L’HOMME N’EST PAS UN OISEAU (Covek nije tica) réalisé par Dušan Makavejev, disponible en DVD le 8 novembre 2023 chez Malavida Films.
Acteurs : Milena Dravic, Janez Vrhovec, Eva Ras, Stojan Arandjelovic, Boris Dvornik…
Scénario : Dusan Makavejev & Rasa Popov
Photographie : Aleksandar Petkovic
Musique : Petar Bergamo
Durée : 1h16
Date de sortie initiale: 1965
LE FILM
Homme d’âge mûr et ingénieur zélé, Jan Rudinski dirige une équipe slovène venue installer une nouvelle fonderie dans l’un des plus grands centres de production du bassin minier de Bor. Malgré ses réticences, une histoire d’amour débute rapidement avec la fille de ses logeurs, Rajka, une jeune coiffeuse qui n’a pas froid aux yeux… Mais il est de plus en plus accaparé par son travail…
« Un film d’amour… »
Ce qu’il y a de magique avec le cinéma, c’est que lorsque l’épris de septième art pense avoir fait le tour de sa passion (quelle bêtise…), il découvre encore et toujours de nouvelles sensibilités, un ton différent, une autre culture, une langue inconnue, un cadre singulier, une façon inédite de raconter des histoires. Nous plongeons donc aujourd’hui dans l’univers de Dušan Makavejev (1932-2019), réalisateur yougoslave, l’un des principaux cinéastes et chefs de fil du mouvement baptisé Vague noire yougoslave. Si forcément des éléments échapperont à de nombreux spectateurs (l’auteur de ces mots le premier), essentiellement liés à la culture et contexte politique du moment, c’est avec un immense plaisir de « communiquer » avec un cinéma original, qui n’a rien perdu de son charme, bien au contraire, qui reste moderne, frais, extrêmement attachant, ambitieux et rebelle. L’Homme n’est pas un oiseau – Covek nije tica (ou L’homme n’a pas d’importance, traduction littérale) est le premier long-métrage de Dušan Makavejev, considéré apprend-on comme étant le Godard yougoslave, qui à l’aide d’une caméra portée, pour ne pas dire aérienne, réussit un numéro de funambule, en marchant délicatement, mais assurément, sur le fil tendu entre le documentaire et la fiction. Contestataire et pourtant léger, voire solaire, voici une grande découverte.
L’ingénieur hautement qualifié Jan Rudinski se rend dans une ville minière pour installer de nouveaux équipements lourds. Il demande à sa jolie coiffeuse, Rajka, si elle sait où il peut trouver une chambre pour quelques semaines. Elle le conduit au domicile de ses parents, où elle vit également. Elle commence bientôt à flirter avec son locataire beaucoup plus âgé, tout en repoussant les avances d’un beau jeune chauffeur de camion. Dans une intrigue secondaire sans rapport, le mineur Barbulovic est arrêté pour avoir déclenché une bagarre dans un bar au cours de laquelle la chanteuse Fatima est poignardée. Il est libéré au bout de quelques jours et se plaint auprès de son manager de son salaire retenu, en vain. Lorsque sa femme rentre au domicile, c’est pour se rendre compte que trois de ses robes ont disparu. Elle accuse Barbulovic de les avoir données à sa maîtresse. Lorsqu’elle croise cette dernière en porter une au marché, elle s’en prend à sa rivale. Ils sont conduits au commissariat. On demande à Jan de terminer son travail plusieurs jours avant la date prévue afin que l’usine puisse faire partie d’un gros contrat d’exportation. Alors qu’il conduit son équipage pour terminer le travail comme demandé, un représentant du gouvernement de Belgrade vient lui remettre une médaille pour son long service exemplaire. Ses parents étant absents pendant plusieurs jours, Rajka invite Jan à coucher avec elle. L’homme d’âge moyen hésite, inquiet de la différence qui les sépare, mais cède vite et sont même heureux ensemble.
