LE MAÎTRE DU GANG (The Undercover Man) réalisé par Joseph H. Lewis, disponible en DVD le 18 février 2020 chez Sidonis Calysta.
Acteurs : Glenn Ford, Nina Foch, James Whitmore, Barry Kelley, David Wolfe, Frank Tweddell, Howard St. John, John F. Hamilton…
Scénario : Jack Rubin, Sydney Boehm d’après l’article de Frank J. Wilson
Photographie : Burnett Guffey
Musique : George Duning
Durée : 1h20
Date de sortie initiale : 1949
LE FILM
Agents du Trésor américain, Frank Warren et George Pappas se lancent dans une mission sous couverture afin de confondre un parrain de la mafia de Chicago. Frank n’hésite pas à mettre en péril son mariage, et même sa vie, dans l’espoir de faire tomber pour fraude fiscale celui qui, jusqu’alors, a toujours échappé à toute poursuite, malgré ses nombreux crimes…
Mais qui est ce fameux « Maître du gang » qui donne son titre français au film de Joseph H. Lewis ? Il s’agit bien évidemment d’Al Capone, qui en juin 1931 est inculpé pour fraude fiscale et infraction aux lois sur la Prohibition. Sorti en 1949, deux ans après la mort du plus célèbre gangster américain du XXe siècle, The Undercover Man est un petit bijou discret dans la carrière du réalisateur du Calvaire de Julia Ross – My Name Is Julia Ross (1945) et Le Démon des armes – Gun Crazy (1950), qui rend hommage aux petites gens qui ont réussi à coincer celui que l’on croyait alors intouchable. Loin de la représentation habituelle d’Eliot Ness et des Incorruptibles, Le Maître du gang montre des petits fonctionnaires coincés dans quelques bureaux surchargés de paperasse, des agents qui délaissent leurs familles respectives et leurs compagnes, travaillant jour et nuit pour trouver l’élément qui fera basculer la balance en leur faveur, dans le but de clouer le « grand patron » au pilori. La réussite du film provient une fois de plus de Glenn Ford, décidément un comédien à redécouvrir, qui comme à son habitude livre une performance exceptionnelle, dans le rôle d’un type obstiné, persévérant, mais aussi fatigué, rêvant de passer du temps avec sa compagne, bref, toujours très attachant.
A Chicago, le syndicat du crime étend son empire. Frank Warren et George Pappas, deux agents du fisc acharnés, se lancent aux trousses d’un chef de gang afin de l’arrêter, coûte que coûte. Leur motif d’arrestation? La fraude fiscale. Mais bientôt, de nombreux témoins disparaissent. La femme de l’un d’entre eux accepte de se rendre au tribunal dans une atmosphère de haute tension…
Le titre américain est étrange, puis The Undercover Man, qui signifie « L’Homme Infiltré » ne représente pas du tout le personnage incarné avec force par Glenn Ford, qui n’agit pas en s’immisçant dans les affaires du Big Boss en se faisant passer pour un autre. Avec l’aide de ses collègues, également usés par les heures passées au-dessus de carnets, de tickets de caisse, et autres registres de comptabilité qui pourraient les aider à trouver la faille dans laquelle le chef du gang pourrait être précipité, Frank Warren est bien décidé à aller jusqu’au bout de la mission qui lui a été confiée. Inspiré par un article de Frank J. Wilson (le véritable comptable, agent fédéral et « tombeur » d’Al Capone), le scénario de Jack Rubin et de Sydney Boehm (La Rue de la mort, Midi, gare centrale, Règlements de comptes, Les Inconnus dans la ville) témoigne indéniablement du grand talent et de la griffe du second, avec ce récit mené à cent à l’heure, entre réalisme documentaire, scènes mouvementées (bien que limitées et volontairement anti-spectaculaires) et une émotion toujours juste quand l’histoire se focalise sur le quotidien lénifiant, ingrat et fastidieux de ses protagonistes. Pas de super-flics ici, ou de types désireux de briller aux yeux du monde entier, juste des agents du trésor américain qui manquent de moyens et qui n’hésitent pas à se rendre sur le terrain.
