L’AFFAIRE PASOLINI (La Macchinazione) réalisé par David Grieco, disponible en DVD le 3 juin 2020 chez Blaq Out.
Acteurs : Massimo Ranieri, Libero De Rienzo, Matteo Taranto, François-Xavier Demaison, Milena Vukotic, Roberto Citran, Alessandro Sardelli, Catrinel Marlon, Paolo Bonacelli, Toni Laudadio…
Scénario : David Grieco, Guido Bulla
Photographie : Fabio Zamarion
Musique : Pink Floyd et Roger Waters
Durée : 1h47
Année de sortie : 2016
LE FILM
Pendant l’été 1975, Pier Paolo Pasolini termine le montage de son dernier film, « Salò ou les 120 journées de Sodome ». Son œuvre suscite de fortes polémiques et provoque des débats par la radicalité des idées qu’il y exprime. Au mois d’août, le négatif original du film est dérobé et une rançon importante est exigée. Prêt à tout pour récupérer son film, Pasolini va se laisser enfermer dans une terrible machination qui le conduira à sa perte.
« Le courage intellectuel de la vérité et la pratique politique sont deux choses inconciliables en Italie. » Pier Paolo Pasolini.
L’Italie, pour ne pas dire le monde entier, ne s’est jamais remise du brutal assassinat du cinéaste Pier Paolo Pasolini. Certains réalisateurs se seront penchés sur cet événement tragique, à l’instar de Marco Tullio Giordana avec son film Pasolini, mort d’un poète – Pasolini, un delitto italiano (1995), dans lequel le procès de Pino Pelosi, accusé du meurtre de Pasolini, était reconstitué. En 2014, le new-yorkais Abel Ferrara livrait sa version des dernières heures du maître italien dans le sobrement intitulé Pasolini, où son complice Willem Dafoe incarnait le réalisateur. L’Affaire Pasolini, sorti deux ans après le film précédent, apparaît tout d’abord comme un outsider. Comment cette œuvre mise en scène par David Grieco allait se démarquer des approches précédentes ? Tout d’abord, son film n’aborde pas le procès contre Pino Pelosi, ce jeune prostitué de 17 ans arrêté la nuit du meurtre au volant de la voiture de Pasolini, qui s’était déclaré – trop vite sans doute – responsable de la mort de Pasolini. David Grieco s’appuie plutôt sur le témoignage de Pelosi datant de 2005, au cours duquel ce dernier affirmait son innocence et que le meurtre avait été réalisé par trois individus à l’identité préservée. Ensuite, si L’Affaire Pasolini retrace bien les dernières heures de la vie du poète et réalisateur, son gros point fort reste d’avoir confié le rôle-titre au comédien-chanteur italien Massimo Ranieri, inoubliable dans les films de Mauro Bolognini (Metello, Bubu de Montparnasse, Chronique d’un homicide), qui retrouve ici un rôle à la mesure de son talent. Entre mimétisme et interprétation personnelle, l’acteur impressionne ici du début à la fin, et restitue admirablement la hargne qui animait Pier Paolo Pasolini, éternel provocateur, dont le tort était probablement d’être communiste et homosexuel dans l’Italie asphyxiée des années 1970.
Rome, été 1975. Pier Paolo Pasolini, poète et réalisateur à succès, travaille à la production du film Salò ou les 120 Journées de Sodome et, entre-temps, écrit ce qui sera son dernier roman, Pétroloe, dans lequel il parle de l’économie italienne. Depuis quelque temps, cependant, Pasolini est engagé dans une relation homosexuelle avec Giuseppe Pelosi, un jeune criminel romain. Un soir, les amis de Pelosi volent le négatif du film Salò et demandent au poète une très grosse somme d’argent pour le lui rendre. C’était un piège et dans la nuit du 1er au 2 novembre 1975, Pier Paolo Pasolini est sauvagement assassiné.
