière minute, celle de sauver l’économie mondiale menacée par la mise en circulation d’une fausse monnaie qui vient de submerger plusieurs pays.

Bourré de second degré, burlesque, porté par un montage frénétique, très joliment et richement photographié par Fulvio Testi (en Technicolor et Techniscope, au passage le premier film en couleur de Jess Franco), Opération Re Mida se déguste de la première à la dernière minute. Vive le cinéma Bis !

LE DVD

Quel plaisir de voir Artus Films revenir au genre Euro Spy, six ans après l’édition en DVD du formidable Opération Goldman Operazione Goldman (1966) d’Antonio Margheriti ! Place à Opération Re Mida (Lucky l’intrépide) qui intègre et complète enfin cette collection. Le DVD à la sérigraphie très classe, repose dans un Slim Digipack merveilleusement illustré par des photos d’exploitation et l’affiche originale. Superbe visuel. Le menu principal est fixe et musical.

Acteur vu chez Jean-Pierre Mocky et Bertrand Mandico, réalisateur, historien et critique de cinéma, Christophe Bier propose une indispensable présentation d’Opération Re Mida (16’). Pour en savoir plus sur le genre prolifique dit de l’Euro Spy, reportez-vous au DVD de Des fleurs pour un espionLe spie amano i fiori (1966) d’Umberto Lenzi, qui sort en DVD en même temps que le film de Jess Franco et dont vous retrouverez notre chronique très prochainement. L’invité d’Artus Films entre cette fois directement dans le vif du sujet et donne de multiples informations sur « ce film qui méritait d’être exhumé avec en sus sa version française, très rare, longtemps restée inédite chez nous ». Christophe Bier passe ensuite en revue les hommages aux fumetti (qu’affectionnaient particulièrement le réalisateur), les éléments parodiques de l’espionnage emblématique des années 1960, les intentions de Jess Franco (qui avait obtenu carte blanche), tout en pointant certains éléments plus contestables (« un humour un peu lourd et un peu verbeux », « des gags qui s’étirent »), mais rapidement balayés par un rythme mené tambour battant. Enfin, Christophe Bier dévoile les quelques influences espagnoles, en particulier des bandes dessinées mettant en scène des espions parodiques (Anacleto notamment), tout en remettant en avant divers ouvrages consacrés à Jess Franco, dont celui écrit par Alain Petit édité chez Artus Films.

L’interactivité se clôt sur un Diaporama de photos et d’affiches d’exploitation.

L’Image et le son

Artus Films nous gratifie d’un master impressionnant, présenté dans son format original 2.35 (16/9, compatible 4/3). La propreté de la copie est indéniable, la restauration ne fait aucun doute, les contrastes sont beaux, le cadre large fourmille de détails, même si le piqué demeure aléatoire. Le grain est plutôt bien géré, l’ensemble stable hormis un léger bruit vidéo sur les séquences sombres et des stock-shots qui détonnent par rapport au reste, les couleurs vintage sont agréables pour les mirettes, un peu délavées certes, mais souvent rutilantes. Le charme opère, les ambiances nocturnes sont chiadées et l’on (re)découvre Opération Re Mida avec ses beaux partis pris esthétiques respectés.

Propre et dynamique, le mixage italien mono 2.0 ne fait certes pas d’esbroufe inutile mais restitue parfaitement les dialogues du film et laisse une belle place à la musique de Bruno Nicolai. La version française est également restaurée, mais de très légers craquements et saturations subsistent. Les sous-titres français ne sont pas imposés sur la version originale.

Crédits images : © Artus Films / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

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