LA FILLE PERDUE réalisé par Jean Gourguet, disponible en DVD le 31 janvier 2022 chez Doriane Films.
Acteurs : Claudine Dupuis, Gérard Landry, Robert Berri, Dora Doll, Zizi Saint-Clair, Gisèle Grandpré, André Roanne, Jean Clarieux…
Scénario : Jean Gourguet & Michelle Gourguet
Photographie : Scarciafico Hugo
Musique : René Denoncin
Durée : 1h26
Date de sortie initiale : 1954
LE FILM
Fille-mère à seize ans, Marguerite n’ose pas retourner chez elle et finit entraîneuse dans une boîte à matelots. Son employeur l’oblige à se séparer de sa fille.
Complètement oublié aujourd’hui, le scénariste, producteur et réalisateur Jean Gourguet (1902-1994) aura signé une bonne vingtaine de longs-métrages et quelques courts-métrages, en un peu plus de trente ans. S’il a commencé sa carrière en 1929, en cosignant Rayon de soleil avec Georges Péclet, Jean Gourguet connaîtra véritablement son heure de gloire dans les années 1950, durant lesquelles il coécrit les films avec son épouse Michelle, n’hésitant pas non plus à diriger sa propre fille Geneviève, sous le pseudonyme de Zizi Saint-Clair. La Fille perdue sort le 29 janvier 1954, trois mois seulement après le très remarqué Maternité clandestine, avec la divine Dany Carrel, et la même année que La Cage aux souris. Trois films qui sortent sur les écrans en l’espace d’un an, tout se passe bien pour le cinéaste, qui se définissait lui-même comme un artisan du cinéma. La Fille perdue est le témoignage d’un cinéma totalement révolu, désuet diront certains, charmant diront les autres et ils auront raison. Car ce mélodrame au récit soutenu repose sur de formidables comédiens, en particulier Claudine Dupuis (1924-1991), qui sera apparue devant la caméra de Henri-Georges Clouzot (Quai des Orfèvres) et surtout devant celle de son compagnon Alfred Rode (Boîte de nuit, Tourbillon, C’est… la vie parisienne), ainsi que dans divers films aux titres bien ancrés dans leur temps du style Sergil chez les filles, Les Pépées font la loi, La Môme Pigalle et Les Pépées au service secret. Avec son charisme qui rappelle à la fois Cécile Aubry et Suzy Delair, elle est indéniablement le gros atout de La Fille perdue.
Triste destinée que celle de Marguerite Le Goff. Fille-mère à seize ans des oeuvres d’un vacancier, elle essaie à Nantes de gagner sa vie mais succombe devant les promesses du peu recommandable Pierre qui l’a dénichée dans une boîte à matelots. Privée de son enfant, à quelle extrémité se résoudrait-elle si de braves gens ne compatissaient et si Jean-Marie, son ami d’enfance, ne l’emmenait avec lui ?
Il y a un phrasé disparu qui résonne à chaque réplique de La Fille perdue. Non seulement cela, c’est même tout un langage cinématographique qui s’est évaporé avec l’arrivée de la Nouvelle vague en 1960. Le film de Jean Gourguet est de ceux que l’on regarde, d’une part pour retrouver une ancienne façon de faire des films et de raconter des histoires, d’autre part pour y observer – puisque le tournage en extérieur était privilégié – les voitures de l’époque, l’architecture, les rues de Nantes et quelques recoins de l’Île de Noirmoutier. Le réalisateur, passionné de cinéma (il sera d’ailleurs le propriétaire du légendaire Escurial à Paris) et sûrement de films noirs, reprend certains codes liés au genre et les mélange dans un drame psychologique, centré sur une jeune femme qui a dû mettre sa vie de côté, y compris celle de son enfant en bas âge, pour suivre un homme qui lui promettait monts et merveilles. Très vite, celle-ci, Marguerite, devenue Rita, (sur)vit comme prostituée sous la coupe de celui qu’elle pensait être amoureux d’elle, Pierre (Robert Berri, impeccable en salaud de première). Alors que le beau marin Jean-Marie (Gérard Landry), épris d’elle, pourrait l’emmener loin de tous ses malheurs, Marguerite se retrouve prise dans les méfaits de Pierre, qui de son côté se sert de la fille de Marguerite, Guitou, pour soutirer de l’argent à un couple qui a décidé de s’occuper de cette dernière.