Nous avons trois histoires qui se déroulent en parallèle, mais qui s’entrecroisent aussi dans L’Homme n’est pas un oiseau. La métaphore de l’hypnose avec les êtres humains guidés aveuglément par un gouvernement qui les force à ne pas être dans la normalité et qui se laissent dicter leur mode de pensée est un peu pesante, surtout lors du prologue. Mais il s’agit ici sans doute de LA scène à passer avant de se laisser aller au récit, nettement plus fluide et attachant, dès que nous faisons la rencontre de Jan (Janez Vrhovec, vu dans J’ai même rencontré des Tziganes heureux d’Aleksandar Petrovic) et Rajka (la belle Milena Dravic, que les cinéphiles recroiseront dans le pesant Portrait de groupe avec dame, également d’Aleksandar Petrović). Une brève histoire d’amour va unir cet ingénieur d’âge mûr et la jeune coiffeuse, liaison qui sera désavouée immédiatement par les parents de Rajka. Nous suivons aussi un travailleur, qui se tue à la tâche petit à petit, en étant exposé continuellement au soufre, au phosphore, à l’arsenic et au sélénium dans une fonderie, où il est à peine protégé. Cet homme, porté sur la bouteille (euphémisme) et qui frappe son épouse, est alors considéré comme un héros et montré du doigt comme exemple lors des visites organisées du bâtiment où il bosse.
Ancien étudiant en psychologie, Dušan Makavejev observe le monde et parvient à le restituer sans filtre, avec une ironie mordante, en mettant en relief l’absurdité d’un système communiste qui se croit infaillible, puritain et exemplaire. L’Homme n’est pas un oiseau reste furieusement contemporain, organique, parfois même sensuel (les corps et leur attraction sont divinement bien filmés), rapide (75 minutes, montre en main), percutant (une vraie leçon de montage), passionnant.
LE DVD
Après une reprise, et probablement une découverte dans les salles en janvier 2022, L’Homme n’est pas un oiseau, mais aussi Innocence sans protection etUne affaire de coeur : La Tragédie d’une employée des P.T.T., arrivent naturellement dans l’escarcelle de Malavida. Nous nous penchons aujourd’hui sur le premier titre (et long-métrage) de Dušan Makavejev, dont l’édition DVD se présente sous la forme d’un boîtier Slim, glissé dans un surétui cartonné sobre et élégant, à l’intérieur duquel nous trouvons un livret, comprenant un texte écrit par le réalisateur, publié dans Les Cahiers du Cinéma en 1966, dans lequel il s’exprime sur le Nouveau Cinéma, sa vision de l’homme, son parcours, ses partis-pris, ses intentions, sur la politique de son pays…ce livret contient aussi un texte (Sexe et communisme) d’Alexandre Fontaine Rousseau (scénariste et critique), paru sur le site panorama-cinema.com, ainsi qu’un extrait de l’interview de Dušan Makavejev, menée par Michel Ciment dans le numéro 99 de Positif (novembre 1968). Le menu principal est fixe et musical.
Ce DVD contient un formidable court-métrage de Dušan Makavejev, Am, Stram, Gram (1961 – 10mn – VOSTF). Un banquier kleptomane, en conflit avec sa conscience, se demande s’il peut voler ou non le contenu d’un coffre-fort. Makavejev s’amuse avec un sujet tabou pour l’époque dans un pays de l’est : l’argent. Et donne un aperçu de son goût pour les collages visuels. Merveille visuelle, drôle, burlesque même sur le mirage de l’argent. Le thème de l’hypnose y apparaît déjà, ainsi qu’une sensualité, quand une caresse sur un coffre-fort fait penser à celle sur le corps d’une femme.
L’nteractivité se clôt sur la bande-annonce.
L’Image et le son
L’éditeur annonce un master restauré, dans son format respecté 1.66. Une copie aux blancs souvent brûlés. La texture argentique est conservée, mais la gestion des contrastes demeure aléatoire. On peut néanmoins parler d’une véritable résurrection.
Rien à redire sur le confort acoustique. L’écoute est propre et dynamique, les dialogues bien posés et l’environnement musical appréciable. Pas de souffle parasite, ni de craquements. À noter que les sous-titres sont incrustés et donc inamovibles.