L’Affaire Pasolini s’attache à reconstituer les faits et les dernières semaines qui ont précédé l’homicide du cinéaste, en tenant compte des derniers éléments de l’enquête révélés il y a quelques années. Sans avoir recours à des images d’archives, le réalisateur David Grieco créé une tension permanente. Son film est étouffant et prend à la gorge au fur et à mesure que l’on sent l’étau se resserrer autour de Pier Paolo Pasolini, alors sur tous les fronts, dans sa salle de montage où il peaufine Salò ou les 120 Journées de Sodome, ou à son bureau où il se lance dans un manuscrit, sans pouvoir s’arrêter, dans lequel il établit une critique impitoyable de la classe dirigeante démocrate-chrétienne. Plusieurs journalistes, écrivains et érudits aux déclarations scandaleuses, au verbe fort et revendicatif — comme lui — sont censurés, persécutés, battus, ou assassinés. Mais Pasolini veut dénoncer l’injustice, ce « pouvoir de marionnettes », quoi qu’il lui en coûte, même si cela doit irriter la CIA et les services secrets qui sont inclus dans le lot. S’il aurait pu s’abstenir de montrer le meurtre atroce dans un dernier acte à ne pas mettre devant tous les yeux (aucun détail n’est épargné aux spectateurs), David Grieco signe un film souvent remarquable et surtout passionnant, qui dresse le portrait d’un homme complexe avec ses bons côtés – quand il veut révéler la face cachée de son pays – comme ses mauvais – quand il ne peut pas se passer de jeunes prostitués mineurs.
Cinéaste, mais aussi journaliste lui-même, Pier Paolo Pasolini, qui se situait politiquement à gauche, tout en rejetant les étiquettes, les partis et les institutions, n’aura de cesse d’observer les transformations de la société italienne de l’après-guerre avec un œil d’entomologiste, usant de son succès et de sa popularité pour mieux attirer les yeux du monde entier sur ce qui gangrenait son pays, autrement dit Eugenio Cefis, ancien entrepreneur italien et ponte de la loge maçonnique P2. Ces pensées sont distillées dans le film de David Grieco, mais aussi résumées au cours d’une interview donnée à un reporter français de Libération, interprété dans le film par François-Xavier Demaison, durant laquelle Pasolini fustige ouvertement la bourgeoisie, la société consumériste italienne émergente et le système d’éducation. David Grieco, lui-même petit-fils du Parti communiste italien et ayant côtoyé Pier Paolo Pasolini (dont il devient l’assistant) sur quelques films où il officiait en tant qu’acteur livre avec La Macchinazione, adapté d’un de ses romans, un film remarquable, formidablement documenté, à la reconstitution soignée et à l’intrigue tentaculaire aussi alambiquée qu’implacable.
LE DVD
L’Affaire Pasolini a mis près de trois ans pour débarquer au cinéma en France et quasiment un an de plus pour sortir dans les bacs. Le film de David Grieco est désormais disponible en DVD chez Blaq Out et distribué par ESC Distribution. Le menu principal est fixe et musical.
Au rayon des suppléments, c’est comme qui dirait la déception puisque nous ne trouvons qu’une mini-interview de François-Xavier Demaison (4’). Alors en tournage à Rome, le comédien français revient sur son rôle et sa grande scène avec Massimo Ranieri, sur lequel il ne tarit pas d’éloges, tout en parlant du cinéma de Pier Paolo Pasolini et des intentions de David Grieco.
L’Image et le son
C’est rare mais il faut bien l’avouer, nous sommes ici en présence d’un fabuleux master SD qui n’a absolument rien à envier à une édition HD. Le rendu, même en DVD, demeure spectaculaire. Les contrastes affichent une densité ahurissante, la clarté est de mise, la colorimétrie est très élégante, le relief est souvent dingue et le piqué aussi acéré que si nous étions en présence d’un Blu-ray. De jour comme de nuit, en extérieur comme en intérieur, l’ensemble demeure flatteur pour les yeux. Cette resplendissante copie démontre encore tout le potentiel d’un DVD traditionnel.
Le mixage original Dolby Digital 5.1 délivre merveilleusement les dialogues, la musique et les ambiances. La balance frontale est joliment équilibrée, les latérales interviennent évidemment sur toutes les séquences en extérieur, tandis que le caisson de basses souligne habilement quelques séquences. La spatialisation musicale – Atom Heart Mother de Pink Floyd – est percutante et le confort acoustique assuré. Il en est de même pour la piste Stéréo, de fort bon acabit, qui conviendra aisément à ceux qui ne seraient pas équipés sur la scène arrière.