La Fille perdue parvient à éviter tout pathos grâce à la solide prestation de Claudine Dupuis, mais aussi celle de la petite et adorable Zizi Saint-Clair, dont le jeu s’éloigne de celui habituellement ampoulé des enfants-comédiens. On saluera également la présence de Gisèle Grandpré, qui aura traversé quarante ans de cinéma français, de Henri Decoin (L’Affaire des poisons, Razzia sur la chnouf) à Serge Leroy (La Traque), en passant par Denys de La Patellière (Les Aristocrates), Sacha Guitry (Si Paris nous était conté), Julien Duvivier (L’Homme à l’imperméable), Louis Malle (Ascenseur pour l’échafaud) et Jacques Demy (Les Parapluies de Cherbourg), excellente ici dans le rôle de Christiane Devillers, femme bien intentionnée, inconsolable depuis la disparition de sa fille, décédée très jeune, qui va prendre Guitou sous son aile protectrice.
De beaux et profonds sentiments parcourent La Fille perdue, très jolie découverte, qui donnera sûrement envie à certains cinéphiles, nous les premiers, de creuser la filmographie de Jean Gourguet, qui nous l’espérons sera réhabilitée dans un futur proche. Dans cette optique, le DVD édité par Doriane Films est une grande étape.
LE DVD
Depuis de nombreuses années, Doriane Films remet en avant certaines œuvres de Jean Gourguet par l’intermédiaire de ses sorties en DVD. Sont déjà disponibles Son dernier rôle, Maternité clandestine et La P… sentimentale (en combo), ainsi que La Traversée de la Loire et L’Effet d’un rayon de soleil (en combo). Alors que La Fille perdue se dévoile à nous ici, l’éditeur a d’ores et déjà annoncé la parution du film Les Premiers outrages, prévu en DVD le 25 février 2022. Le film qui nous intéresse aujourd’hui est donc présenté en boîtier Amaray classique de couleur noire, placé dans un surétui cartonné, reprenant le même visuel stylisé de la jaquette. Le menu principal est animé et musical.
Pour la sortie de La Fille perdue en DVD, l’éditeur est allé à Noirmoutier, à la rencontre de Geneviève Costovici-Gourguet, la fille du réalisateur, qui a tourné dans de nombreux films de ce dernier sous le pseudonyme de Zizi Saint-Clair (24’). Une rencontre forcément marquée par de très nombreux souvenirs liés au tournage de La Fille perdue (ainsi que d’autres opus du cinéaste) et durant laquelle Geneviève Costovici-Gourguet revient sur le parcours et la carrière de son père, un artisan « qui n’a jamais perdu d’argent […] qui a eu énormément d’ennuis avec la censure ». Malgré une prise de son très moyenne, nous vous conseillons de prolonger votre séance par ce module très instructif, illustré par diverses photos de plateau ou personnelles, où vous en apprendrez beaucoup sur ce metteur en scène.
L’interactivité se clôt sur la bande-annonce.
L’Image et le son
Cela n’a pas dû être facile de mettre la main sur La Fille perdue, qui apparaît donc chez Doriane Films, dans une copie marquée par les décennies qui ont passé et de médiocres conditions de conservation. La gestion du grain est aléatoire, le N&B est parfois déséquilibré avec soit des blancs brûlés, soit des noirs bouchés, certaines séquences se déroulant de nuit sont difficilement visibles (contrairement aux extraits visibles dans la bande-annonce), le piqué est chancelant, des poussières et des raccords de montage subsistent. Une définition tout juste moyenne qui s’accompagne aussi de fourmillements.
Les dialogues sont correctement délivrés, ainsi que la musique de René Denoncin. Pas de ronronnement, mais quelques craquements et autres bruits parasites. L’écoute s’avère claire, même si de temps en temps à la limite de la saturation. Pas de sous-titres destinés au public sourd et malentendant.