LES AILES DE LA RENOMMÉE (Wings of Fame) réalisé par Otakar Votocek, disponible en DVD le 6 août 2019 chez ESC Editions
Acteurs : Peter O’Toole, Colin Firth, Marie Trintignant, Andréa Ferréol, Robert Stephens, Ellen Umlauf, Maria Becker, Walter Gotell, Gottfried John…
Scénario : Otakar Votocek, Herman Koch
Photographie : Alex Thomson
Musique : Paul M. van Brugge
Durée : 1h45
Date de sortie initiale : 1990
LE FILM
Parce qu’il l’a méprisé, le jeune Brian Smith abat la star César Valentin avant d’être tué à son tour, écrasé par un projecteur. Morts, ils sont conduits sur une île où les privilégiés sont ceux dont la gloire demeure dans les esprits. Dans une atmosphère d’ennui et de haine, chacun vit là avec la peur de perdre sa célébrité…
Quel film étrange ! Les Ailes de la renommée – Wings of Fame (1990) est d’ailleurs à ce jour l’unique long métrage d’un dénommé Otakar Votocek, obscur réalisateur d’origine tchèque, qui compte à son actif un court-métrage Turkse Video (1984) et un téléfilm JuJu (1996). Parallèlement, il apparaît en tant qu’acteur dans deux ou trois films, et continue de collaborer à certains scénarios. Malgré une critique positive, Les Ailes de la renommée n’a connu aucun succès à sa sortie. Il est pourtant redécouvert quelques années plus tard par des spectateurs friands de cinéma de genre, qui n’ont de cesse de louer ses qualités artistiques. A la production de ce film quasi-inclassable, on retrouve le célèbre Dick Maas, cinéaste légendaire de L’Ascenseur (1983), Amsterdamned (1988) et dernièrement du réjouissant Prédateur (2016). Le tournage s’est déroulé entre la France (Antibes, Juan-les-Pins) et les Pays-Bas (les intérieurs ont été réalisés en studio à Amsterdam), avec un casting hétéroclite, venu d’Angleterre, en passant par l’Allemagne et la France. C’est ce mélange insolite qui participe à la qualité et à la réussite des Ailes de la renommée, film en apparence froid, qui parle de la mort et de la postérité, mais qui n’a de cesse de triturer les méninges pendant et après la projection.
Tué par la chute d’un projecteur après avoir abattu la star de cinéma César Valentin, coupable à ses yeux de s’être approprié son œuvre, l’écrivain Brian Smith débarque sur une île perdue dans les limbes, quelque part entre la vie et la mort. Il y retrouve non seulement sa victime, mais croise aussi d’autres illustres défunts, tous pensionnaires d’un gigantesque hôtel régi par des règles particulières, les personnalités présentes dans la mémoire des vivants bénéficiant de tout de confort dû à leur rang, tandis que ceux dont le souvenir décline croupissent désormais dans d’insalubres mansardes…
Les Ailes de la renommée est un film qui sort de nulle part, un coup d’essai très réussi et qui dévoilait un sérieux potentiel. Otakar Votocek a coécrit l’histoire avec Herman Koch, célèbre romancier néerlandais, inspirée par les auteurs du courant existentialiste (Jean-Paul Sartre notamment) et une touche de Fiodor Dostoïevski en ce qui concerne le fond, mais influencée par l’expressionnisme allemand et le renouveau du cinéma soviétique porté par Andreï Tarkovski pour la forme. Les personnages, décédés, déambulent dans des décors dépouillés et gigantesques, qui se resserrent progressivement, au fur et à mesure que leur renommée dans le monde de vivants s’étiole. Otakar Votocek compose des plans étonnants, remplissant le cadre avec un vide qui reflète la jalousie, la vanité et l’ennui de ces locataires en transit (interprétés entre autres par l’explosive Andréa Ferréol et l’incroyable Gottfried John), où l’on peut croiser Albert Einstein, la chienne Lassie et le bébé Lindbergh dans les couloirs et les jardins fleuris. Un environnement qui semble avoir inspiré les showrunners de la sublime série The Leftovers, pour l’extraordinaire épisode 8 de la saison 2 quand Kevin se retrouve coincé dans un étrange hôtel…
Peter O’Toole s’amuse dans le rôle de César Valentin, comédien imbu de lui-même et s’auto-parodie avec un humour pince-sans-rire et son éternelle élégance. Face à lui, le jeune Colin Firth, trente ans, qui sortait alors du Valmont de Milos Forman, parvient à rendre attachant un personnage pourtant difficile à appréhender et à aimer, puisqu’il assassine Valentin sur le tapis-rouge, devant la foule et les journalistes du monde entier, réunis lors d’un festival international du film. Durant cette errance dans cet autre « monde », Brian Smith (Colin Firth donc), fait la rencontre de Bianca, jeune française étrange, interprétée par Marie Trintigant. Bianca n’a aucun souvenir de son passé. Elle est surtout persuadée de ne pas être morte et que tout ceci n’est qu’une expérience réalisée par quelques médecins mal intentionnés. Fasciné par Bianca, Brian va alors tout faire pour découvrir qui est cette femme au regard troublant, pour l’aider à retrouver son identité.
Wings of Fame s’inspire de la littérature européenne croisée avec la mythologie grecque, dont les figures d’Orphée et d’Eurydice, avec une pointe de fantastique propre au cinéma américain des années 1960, le tout formidablement photographié par le chef opérateur Alex Thomson (Excalibur, L’Année du dragon, Alien 3). Un cocktail détonnant, cérébral, métaphysique et ironique, qui ne laisse pas indifférent et qui n’a de cesse de revenir en tête comme une ritournelle. Grand Prix de l’étrange au Festival d’Avoriaz en 1991.
LE DVD
Les Ailes de la renommée intègre la collection « Trésors du fantastique », anciennement éditée par ESC Distribution sous la bannière de Movinside. ESC Editions est ici l’éditeur à part entière. Le visuel est soigné et le menu principal animé sur une séquence du film.
Un Marc Toullec plus prolixe que d’habitude (17’) nous présente Les Ailes de la renommée. Même s’il est indéniable que le journaliste est définitivement plus à l’aise (et passionnant) à l’écrit qu’à l’oral, nous apprenons pas mal de choses ici sur le réalisateur Otakar Votocek, sur la production du film, les lieux de tournage et le casting.
L’Image et le son
Un DVD au format 4/3…oui…bon…en même temps Les Ailes de la renommée est difficilement trouvable dans de bonnes conditions techniques, à se demander si cela existe réellement. Le film est donc projeté avec les bandes noires sur les côtés du cadre. A cela s’ajoute un master très sombre, aux couleurs froides. La gestion du grain et des contrastes est aléatoire, la stabilité est parfois mise à mal et le piqué complètement émoussé.
Deux pistes au choix, en Dolby 2.0 anglais ou français. La première s’en tire mieux, même si l’ensemble manque cruellement d’ardeur. Quant à la langue de Molière, elle s’accompagne d’un souffle constant et s’avère plus sourde.