Joseph H. Lewis (1907-2000), spécialiste de la série B, démontre son talent de directeur d’acteurs, ainsi que son très large bagage technique. Outre l’excellence de Glenn Ford, parfait en anti-héros, la superbe Nina Foch, vue auparavant chez Charles Vidor, Budd Boetticher, Robert Rossen (producteur du Maître du gang et qui devait à l’origine le réaliser), qui tenait le rôle-titre du Calvaire de Julia Ross, retrouve Joseph H. Lewis pour l’un de ses plus beaux rôles, celui d’une jeune femme, qui attend l’homme qu’elle aime, mais qui accepte que ce dernier soit accaparé par son travail. Les quelques heures volées à l’administration sont ainsi élégamment montrées par le cinéaste, quand Frank rejoint sa belle à la campagne, loin du tumulte et de l’effervescence de Chicago. L’émotion est également bien présente, comme lors de la plus célèbre séquence du film montrant une petite fille courir après des tueurs, poursuivant son père dans les rues bondées du quartier de Little Italy. L’ensemble étant magnifiquement photographié par le grand Burnett Guffey.
Le Maître du gang se clôt sur un épilogue, qui boucle la boucle avec l’introduction, et qui sous ses aspects anodins et sa simplicité, élève en réalité le personnage principal au rang des plus grands héros de l’ombre.
LE DVD
Aux côtés de Traquée, également interprété par Glenn Ford, Le Maître du gang rejoint la collection Film Noir disponible chez Sidonis Calysta. Visuel soigné, menu principal animé et musical. Le film était sorti en DVD dans le coffret Film Noir, édité par Sidonis en décembre 2018.
Trois présentations sont proposées ici.
La première et la plus passionnante, nous la devons comme d’habitude à Bertrand Tavernier (30’30), qui indique en ouverture préférer le titre français, puisque selon lui The Undercover Man ne veut strictement rien dire. Puis, le cinéaste-critique-historien du cinéma passe en revue la genèse et la production du film qui nous intéresse aujourd’hui, pour lequel Bertrand Tavernier a visiblement beaucoup d’affection. Le travail du scénariste Sydney Boehm est abordé, tout comme celui du réalisateur Joseph H. Lewis (qu’il avait rencontré à plusieurs reprises), sur lequel l’invité de Sidonis s’étend longuement. Un travail d’analyse, sur le fond comme sur la forme, du Maître du gang est également effectué ici.
C’est au tour de François Guérif (11’) de présenter Le Maître du gang. Le second intervenant et habitué des éditions Sidonis Calysta loue la qualité du scénario et évoque ses diverses rencontres avec le réalisateur Joseph H. Lewis, avec lequel il avait pu s’entretenir sur ses films noirs.
Difficile pour Patrick Brion de passer après ses deux petits camarades. Sa présentation du Maître du gang (9’30) a finalement peu d’intérêt puisque les arguments glanés ici et là font inévitablement écho avec ce qui a pu être entendu précédemment. Notons tout de même que Patrick Brion défend une fois de plus Glenn Ford, qu’il considère comme l’un des meilleurs acteurs du cinéma américain.
L’Image et le son
Un très beau DVD. Ce nouveau master restauré en HD au format respecté 1.33 du Maître du gang, se révèle souvent pointilleux en matière de piqué, de gestion de contrastes (noirs denses, blancs lumineux), de détails ciselés, de stabilité, de clarté et de relief. La nouvelle profondeur de champ permet d’apprécier la composition des plans de Joseph H. Lewis, la photo signée Burnett Guffey retrouve une nouvelle jeunesse doublée et le grain d’origine a heureusement été conservé. Notons quelques baisses de la définition avec des plans légèrement flous. La propreté de la copie est indéniable.
Comme souvent, la version originale l’emporte sur la version française. La première est plus aérée, claire, fluide et dynamique, si on la compare à la seconde piste, plus feutrée peut-être, au rendu des dialogues plus pincé, nasillards, et marquée par divers craquements. Les sous-titres français ne sont pas imposés.