LES INTRANQUILLES réalisé par Joachim Lafosse, disponible en DVD le 1er février 2022 chez Blaq Out.
Acteurs : Leïla Bekhti, Damien Bonnard, Gabriel Merz Chammah, Patrick Descamps, Jules Waringo, Alexandre Gavras, Joël Delsaut, Colette Kieffer…
Scénario : Juliette Goudot, Anne-Lise Morin, François Pirot, Chloé Léonil, Pablo Guarise, Lou Du Pontavic
Photographie : Jean-François Hensgens
Musique : Olafur Arnalds & Antoine Bodson
Durée : 1h54
Année de sortie : 2021
LE FILM
Leila et Damien s’aiment profondément. Malgré sa fragilité, il tente de poursuivre sa vie avec elle sachant qu’il ne pourra peut-être jamais lui offrir ce qu’elle désire.
Joachim Lafosse fait partie de ces réalisateurs dont chaque film est souvent une expérience douloureuse. Ce qui donne le rythme, le moteur pour ainsi dire de ses histoires, ce sont chaque fois ses personnages, de chair et de sang, animés par l’amour passionnel, aussi bien entre deux êtres que des parents envers leur progéniture, mais où le cocon peut être menacé par un climat affectif irrespirable. Dans Les Intranquilles, son neuvième long-métrage, le cinéaste se focalise sur un couple et leur petit garçon, à un carrefour de leur vie familiale. Contrairement à A perdre la raison, qui conduisait insidieusement les protagonistes vers une issue tragique, mais à l’instar L’Économie du couple, ceux-ci vont vivre le moment le plus difficile de leur existence, pour – peut-être – aller vers l’apaisement, l’inéluctable et l’acceptation. De la première à la dernière image, le Joachim Lafosse happe le spectateur, le prend à la gorge au moment où il s’y attend le moins et resserre son étreinte au fur et à mesure. Récit tragi-comique (les agissements dingues du Damien peuvent faire sourire autant que flipper) sur l’amour parasité par la maladie (ici la bipolarité), entraînant comme un lien pervers, des dysfonctionnements familiaux bien sûr, la question des limites (la femme est ici épuisée et apeurée), thèmes déjà explorés dans Nue propriété, A perdre la raison, ainsi que dans son magnifique moyen-métrage Folie privée (2004), Les Intranquilles cherche à faire partager aux spectateurs la vie de personnages complexes. Ceux-ci sont magistralement incarnés par le duo vedette, Damien Bonnard et Leïla Bekhti, qui devaient alors remplacer Matthias Schoenaerts et Jasmine Trinca. Avec sa mise en scène au cordeau, ses personnages filmés à hauteur d’homme sans fioritures, Joachim Lafosse suscite l’émotion et la réflexion pendant près de deux heures. On en ressort épuisés et bouleversés. Un des plus grands cinéastes de sa génération.
J’veux m’enfuir, quand tu es dans mes bras
J’veux m’enfuir, est-ce que tu rêves de moi
J’veux m’enfuir, tu ne penses qu’à toi
J’veux m’enfuir, tout seul tu finiras
Les films de Joachim Lafosse ne sont pas les plus faciles d’accès, non pas du point de vue de leur compréhension, mais parce que le cinéaste nous confronte systématiquement à des situations qui nous effraient, qui nous impliquent émotionnellement, qui nous renvoient certainement à un élément de notre propre passé ou qui en reflètent un autre que nous ne voudrions pas connaître. Cette fois encore, Joachim Lafosse touche en plein coeur, ainsi qu’en plein estomac tant certaines scènes nous font l’effet d’un coup de poing dans le bide, et convoque deux comédiens exceptionnels. Révélé en 2016 dans Rester vertical d’Alain Guiraudie, Damien Bonnard, n’a eu de cesse de distinguer par la suite, dans En liberté ! de Pierre Salvadori, Blanche comme neige d’Anne Fontaine et Les Misérables de Ladj Ly pour n’en citer que quelques-uns. Une fois de plus, il est époustouflant dans Les Intranquilles, dans la peau d’un personnage sans doute peu aisé à équilibrer. Face à lui, Leïla Bekhti crève à nouveau l’écran dans le registre dramatique après Carnivores de Jérémie Renier et Yannick Renier et Chanson douce de Lucie Borleteau.
Coécrit par Joachim Lafosse, Anne-Lise Morin, Juliette Goudot, François Pirot, Lou Du Pontavice, Chloé Léonil, et Pablo Guarise, Les Intranquilles peut parfois sensiblement pâtir d’un manque d’homogénéité, mais cette pluralité de sensibilités disparates reflètent finalement les états d’âme à la fois du personnage de Leïla, qui ne sait plus sur quel pied danser en voyant son compagnon, dépassé par ses impulsions qui peuvent s’avérer dangereuses pour lui et ceux qui l’entourent, s’enfoncer petit à petit dans ses névroses, mais aussi bien sûr la psyché perturbée de Damien, lui-même prisonnier de ses maux qui nourrissent autant sa créativité de peintre, qu’ils l’éloignent progressivement des siens. Mais les protagonistes ne sont jamais jugés, ni déresponsabilisés par Joachim Lafosse, qui les montre entre conflits et accalmies (la scène où le couple chante Idées noires de Lavilliers & Nicoletta dans la voiture est sublime), avec une tension et une délicatesse propres au metteur en scène.
S’il n’atteint pas la force de L’Économie du couple, Les Intranquilles, inspiré par le père maniaco-dépressif de Joachim Lafosse, témoigne encore de la préciosité de son réalisateur, qui inscrit une nouvelle grande réussite à son palmarès.
LE DVD
Sorti fin septembre dans les salles, Les Intranquilles n’a rencontré qu’un succès modeste (euphémisme) avec seulement 150.000 entrées, bien que les films de Joachim Lafosse tournent souvent autour de ce score. Le DVD est disponible chez Blaq Out. Menu principal fixe et musical.
Aucun bonus.
L’Image et le son
Blaq Out prend soin du film de Joachim Lafosse et livre un service après-vente tout ce qu’il y a de plus solide. Les partis-pris esthétiques du chef opérateur Jean-François Hensgens (Tête de turc, Le Serpent aux mille coupures, Antigang, Go Fast) sont respectés et la colorimétrie chatoyante habilement restituée. La clarté est de mise, tout comme des contrastes fermes, un joli piqué et des détails appréciables sur l’ensemble des séquences en extérieur, y compris sur les très présents gros plans des comédiens. Notons de sensibles pertes de la définition et des plans un peu flous, qui n’altèrent cependant en rien le visionnage. Un master SD élégant.
L’éditeur joint une piste Dolby Digital 5.1 qui instaure une spatialisation musicale indéniable, même si les basses manquent à l’appel. En dehors de cela, les ambiances naturelles et les effets annexes sont plutôt rares et la scène acoustique reste essentiellement frontale. De ce point de vue il n’y a rien à redire, les enceintes avant assurent tout du long, les dialogues étant quant à eux exsudés avec force par la centrale. La Stéréo n’a souvent rien à envier à la DD 5.1. Les sous-titres français destinés au public sourd et malentendant sont également de la partie, ainsi qu’une piste Audiodescription.